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77. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE VI. Où l’on examine si le Bal public proposé par M. Rousseau ne serait pas plus préjudiciable aux mœurs de Genève, que le spectacle qu’il proscrit. » pp. 211-224

Sully n’aurait vu dans les spectacles que ce que tous les gens sages y voient : un délassement utile et nécessaire, le seul digne d’occuper des gens sensés et de leur faire moins regretter le loisir qu’ils sont forcés de donner à la réparation de leurs forces, et de la tête et de l’esprit. […] De peur que la luette ne lui tombe à force de caquet, on lui donnera force Café, Thé, Chocolat, Liqueurs fraîches etc. […] La Police, en tous lieux, a besoin de s’appuyer de la force, parce qu’il y a partout des réfractaires, et Genève est obligée, comme toutes les autres Républiques, d’employer sans doute cette marque de la Tyrannie pour conserver sa liberté.

78. (1640) Lettre apologétique pp. 2-42

Lettre apologétique ou défense contre le Libelle du Père Augustin L’Approbation que la Comédie reçoit des plus célèbres esprits de ce siècle, lui sert d’un puissant avantage, pour se défendre contre le Père Augustin, qui non content de la faire l’objet de sa passion, tâche de la rendre odieuse, par la force de ses calomnies, et priver un chacun du plus agréable divertissement, qui sonta entre les exercices de l’esprit. […] Mais si nous considérons en quel point est aujourd’hui la Comédie, nous trouverons qu’elle n’a aucune marque de l’antiquité, et ceux qui la professent, témoignent par la probité de leur vie, et par la représentation de leurs actions, qu’elle est entièrement dépouillée de toutes les qualités, qui pouvaient la noter d’infamie, et son mérite, l’ayant montée au plus haut degré de sa perfection, s’est mise dans une telle considération, auprès des Rois et des Princes, qu’elle leur tient lieu d’une sérieuse occupation ; Aussi se fait-elle avec tant de modestie, par l’innocence de ses poèmes, qu’elle dépite l’envie d’en offenser la réputation ; Je dirai de plus qu’elle est tellement Civile en ses diversités, qu’elle contraint les plus Religieux de lui donner des louanges, et chacun confesse que la force de ses charmes est si grande, qu’il faut être privé de sens commun pour en choquer la bonne odeurk ; Si l’on regarde le nombre de ses qualités, on verra, que c’est le tableau des plus agréables passions, la parfaite image de la vie humaine, la vraie histoire parlante, la pure philosophie visible, l’entretien des bons esprits, le trône de la vertu, l’exemple de l’inconstance des choses, l’ennemie de l’ignorance, le modèle de l’Orateur, le raccourci de l’éloquence, le Cabinet des plus riches pensées, le trésor de la moralité, le miroir de la justice, le magasin de la fable ; bref j’en dis peu pour n’en pouvoir dire assez, et j’ai de trop faibles Eloges, pour la moindre de ses parties : Et quoique ce Pédant l’attaque par les plus rudes invectives de sa haine, elle est un puissant rocher, contre l’orage de ses malédictions, une tour, pour résister aux écueils de sa médisance, une muraille de bronze contre ses calomnies, un boulevard pour s’opposer à ses accusations, un bouclier contre ses impostures, un rempart capable de dissiper la foudre de passion, elle est enfin à l’épreuve de ses machines, et conservera sa renommée malgré l’effort de ses intentions. […] Qu’il considère combien la Calomnie est préjudiciable à la réputation des hommes, et comme elle opprime la vertu des plus justes actions, que sa rigueur a troublé les plus grands des siècles passés, qu’elle a décoché ses traits contre les plus vertueux, qu’elle a été le fusil de la division des choses, qu’elle a ruiné l’harmonie de l’amitié des hommes, qu’elle a pris l’innocence à partie, qu’elle a essayé de corrompre toute la terre, bref qu’elle n’a rien exempté du joug de son pouvoir, puisque Dieu même a subi la force de sa tyrannie ; par le blasphème des Juifs, qui l’appelaient séducteur, corrupteur des lois, ennemi de l’Etat, un séditieux, un larron, et autres impiétés opposées diamétralement à l’éclat de ses belles vertus. […] Je dirai de plus, qu’il n’y a point d’impostures que sa langue n’ait trouvé dans l’égout de son papier journalier, pour essayer de ruiner la réputation de ceux qui la professent, et comme la médisance est la plus belle partie de son âme, ses injures sont aussi le plus riche ornement de son esprit, et pour dire en un mot de tous les vices d’un Calomniateur, ce Religieux en fait la grandeur de sa vertu et la force de sa Rhétorique.

