La Comédie a un grand avantage au-dessus des instructions philosophiques, contenues dans une infinité de bons ouvrages, en ce qu’elle expose sous les yeux un tableau animé des passions humaines, & qu’elle ébranle fortement les sens, pour porter par leur canal la conviction jusqu’au fond du cœur : car telle est la loi de l’union de l’ame avec le corps, que toutes nos idées ont pour cause premiere les objets sensibles, lesquels ne peuvent parvenir jusqu’au siége intellectuel sans y avoir été portées par les sens qui veillent sans cesse autour de l’ame pour l’avertir de ce qui se passe hors d’elle.
Que les raisons que l’on a rapportées jusqu’à présent, pour prouver que la Comédie condamnée n’est point celle qui existe aujourd’hui, n’ont jamais été exposées avec assez de soin. […] Et étoit-ce là le moment de se flatter, après tous les crimes que l’on vient d’exposer, que l’on voudroit bien se prêter à un nouvel Examen au sujet des Spectacles, & que l’on auroit quelqu’indulgence, pour qui ? […] Des raisons que l’on vient d’exposer, on peut conclure que la Comédie, telle qu’elle a été dans sa naissance, & telle qu’elle est aujourd’hui, doit passer pour l’effet de la sagesse des Peuples les plus polis, & que sa disgrace vient : Chez les Grecs, de la témérité d’Aristophane. […] On se flatte d’avoir exposé un si grand nombre de raisons, que l’on espere qu’elles produiront des effets utiles ; & une remarque digne d’attention, c’est que les Personnes les plus pieuses & les plus éclairées, s’écartent de leur objet, sans y penser ; car un moyen certain de rendre les Acteurs, les Auteurs & les Spectateurs plus sages, est de lever l’Excommunication prononcée contre les Comédiens.
Un beau jour qu’elle représentoit le Martyre de Sainte Cécile (cette même piece à laquelle il avoit refuse d’aller) devant le Roi, la Reine, & toute la Cour d’Espagne, après avoir tout charmé, & fait couler des torrens de larmes, des que la piece fut finie, elle descend du théatre, & va se jeter aux pieds de la Reine lui expose avec mille sanglots son état & ses dispositions, sa résolution de se faire Religieuse, l’obstacle qu’y met sa famille, l’infamie de sa profession, le danger que lui fait courir la multitude des amans qui l’assiege ; demande à cette Princesse sa protection & ses graces ; que la profession religieuse étoit un mariage avec Dieu, l’Epoux des Vierges ; que ses libéralités ne pouvoient être mieux employées (c’étoit le temps où la Reine avoit accoutumé de distribuer des sommes considérables pour marier de pauvres filles). […] Elle fit plus, connoissant combien elle étoit gênée, & même exposée dans sa famille, elle la retira de ses mains, & la remit à une Dame de la Cour pour la garder chez elle jusqu’à ce que tout fût arrangé pour son entrée dans un Monastere. […] Forval a exposé sa vie. […] La Confrairie des Pénitens blancs de cette ville, érigée sous l’invocation du Saint Esprit, a obtenu du Roi un droit pour l’établissement d’un opéra ; & pour former des Acteurs & Actrices, spectateurs & spectatrices, elle s’est chargée d’enseigner gratuitement la musique ; & pour marquer au Roi sa reconnoissance d’un bienfait si précieux pour des Pénitens, ils ont fait des processions, chanté des grand’messes, exposé le S.
Les seconds se passoient entre un ou plusieurs hommes contre une ou plusieurs bestes ou privées ou farouches, quoy que ces dernieres n’ayent esté exposées que depuis la construction des Amphiteatres où l’on pouvoit s’en divertir sans hazard. […] Les coupables estoient encor plus maltraitez, malgré leur force ou leur dexterité, ils estoient exposez aux bestes, & mesme quelquefois liez à des poteaux pour regaler plus tranquilement les Lions, & pour asseurer leur supplice contre tous les hazards d’une trop forte ou resoluë defense. […] Tacite ne dissimule pas, que sous Neron les femmes & mesme les gens de qualité ne se soient exposez à l’infamie de ces Combats. […] Les 10. estoient des restes malheureux des bestes farouches, que leur bon-heur ou leur vaillance avoit sauvé de la fureur des Lyons & des Ours, où ils avoient esté exposez durant tout le matin.
