Cet esprit est répandu dans toute la piece, c’est un misantrope qui fait le procès à l’univers : Ce n’est pas qu’en effet j’augure mieux de l’autre, Les humains sont par-tout à l’intérêt livrés, Et les cœurs vertueux sont par-tout déchirés. […] Le cœur humain est une machine, & le ressort joue, une étincelle met le feu à la poudre. […] Honteusement conduite par des motifs humains, comme son mari, faut-il que je me fasse un nombre d’ennemis dans un parti puissant qui protège mon fils ?
Toutes les actions humaines dans le cours ordinaire & naturel des choses, n’ont aucun relief, aucune impression : la vertu ne jouit point de son lustre ; le crime masque adroitement son horreur : toutes les qualités sublimes n’ont qu’un éclat obscur ; les vices infames qu’une difformité légere. […] Et il n’est personne à qui il soit aisé d’en imposer sur la façon de les rendre : s’il est tendre, affectueux, compatissant ; on connoit le cœur humain, & personne n’ignore le ton qui lui est propre : qu’il soit enfin, ce rolle, doux, & bienfaisant, feroce & dur, sec & froid, triste & morne, sauvage, & héréssé : ce sont autant de caractéres dont chacun porte l’idée en quelque sorte & le sentiment en soi ; tout le monde sçait leur langage, & l’expression qui leur convient. […] En deux mots il faut proscrire l’Art Dramatique, ou maintenir les Acteurs dans le crédit & la considération qui leur sont dus : car enfin l’un ne peut aller sans l’autre, ou plûtôt on doit absolument les confondre : l’Art Dramatique est le chef-d’œuvre de l’esprit humain, & il n’a point assûrément d’égal parmi les beaux Arts.
Le mensonge, la flatterie, l’artifice, sont bassement mis en œuvre pour tromper le Prince, lui faire garder le diadème qu’il a envie de quitter, et avoir le plaisir d’assassiner un Souverain et ce même homme qu’on peint avec les couleurs les plus odieuses : « Si l’on doit le nom d’homme à qui n’a rien d’humain, A ce tigre altéré de tout le sang Romain… Et jamais insolent ni cruel à demi, etc. » Le même Cinna qui vient de tracer ce portrait, lui dit quatre pages après : « N’imprimez pas, Seigneur, cette honteuse marque A ces rares vertus qui vous ont fait Monarque. […] Ces spectacles renouvellent les combats des gladiateurs, où l’on se faisait un plaisir de voir couler le sang humain. […] Il me semble voir le fameux réservoir de Montezumax, dans l’histoire du Mexique, où ce Prince nourrissait de chair humaine, une multitude de crapauds, de serpents, de vipères.
On s’attroupe autour de lui, on le déplume, on le hue, on lui jette de la boue, on le poursuit, il est reconnu, on crie au scandale, il se dégage de la foule, dégouttant de miel & de sueur, va se jetter dans la riviere & se cacher dans les roseaux ; ses feux s’amortissent, un froid glaçant le saisit, une lymphe âcre se jette sur ses nerfs, se joue de tout le savoir des médecins, & en fait le racourci de la misere humaine : il n’avoit de libre que les yeux, la langue & les mains ; il étoit si défiguré, si replié sur lui-même en cul-de-jatte, qu’il ressembloit à la lettre Z.
Les passions humaines débitent sur le théâtre les maximes du démon.
Comme les règlements même de la discipline humaine nous servent de préjugé contre ce dérèglement.
Il y a non seulement des farces indifférentes, mais honnêtes ; et si on demande combien il y a de Comédies honnêtes, on peut répondre qu’il y en a autant que d’actions honnêtes parmi les hommes : que si ce qui suit la Comédie peut être plus proprement appelé le tableau des actions humaines, si par hasard on y représente quelque chose qui choque la modestie, combien les actions en effet sont-elles plus odieuses, dont les Comédies ne sont que le tableau ?
Je crois aussi que comme on lui aura fait suivre les véritables idées des choses, et reconnaître les bornes de l’esprit humain, il ne donnera point dans les visions de ceux qui cherchent la quadrature du cercle, et la pierre philosophale, ou qui veulent deviner l’avenir par les conjonctions des Astres.