79. (1731) Discours sur la comédie « PREMIER DISCOURS SUR LA LETTRE DU THEOLOGIEN DEFENSEUR DE LA COMEDIE » pp. 2-32

Certainement il s’en pourrait trouver parmi eux qui mènent une vie laborieuse et appliquée, à qui quelques heures de divertissement dans la semaine conviendraient peut-être bien mieux qu’à la plupart des gens du monde, qui ne se lassent qu’à force d’être oisifs ; et par conséquent si la Comédie était un divertissement fort innocent et fort honnête, les Ecclésiastiques tels que ceux dont je viens de parler qui iraient se délasser une fois la Semaine à la Comédie, seraient peut-être bien plus excusables que ne le sont les gens du monde, et surtout la plupart des femmes, qui ne s’appliquant jamais sérieusement, cherchent mal à propos à se divertir. […] Charles ; car ne pouvant abolir les spectacles, il fit ordonner au 3e Concile Provincial21, que les Prédicateurs reprendraient avec force le dérèglement de ces plaisirs publics que les hommes séduits par une coutume dépravée mettaient au nombre des bagatelles où il n’y a point de mal : qu’ils décrieraient avec exécration les spectacles, les jeux, les bouffonneries du Théâtre et les autres divertissements semblables qui tirent leur origine des mœurs des Gentils et qui sont contraires à l’Esprit du Christianisme : Qu’ils se serviraient de tout ce qui a été dit de plus pressant sur ce point par Tertullien, S. […] Le Carême ne se passe point qu’ils ne parlent souvent avec beaucoup de force contre les spectacles ; et si quelqu’un s’avisait de faire un Sermon en faveur de la Comédie, il pourrait bien s’assurer qu’il ne remonterait en Chaire que pour réparer la faute qu’il aurait faite. […] Serait-il en effet nécessaire d’entrer en discussion avec un homme, qui connaissant, à ce qu’il dit, quelle est sur les spectacles la Tradition de l’Eglise manifestée par tous les Pères et les Conciles depuis le premier jusqu’au dernier, laisse à l’écart tous ces Pères et ces Conciles, « pour se rendre, dit-il, à la droiture de la raison », et à une autorité supérieure qu’il croit trouver dans quelques Scholastiques. « Si je m’abandonne à la rigueur avec les Pères de l’Eglise,ce sont ses termes23 , et que j’invective contre la Comédie, comme contre une des plus pernicieuses inventions du Démon, je ne puis lire nos Théologiens, ces grands hommes si distingués par leur piété et par leur doctrine, que je ne me laisse adoucir par la droiture de leur raisonnement, et plus encore par la force du leur autorité. 

80. (1742) VIII. Conférence. De la Comédie, contraire aux promesses du Batême [Conférences théologiques et morales, IV] « X. Conference sur les sacremens. » pp. 223-247

