» Toujours équitable, il examine, il écoute, agit, comme la sagesse, avec poids et mesure ; charitable, il craint, jusques dans ses plus innocentes railleries, de jamais blesser le prochain, car il est impossible aux railleurs de choisir si bien la matière, de mesurer si bien les coups, de peser si bien les circonstances, les intérêts, le goût, la sensibilité de tout le monde, qu'on n'aille souvent trop loin.
C’est l’idée qu’Horace continue d’en donner dans la premiere épître du livre 2, qu’il adresse à Auguste. « Nos aïeux, dit-il, ces hommes simples qui vivoient à la campagne dans la plus sobre frugalité, se faisoient un devoir, quand ils avoient renfermé leurs moissons, & qu’ils vouloient jouir d’un repos longtemps attendu, d’offrir avec leurs épouses fidelles, & leurs enfans, compagnons de leurs travaux, un porc à la Déesse de la Terre, une coupe de lait au Dieu Silvain, & au génie qui nous rappelle la briéveté de la vie, du vin & des fleurs. » Ce fut dans ces fêtes, qu’on inventa les Vers fescennins, qui étoient une sorte de dialogues8, dont on ne faisoit d’abord qu’un amusement innocent, mais qui ensuite dégénérerent en satyres. […] Nous serions sans eux, disoit Innocent XI, les plus ineptes.
Cela sert, disent-ils encore, à faire mieux voir l’emportement et l’entêtement du Père, qui peut rompre et rendre malheureuse une amitié si belle, née par ses ordres ; et l’injustice de la plupart des bienfaits que les Dévots reçoivent des Grands, qui tournent pour l’ordinaire au préjudice d’un tiers et qui font toujours tort à quelqu’un ; ce que les Panulphe pensent être rectifié par la considération seule de leur vertu prétendue, comme si l’iniquité devenait innocente dans leur personne. […] Or c’est ce qui se trouve merveilleusement dans notre Hypocrite en cet endroit : car l’usage qu’il y fait des termes de piété est si horrible de soi, que quand le Poète aurait apporté autant d’art à diminuer cette horreur naturelle, qu’il en a apporté à la faire paraître dans toute sa force, il n’aurait pu empêcher que cela ne parût toujours fort odieux : de sorte que, cet obstacle levé, continuent-ils, l’usage de ces termes ne peut être regardé que de deux manières très innocentes, et de nulle conséquence dangereuse, l’une comme un voile vénérable et révéré que l’Hypocrite met au-devant de la chose qu’il dit, pour l’insinuer sans horreur, sous des termes qui énervent toute la première impression que cette chose pourrait faire dans l’esprit, de sa turpitude naturelle.
On y voit les trois états de la nature humaine ; d’abord innocente, & dans le jour de la verité ; ensuite rachêtée & enbaumant toute la terre dans ses progrès par le parfum de la perfection évangélique ; enfin élevée dans la gloire toute resplandissante de beauté.
Qui s’attendroit qu’au milieu de cette multitude d’histoires galantes que débitent cinq ou six amans avec leur maîtresses qui passent quelques jours dans une maison de campagne à jouer, à se promener, à boire & manger, à dire des choses tendres, en un mot des journées amusantes, c’est-à-dire, au milieu de toutes les frivolités dont leur cœur & leur tête sont remplies, on s’avisat de traiter des affaires de la Régale & de Boniface VIII, de faire le procès au Pape Innocent XI de rapporter & d’éplucher les brefs qu’il écrivit, & ce que fit alors contre lui le Clergé de France : risum teneatis amici ?
Il étoit aisé à leurs adversaires de se couvrir de ce manteau, pour se cacher, & faire tomber le soupçon sut la société : plus d’une fois ces travestissemens affectés ont mis l’innocent à la place du coupable.
C’étoit une innocente d’une ignorance parfaite : encore il fallut bien des efforts, bien des ruses, même user de surprise pour la corrompre.
Quel malheur, si on se croit innocent & fort !