Je vous avouë pour cette raison, que j’ai cherché moi-même des temperamens pour sauver ce qu’on doit à Jesus-Christ, sans exposer ces Dames à la raillerie des insensés, & sans troubler les delices des autres. […] Cette decision de saint Paul peut servir de resolution au doute, que Madame *** proposa : car je veux pour un moment, que la Comedie dont je parle, soit comtée entre les choses indifferentes, ou qu’elle passe pour telle à l’égard des personnes, qui ne courent aucun danger d’y commettre le peché : je veux même, pour pousser le parallele plus loin, que la Comedie soit pour des ames, qui ont une vertu à l’épreuve, ce que les viandes immolées aux Idoles étoient pour ceux qui étoient instruits de la liberté des enfans de l’Eglise : mais on m’avouera, comme les Corinthiens, quand ils donnerent occasion aux autres, qui n’étoient pas si bien instruits, devinrent coupables du scandale qu’ils leur donnoient ; que ceux-ci, quand par leur exemple ils authorisent les autres, qui n’ont pas la même force, ni une vertu qui se peut exposer au danger de commettre le peché, sont aussi responsables de tout le mal, que les foibles y feront. […] Qu’une Dame, dont la malheureuse tâche est de se faire aimer jusqu’à la passion, qui n’est pas honteuse de permettre cent legéres libertés ; qu’une Dame, dont les yeux, les paroles, les habits, l’air vain & coquet cinquante fois par jour étudié au miroir montrent, qu’elle n’a aucun soin de son salut, aille à la Comedie : elle ne sera coupable que de ses propres pechés : mais celles, que vous me peignez en vôtre lettre, ont assez de reputation de vertu, pour servir par leur exemple de prétexte aux autres, qui s’exposent évidemment au peché : & par consequent on ne peut plus doûter qu’elles ne pechent, quand elles vont à la Comedie ; & que les Anges Gardiens des personnes, auxquelles elles auront été une occasion de chute, n’en demandent un jour vengeance à la Justice Divine. […] Si un Pere ne remplit pas les dévoirs d’un Pere Chrêtien, lorsqu’il n’éloigne pas d’auprès de ses enfans les livres dangereux ; à combien plus forte raison lui est-il defendu de donner des préceptes à sa Fille, qu’elle s’expose à faire les prémiers naufrages de son innocence ?
Le Conseil de conscience soussigné, estime que les demandes de l’exposé dépendent d’une principale, qui est de savoir si la Comédie est une chose permise ou non ? […] Un ancien Auteur, parmi les ouvrages de saint Augustin40 dit, que « pour obtenir le pardon entier de ses péchés, on doit s’abstenir des Spectacles : car si Dina ne s’était point exposée à voir ce qu’elle ne devait point voir, elle ne se serait point perdue ». […] C’est en quoi l’on a pu se tromper, quand on a dit dans l’exposé que les Auteurs Ecclésiastiques des premiers siècles de l’Eglise, comme Salvien et Lactance n’ont condamné les Spectacles que par des raisons particulières qui ne se rencontrent pas dans ceux de ce siècle : on a apporté ci-devant l’autorité de Salvien. […] L’on voit partout ce raisonnement qu’on ne doit point comparer, comme on a fait dans l’exposé, la Comédie dont le sujet serait malhonnête, ou bien dans laquelle on représenterait quelque passion violente avec un tableau qui représenterait l’une de ces choses. […] Il faut remarquer que l’on ne joue pas la Comédie pour une seule personne, c’est un Spectacle que l’on expose à toute sorte d’esprits, dont la plupart sont faibles et corrompus, et à qui par conséquent il est extrêmement dangereux.
Nous a fait remontrer, qu’il auroit composé un Livre intitulé, l’Idée des Spectacles Anciens & Nouveaux, qu’il desireroit donner au public, s’il nous plaisoit luy en accorder la permission, & iceluy faire imprimer, requerant nos Lettres à ce necessaires : A ces causes, desirant favorablement traiter l’Exposant : Nous luy avons permis & octroyé, permettons & octroyons par ces Presentes, de faire Imprimer le dit Livre par l’un de nos Imprimeurs par nous choisis & reservez, que bon luy semblera, en tel marge, volume & caractere, & autant de fois qu’il voudra, durant le temps de sept années, à commancer du jour qu’il fera achevé d’imprimer ; pendant lequel temps, faisons tres-expresses deffences à tous Imprimeurs, Libraires & autres personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, de l’imprimer ou faire Imprimer, vendre & distribuer en aucun lieu de nostre Royaume, Païs & Terres de nostre obeïssance, sans le consentement dudit Exposant, ou de ceux qui auront droit de luy : à peine de deux mille livres d’amande, aplicable un tiers à l’Exposant, un tiers à Nous, & l’autre tiers à l’Hôpital General de nostre Ville de Paris, de confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens, dommages & interests ; à la charge qu’il en sera mis deux Exemplaires en nostre Bibliotheque, un en celle de nostre Cabinet, de nostre Chasteau du Louvre, & un autre en celle de nostre Amé & Feal, le Sieur Seguier, Chevalier, Chancelier de France, avant que de l’exposer en vente, & que ces Presentes seront registrés sur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires & Imprimeurs.
Vous savez ce que coûte l’absence d’un époux ; vous vous étiez promise de ne plus vous y exposer : mais vous n’éprouvates jamais ce vide que laissent l’indifférence de l’époux, & l’absence d’une amie… Ah !