Saint Augustin au commencement du V. siécle, ne s’en est pas expliqué avec moins de zèle & de force, au livre I. de la Cité de Ludi scenici, spectacula turpitudinum & licentia vanitatum, … astutia nefandorum spirituum prævidens illam pestilentiam (idololatriæ) jam fine debito cessaturam, … aliam longe graviorem, … non corporibus, sed moribus curavit immittere. […] est parmi les Théologiens d’une grande autorité ; & pour n’avoir paru que dans le XIII. siécle, son témoignage n’en a pas moins de force, pour rendre recommandable ce qu’il a jugé digne de son approbation. […] Saint Thomas en ces endroits parle seulement de certains jeux de théatre, qui sont en quelque façon utiles & même nécessaires pour l’honnête récréation du monde, par maniére de délassement d’esprit ; tels que sont les piéces qu’on représente en nos tragédies, des révolutions de Régnes & d’Empires par le sort des armes ; des histoires tragiques & surprenantes, qui n’excitent que des passions nobles, comme l’admiration, par la singularité des glorieux événemens & de quelques faits prodigieux ; la compassion, par la fatale destinée de quelques illustres malheureux que le sort a outragés nonobstant leur vertu ; tantôt la joie, quelques momens après la tristesse & la douleur ; tous ces mouvemens opposés d’espérance, de force ou de crainte, dont la variété plaît & réjouit innocemment l’esprit sans corrompre le cœur, parceque les mœurs n’y sont aucunement intéressés. […] On permet la comédie dans des Etats Chrétiens, de même qu’on n’y empêche pas, mais qu’on y tolére certains maux, pour en éviter d’autres encore plus grands ; c’est-à-dire, par force & bien à contre-cœur. […] On n’a jamais vû personne se convertir au sortir d’une comédie par la force de ces critiques que l’on compare aux morales les plus intéressantes, comme on en voit changer de conduite & réformer leurs mœurs après une éloquente & patétique prédication : & c’est une erreur de croire que la comédie soit un plaisir innocent & même avantageux, parcequ’on y censure tous les vices.

81. (1687) Instruction chrétienne pour l’éducation des filles « CHAPITRE XIII. Des jeux, des spectacles, et des bals, qui sont défendus aux Filles Chrétiennes. » pp. 274-320

De là vient qu’ils s’élèvent contre ceux qui leur représentent leurs vices et leurs passions injustes, ils les fuient, ils les évitent, et ne les peuvent supporter de peur que la vérité connue, ne les force d’abandonner ce qu’ils aiment. […] Les femmes néanmoins ne doivent pas tirer avantage de cette force : et c’est, dit un grand Saint, comme si on se vantait de la force d’un poison malin, qui tuerait un homme sur le champ, ou comme si on estimait la violence d’un torrent impétueux qui ravagerait tout ce qu’il rencontre, ou enfin comme qui louerait la force des vents, qui font périr les vaisseaux sur la mer, et qui renversent quelquefois les arbres et les maisons sur la terre. […] , dont les meilleurs ne valent rien, et quand il parle à sa Philotée, ne les appelle-t-il pas des récréations impertinentes, et des passe-temps très dangereux, parce qu’ils dissipent l’esprit de piété, affaiblissent les forces de l’Ame dévote, ralentissent le feu de la charité Chrétienne, et excitent dans le fond du cœur mille sortes de mauvaises affections.

82. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE II. De la Tragédie. » pp. 65-91

