J’avoue donc avec sincérité que je sens dans toute son étendue le grand bien que produirait la suppression entière du Théâtre ; et je conviens sans peine de tout ce que tant de personnes graves et d’un génie supérieur ont écrit sur cette matière : mais, comme il ne m’appartient pas de prendre le même ton, et que d’ailleurs les Spectacles sont permis et soutenus par l’autorité publique, qui sans doute les permet et les soutient par des raisons que je dois respecter, il serait indécent et inutile de les combattre dans l’idée de les détruire : j’ai donc tourné mes vues d’un autre côté ; j’ai cru que du moins il était de mon devoir de produire mes réflexions, et le plan de réformation que j’ai conçu pour mettre le Théâtre sur un autre pied, et pour le rendre, s’il est possible, tel que les bonnes mœurs et les égards de la société me paraissent l’exiger : c’est ce que je ne pouvais entreprendre dans le temps que j’étais Comédien, pour les raisons que l’on trouvera dans le corps de mon Ouvrage. […] Dans le cours de ces douze années, je me suis livré à moi-même ; et je n’ai eu dans l’esprit que l’idée de la Réformation du Théâtre. […] Voilà de quelle manière et par quels motifs j’en ai conçu l’idée ; et je crois que c’était précisément à un homme tel que moi qu’il convenait d’écrire sur cette matière ; et cela par la même raison que celui qui s’est trouvé au milieu de la contagion, et qui a eu le bonheur de s’en sauver, est plus en état d’en faire une description exacte, et de fournir les moyens de s’en garantir que tout autre qui n’en aurait pas éprouvé les funestes effets.
Tout cela est bien opposé à la comédie. 2.° Sur-tout dans un âge tendre, susceptible de toute sorte d’impressions ; il faut écarter les mauvaises idées, les images licencieuses plus dangereuses pour une ame innocente. […] L’idée du mariage qui la termine ne dure qu’un instant à la fin de la piece, & on n’y pense plus. […] Autre idée qu’on n’a pu avancer que dans quelques momens de distraction : La lecture des comédies, la connoissance de l’art dramatique éloignera des spectacles les jeunes-gens. […] C’est dommage que dans un livre où il y a d’ailleurs de bonnes choses, il se soit glissé des idées si dangereuses & si peu raisonnables. […] Le serieux & les pleurs de la tragédie, qui causent la tristesse par l’idée des malheurs, le plaisant & le rire de la comédie, qui excitent la joie par l’idée du bonheur donnent des idées fausses, des biens & des maux, entretiennent fortifient, augmentent des sentimens déraisonnables.
Si nous avions l'idée du vice selon sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image. C'est pourquoi un des plus grands poètes de ce temps remarque qu'une de ses plus belles pièces n'a pas été agréable sur le théâtre, parce qu'elle frappait l'esprit des spectateurs d'une idée horrible d'une prostitution à laquelle une1 Sainte Martyre avait été condamnée.
Si nous avions l'idée du vice dans sa naturelle difformité, nous ne pourrions pas en souffrir l'image. C'est pourquoi un des plus grands poètes de ce temps remarque qu'une de ses plus belles pièces n'a pas été agréable sur le Théâtre, parce qu'elle frappait l'esprit des spectateurs de l'idée horrible d'une prostitution à laquelle une sainte Martyre avait été condamnée.
Si le fond peut soûtenir la depense, s’il fait naistre, s’il entretient, s’il ouvre, & s’il laisse de belles idées. […] Le brillant d’un Sujet doit estre toûjours gracieux, & ne laisser que d’agreables Idées. […] Ce qui ne roule que sur une simple Idée est toûjours fluet, delicat & tendre : malaisé à élever & à pousser jusqu’à la parfaite maturité & jusqu’à une juste corpulence. […] Car l’emprainte d’une Idée instruite est toute autre que celle d’une ame ignorante. […] Pour la forme ; de la neteté du moule, & de la parfaite ressemblance avec l’Idée du Poëte, & avec l’objet de cette Idée.
Passant ensuite à l’influence réelle du théâtre en France, et le considérant particulièrement aux époques des grands événements qui ont précédé ou suivi le cours de la révolution, j’ai fait voir qu’il avait beaucoup contribué au bouleversement de l’Etat, et nui singulièrement à sa prospérité, en affaiblissant les grandes idées religieuses dans l’esprit des peuples, en corrompant les mœurs, loin de les corriger, enfin en altérant jusqu’au bon goût, et en changeant même le caractère national sous le rapport du sentiment et de l’urbanité. […] C’est ainsi qu’après avoir parcouru successivement tout ce qui peut tenir à la gloire comme à le décadence de la Chaire, du Théâtre et du Barreau, et « en comparant chacune de mes idées avec l’idée éternelle du vrai et du juste, j’ai vu qu’il n’y avait de bien que ce qui était utile à la société et conforme à l’ordre, de mal, que ce qui leur était contraire. »(Eloge de Marc Aurèle.
Vous sçavez, Monsieur, que chaque homme a ses idées particulières, pour lesquelles on ne doit point lui faire son procès, quand elles ne troublent en rien la Société. […] Puissent mes Lecteurs vous imiter, Monsieur, & ne point en vouloir à l’Ecrivain dont les idées seraient opposées aux leurs !
J’apprenais de toutes parts qu’il y avait jeté quantité d’idées neuves et vigoureuses sur le danger des Spectacles, tels même qu’on les représente parmi nous, et usé de ces coups de force qui surprennent, réveillent, et donnent enfin ouverture à d’utiles réflexions. […] Je reconnus bientôt que vous suiviez le grand courant des idées reçues par les Partisans du Théâtre. […] Toute idée de vengeance disparaît alors ; il n’y a plus que la piété qui se montre et qui se signale. […] Mais ne confondons point ici les idées. […] C’est à son école seulement que vous trouverez ces idées autant vraies et exactes, que grandes et sublimes, qui échauffent et embrasent le cœur en même temps qu’elles éclairent l’esprit.