Laissons la s’agiter de rage, & trouver à redire jusques dans nos plaisirs. […] Laissez parler les ignorans, & ne vous dégoûtez pas des longueurs du travail.
Cette méthode simple qui aurait pu avoir dans cette rencontre au moins autant d’utilité que l’autre, sans en avoir l’inconvénient capital que je viens de signaler, non plus que celui d’affaiblir davantage des parents déjà faibles qui, trop sensibles aux ridicules et aux reproches dont ils voyent accabler Harpagon, donnent dans l’excès contraire, se laissent fléchir et mener par des enfants exigeants et prodigues qui les ruinent avec leurs créanciers. […] Il ne fallait pas les faire insulter, ni faire dire à des femmes comme celles-là, d’aller se cacher ; il fallait punir moins rigoureusement le crime d’avoir dit que le chapelet est une chaîne spirituelle, que l’eau est le miroir céleste, que le ciel est gros de lumière, etc., bien que ces mots, comme ceux de ma chère, soient abominables ; il fallait encore tolérer leur jargon comme on tolère le patois des bonnes gens de la campagne ; l’un ne nuisait pas plus que l’autre au repos du genre humain, auquel il importe infiniment qu’on laisse à la vertu sa considération, et à la morale ses abris. […] Laissez-les donc en toute sûreté donner de bons exemples, faire du bien, ou engager les apathiques, les indifférents à en faire ; laissez-les courir, s’agiter, faire du bruit, attendrir les autres en feignant de s’attendrir eux mêmes ; cette fermentation est nécessaire à l’éveil, au maintien de la vraie bienfaisance ; ces hommes hypocrites et corrompus sont pour les âmes bienfaisantes ce que les plantes parasites et pourries sont pour les plantes utiles dont elles font l’engrais, sur lesquelles elles agissent, qu’elles échauffent et font croître. […] Encore une fois, laissez-les pratiquer une si belle vertu qui les séduira enfin, ou bien à laquelle ils s’attacheront, du moins par la nécessité d’affermir la considération qu’ils lui doivent ; laissez-les crier au secours sur le sort des malheureux auxquels dans le fond ils s’intéressent peu, comme vous laissez crier au feu sur l’incendie d’une maison, par des individus à qui la conservation de cette propriété est fort indifférente, et qui ne font rien autre chose pour elle. […] La plus forte preuve qu’une verve irrésistible entraînait notre premier poète comique, et ne lui laissait pas toute liberté de réflexion et de jugement, c’est qu’il n’a pas pu s’apercevoir, avant de composer la comédie du Misantrope, qu’il donnait personnellement le plus sensible exemple de misantropie ; qu’il avait lui-même le caractère qu’il allait jouer, qu’Alceste suivait ses traces, et ne les suivait même que de loin.
Il se contente de dire, « c’est une contradiction dans nos mœurs, d’un côté, de laisser l’infamie attachée au spectacle, et de l’autre, de regarder les représentations comme des exercices dignes d’un Roi ». […] Il tend des pièges, et se moque de celui qui s’y laisse prendre, et ne prévoit pas qu’il souffrira un jour des mêmes passions qu’il a allumées pour en abuser. » Les Grecs, il est vrai, dans le premier âge de la comédie, n’épargnaient pas même les plus grands de la République. […] A peine laisse-t-on aux Comédiens la liberté de se trouver à l’enterrement de leurs camarades, qu’une sincère conversion a fait rentrer dans l’Eglise ; encore n’est-ce qu’à titre de parent ou d’ami, dont on ignore la profession. […] Ce sont des aventuriers qui n’ont ni feu ni lieu, ne peuvent être membres d’aucun corps, et ne doivent être admis dans aucune assemblée ni civile ni religieuse ; ils n’ont que la tolérance, on leur laisse faire et dire des folies ; voilà leur état : « Qua porro ignominia, Mimi et Histriones Juliani funus ducebant, probrisque ac ludibriis a scena petitis incusabant, nihil non facientes et dicentes quæ hujusmodi homines qui petulantiam pro arbitrio perpetratre consueverant. » Greg. […] » Est-il du bien de l’Etat de laisser tendre à la Noblesse de si dangereux pièges, plus dangereux pour elle que pour d’autres états ?
Cependant le Concile de Constantinople en 692 ne laissa pas de décerner de grièves peines contre les Comédiens, et contre les Clercs et les Laïques qui assisteraient à leurs spectacles. […] 4°, Que comme le péché que commettraient les Ecclésiastiques en allant à la Comédie serait un péché de scandale qui les rendrait responsables de plusieurs autres péchés, où tomberaient ceux qui auraient cru pouvoir suivre leur exemple ; de même aussi les Laïques qui font profession de piété, et à qui la Comédie ne ferait aucune mauvaise impression ne laisseraient pas d’offenser Dieu, et d’être coupables de bien des péchés, parce que plusieurs esprits faibles pour qui la Comédie est un poison mortel ne se déterminent quelquefois à y aller, qu’à cause qu’on y voit aller des personnes qui passent pour pieuses. […] Serait-il en effet nécessaire d’entrer en discussion avec un homme, qui connaissant, à ce qu’il dit, quelle est sur les spectacles la Tradition de l’Eglise manifestée par tous les Pères et les Conciles depuis le premier jusqu’au dernier, laisse à l’écart tous ces Pères et ces Conciles, « pour se rendre, dit-il, à la droiture de la raison », et à une autorité supérieure qu’il croit trouver dans quelques Scholastiques. « Si je m’abandonne à la rigueur avec les Pères de l’Eglise,ce sont ses termes23 , et que j’invective contre la Comédie, comme contre une des plus pernicieuses inventions du Démon, je ne puis lire nos Théologiens, ces grands hommes si distingués par leur piété et par leur doctrine, que je ne me laisse adoucir par la droiture de leur raisonnement, et plus encore par la force du leur autorité. […] , De quel air penses-tu que ta sainte verra D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse, Ces Danses, ces Héros à voix luxurieuse, Entendra ces Discours sur l’amour seul roulant, Ces doucereux Renaud, ces insensés Roland ; Saura d’eux qu’à l’amour, comme au seul Dieu suprême, On doit immoler tout, jusqu’à la Vertu même : Qu’on ne saurait trop tôt se laisser enflammer : Qu’on n’a reçu du Ciel un cœur que pour aimer ; Et tous ces lieux communs de morale lubrique, Que Lully réchauffa des sons de sa Musique. […] Il est certain qu’on croit communément que dans les livres même, où la Comédie se trouve dénuée de tous ces attraits du Théâtre qui parlent si vivement aux passions, elle ne laisse pas d’être dangereuse à plusieurs personnes.