Il n’aimait sûrement pas la Vertu et voilà tout à coup qu’on la lui fait aimer, et qu’on le force à pleurer pour elle : sondez son cœur dans ce moment, vous verrez qui des deux y triomphe, ou du Vice ou de la Vertu. […] Impatient déjà d’expier son offense Au-devant de ton bras, je le sens qui s’avance Frappe. etc.. » bj Ce n’est point Phèdre directement, c’est Œnone sa confidente qui conduit la malheureuse intrigue qui cause la mort d’Hyppolite ; en un mot si l’on sent de l’horreur pour le crime de Phèdre, elle force en même temps le Spectateur d’aimer ses remords et sa vertu à l’exemple de ce Prélat si célèbre par les charmes de son éloquence, par la profondeur de son savoir et par l’éclat de ses vertus ; « Phèdre disait-il, toute incestueuse qu’elle est, me plaît par sa vertu. »bk Remarquez s’il vous plaît, que le Vice ne gagne rien à l’intérêt qu’on prend pour Phèdre, la vertu de celle-ci augmente au contraire l’exécration qu’Œnone mérite d’un bout à l’autre de la pièce. […] Primo, que l’on doit fuir soigneusement l’occasion et ne jamais présumer de ses forces ; secundo, que la prévention des Juges fait la perte des innocents ; tertio, que les flatteurs « sont le présent le plus funeste qu’ait jamais fait aux Rois la colère céleste »bl . […] Ce n’est point la grandeur d’âme qui le porte à se donner la mort, c’est le désespoir, c’est la rage de n’avoir pas réussi dans son affreux projet ; situation de son cœur qu’il peint si bien dans les derniers vers qu’il prononce en faisant encore un effort pour poignarder quelqu’un : « Cruels, qui redoublez l’horreur qui m’environne, Qu’heureusement pour vous la force m’abandonne : Mais croyez qu’en mourant mon cœur n’est point changé. » bv Qui voudrait-il assassiner, ce prétendu grand homme ? […] Pour fortifier un jeune homme dans ses exercices, pour le former et lui procurer la vigueur nécessaire, on doit lui proposer un but auquel il ne semble pas naturel qu’il puisse atteindre, afin qu’en multipliant ses efforts et ses tentatives, il acquière la force et l’adresse nécessaires pour y parvenir dans la suite.

83. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE VII. Du Père Porée. » pp. 149-177

Tout intéressés qu’ils soient, ils nous sont favorables, & à travers quelque mince apologie qu’ils devoient à leur compagnie & à leurs ouvrages, la force de la vérité les entraîne, & la vertu est en sûreté dans leurs mains. […] Son discours sur les romans donne à ces vérités une nouvelle force, par une identité de raison évidente. […] On ne voit plus rien de honteux dans le vice déguisé & embelli ; & à force d’y applaudir, on apprend à n’en plus rougir; on ne retient que trop ce qu’on a appris. […] Mais on se trompe, l’Evangile défend par-tout ces divertissemens : la pureté du cœur, la mortification des sens, la foiblesse de la chair, la légèreté de l’esprit, la force des passions, la malice du démon, la suite des occasions, la haine du monde, &c. […] La force de la vérité lui a fait condamner l’esprit & les usages de sa Société.

84. (1731) Discours sur la comédie « TROISIEME DISCOURS » pp. 304-351

En effet Jésus-Christ nous déclare dans l’Evangile, que toute la Loi et les Prophètes sont renfermés dans ces deux Commandements. « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » Mais quel amour pense-t-on que l’Ecriture veut qu’on ait pour soi et pour son prochain ; c’est certainement un amour bien différent de celui que la Comédie inspire. […] « Que la tête de ce superbe soit coupée de sa propre épée, qu’il soit pris par ses propres yeux comme par un piège, et que j’aie assez de force pour le faire périr. […] « Mais ils la laissèrent passer en lui disant, que le Dieu de nos pères vous donne la grâce, et qu’il affermisse par sa force toutes les résolutions de votre cœur, afin que Jérusalem se glorifie en vous, et que votre nom soit au nombre des Saints et des Justes. […]  » Il suit de tout cela, que quand même il se trouverait des Poètes qui auraient les lumières d’un saint Ephrem, d’un saint Ambroise, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Paulin ou des autres Poètes qui ont eu l’esprit de Dieu, et qu’on pourrait faire des pièces où l’Ecriture conserverait toute sa force et toute sa pureté, ce serait la profaner que de la mettre dans la bouche des Comédiens et des Comédiennes, pour être jouée dans un lieu destiné au divertissement. […] Instruisons-nous dans cette école si noble et si digne des enfants de Dieu, si nous nous plaisons à la beauté et à la magnificence des spectacles, désirons de voir cette sagesse éternelle, qui atteint avec force depuis une extrémité du monde jusqu’à l’autre, et qui place avec tranquillité chaque chose dans l’ordre où elle doit être ; car qu’y a-t-il de plus admirable que cette puissance spirituelle et invisible qui a formé et qui gouverne tout ce monde corporel et spirituel ?

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