La raison et la Religion ne nous permettent pas de regarder simplement l’impureté comme une chose ridicule ; elles veulent que nous en ayons horreur, et elles demandent que nous en ayons tant d’éloignement, que nous n’y pensions jamais. […] Pour en donner de l’horreur, le Poète auroit dû, non pas feindre ces succès imaginaires qui n’arrivent jamais ; mais rapporter simplement les malheurs où s’engage infailliblement un jeune homme, qui se marie à l’insu ou contre la volonté de ses parents. […] Les vices dont elle donne de l’horreur, paraissent horribles d’eux-mêmes sans artifice.
Si je dis simplement à cet homme : « Phèdre est une Marâtre qui persécute cruellement le fils de son mari, jusqu’au moment qu’elle en devient éperdument amoureuse ; sa déclaration n’excite que l’indignation et l’horreur de la part d’Hippolyte ; la rage, la honte et la jalousie la portent à l’accuser auprès de Thésée du crime dont elle est coupable elle-même. […] J’avoue qu’un attachement trop rigoureux à cette règle aurait banni du Théâtre des sujets vraiment tragiques, tels que Britannicus, Atrée et Mahomet : mais je remarque en même temps, que Néron et les deux autres monstres ci-dessus ne gagnent rien à leur triomphe qu’une horreur plus grande de la part des Spectateurs ; je le prouverai bientôt. […] Les grands Auteurs, qui savent cela, ne risquent donc rien de violer avec discernement la règle établie de faire triompher la Vertu et de punir le Vice, parce qu’ils s’imposent alors celle de rendre leur personnage si odieux, qu’il résulte de sa félicité une horreur plus vive pour les crimes qui la lui ont procurée. […] Je vis l’horreur et l’indignation se peindre sur tous les visages et monter au comble à mesure que la pièce approchait de la catastrophe : toute l’assemblée nous honora de compliments sur l’exécution, et chacun de ces compliments exprimait l’impression que les assistants avaient reçue. […] » cf Vous voyez bien Monsieur que le scrupule de mettre de grands Criminels sur la Scène serait pusillanime puisque les produisant il en résulte qu’on en conçoit une horreur plus forte pour le crime, et que l’effet que vous craignez que leur exemple ne produise n’est qu’une chimère, puisqu’il ne s’est jamais manifesté depuis tant de milliers d’ans que l’histoire, l’épopée, la Tragédie et la Scène mettent sous les yeux des Scélérats ; mais Mahomet n’est point puni, non Monsieur.
Or le principal frein qui sert à l'arrêter est une certaine horreur que la coutume et la bonne éducation en impriment ; et rien ne diminue davantage cette horreur que la Comédie; parce que cette passion y paraît avec honneur et d'une manière qui, au lieu de la rendre horrible est capable au contraire de la rendre aimable.
Or ce qui y sert le plus est une certaine horreur que la coutume et la bonne éducation en impriment ; et rien ne diminue davantage cette horreur que la Comédie, parce que cette passion y paraît avec honneur et d'une manière qui, au lieu de la rendre horrible, est capable au contraire de la faire aimer.
Le Théatre, il est vrai, faisoit souvent usage des enchantemens, & en Grece, & à Rome ; mais les Chrétiens n’y paroissoient pas : ils avoient horreur de la scène, & ses prestiges ne faisoient impressions sur aucun Fidele. […] Les anciennes diableries donnoient horreur du vice, en le montrant puni par les démons ; les nouvelles au contraire favorisent, inspirent, embellissent le vice, par les graces des actrices, les agrémens de la poësie, les charmes de la musique, la lubricité de la danse, l’obcénité des décoration, le scandale de l’intrigue & du succès. […] On choisissoit des forêts, des lieux déserts ; on prenoit le temps de la nuit, pour inspirer plus d’horreur, par la solitude, le silence & les ténebres, pour être plus libre, & mieux cacher les infamies qui s’y introduisirent ; on y venoit en foule, on y dansoit, chantoit, s’enivroit ; il s’y trouvoit des libertins, des mendians, des voleurs, quelques personnes de bonne-foi dont on avoit surpris la crédulité : voilà le Sabbat. […] Les attraits, l’indécence, la facilité, l’invitation des actrices, la scandaleuse multitude des objets séduisans dont on est environné, des piéges qui y sont tendus, dont presque personne n’échappe, ce corps de péché en donnoit horreur, comme il en donne encore aux Chrétiens, excitoit le zele des ministres, & allumoit les foudres de l’Eglise, comme il fait encore.