Il convient donc de leur laisser leur indifférence en matière d’Etat. […] Les hommes étant donc nés bons comme vous dites, il s’ensuit qu’un homme bon doit leur plaire, et je me laisse facilement persuader que les applaudissements qu’ils accordent aux belles maximes de nos Tragédies, les rires qu’excitent les chagrins d’un vicieux tourmenté sur la scène comique, partent également de leur goût pour la vertu et du plaisir qu’ils ont de voir le vice dans l’embarras. […] Comment donc faire pour tuer le monde et le laisser vivre ? […] Tenez, accommodons-nous plutôt, quand on me dira une grosse injure, j’en répondrai une autre, si je suis le plus fort : voulez-vous me laisser votre marchandise à ce prix-là ? […] C’est ainsi que l’art, à force de nous émouvoir, établit en nous par l’habitude d’être remués, une disposition à l’être plus facilement ; et quiconque fréquentera les spectacles, ne peut qu’accoutumer son cœur à se laisser toucher en faveur des honnêtes gens infortunés, et concevoir une horreur plus forte pour l’injustice, la tyrannie et les autres vices qui les persécutent.
Remarquez en passant qu’on a corrigé dans cette Edition une Bévue très grossiere des précédentes, mais non pas sans y laisser glisser une Faute d’Impression. […] » Mais si vostre art a mort ne les ruyne » Ravis serez tous a la boucherie » Si gay n’aura de qui la bouche rie » S’il le convient laisser mettre en ruyne. […] » Dyables obscurs chascun soit incite » Pour ces maraulx a la mort faire rendre » Si dessus nous les laissez entreprendre » Dieu pis yra pour nous dessus les rens » Pour ce Sathan vers eulx le chemins prens » Pense souldain de leur liurer bataille » Pour mettre a fin la maudicte canaille » Transporte toy aux prestres de la loy » Lesquels tousjous ayent lor & aloy » En recordant leur mauldicte auarice » De ces coquins donne bien la notice, &c. […] Remarquez en passant qu’on a corrigé dans cette Edition une Bévue très grossiere des précédentes, mais non pas sans y laisser glisser une Faute d’Impression.
Quoique des Auteurs connus trouvent dans les Poëmes d’Homère, les premières traces des représentations Théâtrales, parce que d’une action en récits, il n’y a qu’un pas à l’action représentée ; quoiqu’il soit certain que Thespis ait fait le premier un art particulier de celle-ci : sans rien diminuer de la gloire qui leur est dûe à cet égard, nous passerons à la seconde époque de la Tragédie, à Eschyle, qui tira cet art sublime, de l’avilissement où Thespis l’avoit laissé. […] Le chœur avoit été le fond du Spectacle : mais depuis les changemens qu’il y avoit introduits, ce chœur n’en étoit plus qu’une partie accessoire : la traduction de Boileau est donc un contre-sens, qu’il est étonnant qu’on ait laissé échapper. […] Le génie, ennemi de la contrainte, se réfroidit, s’abaisse, dès qu’on ne lui laisse pas prendre un libre essor. […] Celles-ci laissent le cœur dans une espèce d’inertie ; celles-là, au contraire, lui représentent sa grandeur & nourrissent sa fierté.
Le roi, qui fait tant de choses avantageuses pour la religion, comme il l’avoue lui-même, ce monarque qui occupe tous ses soins pour la maintenir, ce prince sous qui l’on peut dire avec assurance que l’hérésie est aux abois et qu’elle tire continuellement à la fin, ce grand roi qui n’a point donné de relâche ni de trêve à l’impiété, qui l’a poursuivie partout et ne lui a laissé aucun lieu de retraite, vient enfin de connaître que Molière est vraiment diabolique, que diabolique est son cerveaul, et que c’est un diable incarné ; et, pour le punir comme il le mérite, il vient d’ajouter une nouvelle pension à celle qu’il lui faisait l’honneur de lui donner comme auteur, lui ayant donné cette seconde, et à toute sa troupe, comme à ses comédiens. C'est un titre qu’il leur a commandé de prendre, et c’est par là qu’il a voulu faire connaître qu’il ne se laisse pas surprendre aux tartufes et qu’il connaît le mérite de ceux que l’on veut opprimer dans son esprit, comme il connaît souvent les vices de ceux que l’on lui veut faire estimer. […] Il ne peut pas même souffrir ses révérences : cependant cette paysanne, pour être simple et civile, ne se laisse point surprendre. […] Nous ne devons pas laisser de louer ce critique : il réussit bien dans ce qu’il entreprend et soutient parfaitement le caractère des faux dévots dont il défend la cause.