Je conclus donc que les personnages qui meurent peuvent être innocents, et que les Spectateurs peuvent s’en affliger tant qu’ils veulent ; pourvu qu’à côté de la compassion marche toujours, suivant le besoin, ou l’horreur du vice, ou l’amour de la vertu ; et c’est l’effet de ce sentiment, qui constitue la catastrophe. […] La catastrophe, c’est-à-dire les sentiments de haine et d’horreur qu’on concevra contre l’Auteur de la mort de Géta et de Justine, en seront plus violents ; et en ce cas les Spectateurs pourront les plaindre l’un et l’autre tant qu’ils voudront : d’un côté, la compassion la plus tendre ; de l’autre, l’horreur du crime de Caracalla rempliront tout ce qu’on peut souhaiter dans une Tragédie. […] A l’égard de la compassion que l’on peut avoir pour les personnages qui meurent, elle ne doit point balancer l’horreur que l’Auteur de tant de carnage inspire ; et c’est, comme je l’ai déjà dit et comme je le pense, l’horreur du crime, ou l’amour de la vertu, qui établit la catastrophe. […] J’y trouvais la véritable horreur tragique, telle que les Anciens l’ont connue ; mais modifiée à la manière des modernes, avec un art qui me paraissait admirable. […] La passion d’amour dans Artemise et dans Ilione n’inspire pas une simple compassion dénuée d’horreur ; car le Spectateur ne peut se dispenser de se souvenir que, si ces deux Princesses n’avaient pas aimé avec une extrême violence, elles ne se seraient pas tuées après la mort de leur Amant : ainsi leur exemple, par l’horreur qu’il cause, n’est pas moins instructif que celui d’Hermione et de Pyrrhus dans la Tragédie d’Andromaque.
Ce que je vais t’apprendre doit te faire horreur… Ces larmes que tu surpris un jour lorsque j’étais à Poitiers… ô mon ami ! […] Un instant plus tard, j’étais deshonoré dans son esprit ; elle venait de tout apprendre, je ne sais comment ; si la première elle eût entâmé ce discours, moi-même, je me fusse cru forcé par la nécessité ; je n’aurais pu m’honorer à mes yeux de ma franchise & de mes remords… Le mystère qu’elle découvrait, l’idée d’enlever… à la plus vertueuse épouse, le cœur de son mari… cette idée parut lui faire horreur. […] J’observe que monsieur D’Alzan s’est découvert lui-même… Une lueur d’espérance semble sortir de ce goufre d’horreurs… Oui, ma sœur, il aime encore la vertu.
Les auteurs semblent s’être mis au défi, et lutter entre eux à qui mettra sous les yeux du public le plus d’horreurs et d’obscénités ; ils y épuisent leur imagination, ils y consacrent leurs veilles. […] Pénétrer l’ame d’horreur est le seul but des auteurs d’aujourd’hui, mais est-ce bien là remplir la mission de l’écrivain ? […] Les auteurs, pour se justifier, ne peuvent pas se prévaloir de l’action des mœurs sur la scène ; et si toutes les horreurs qu’ils inventent pour amuser la nation la plus douce du monde, attirent la foule, elle n’est conduite que par l’attrait de la nouveauté, par cette insouciance légère que l’on reproche avec quelque justice au caractère français. Je ne puis m’empêcher de citer ici ce que le tragique le plus soumis aux sentiments de ses contemporains pensait du devoir des auteurs dramatiques envers le public ; en parlant de sa tragédie de Phèdre, Racine disait : « Les moindres fautes y sont sévèrement punies, la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même. […] Ainsi que cette réunion distinguée d’hommes célèbres en tout genre, ainsi que tous les hommes jaloux de la gloire nationale, je répudie une scène qui calomnie nos mœurs, flétrit notre littérature, repousse l’ami des hommes, la femme qui sait encore rougir, d’où la jeune fille ne peut sortir sans tache, et le jeune homme sans ressentir moins d’horreur pour le crime.