Ainsi la Comédie par sa nature même est une école et un exercice de vice, puisqu'elle oblige nécessairement à exciter en soi-même des passions vicieuses. Que si l'on considère que toute la vie des Comédiens est occupée dans cet exercice : qu'ils la passent tout entière à apprendre en particulier, ou à répéter entre eux, ou à représenter devant des spectateurs, l'image de quelque vice ; qu'ils n'ont presque autre chose dans l'esprit que ces folies; on verra facilement qu'il est impossible d'allier ce métier avec la pureté de notre religion.
Sont-ce là les fêtes des Chrétiens, dont quelque saint mystère est toujours l’objet, et que l’Eglise ne solennise que par des exercices de piété ? […] Les Congréganistes sont communément des gens de bien ; ils ne vont régulièrement à des exercices peu amusants, que par principe de piété, ils n’y font que de bonnes œuvres. […] Qui oserait comparer la morale du théâtre avec un sermon, les décorations avec les tableaux d’une Eglise, les chants, les danses, avec des exercices de piété, les actrices, les coulisses, les loges, le parterre, avec des assemblées de religion ? […] Non seulement le théâtre détourne des exercices de piété, mais encore il apprend à farte fort mal le peu qu’il laisse pratiquer. […] Le spectacle écarte toutes ces idées, éteint tous ces sentiments, abolit tous ces exercices.
Elle interdisait aux pénitents tous les exercices qui dissipent l’esprit ; et cette règle était si bien établie, qu’encore au treizième siècle, Saint Thomas, comme on voit, n’en relâche rien. […] Cette sévérité venait de l’ancienne discipline des pénitents, qu’on étendait, comme on voit, jusqu’au carême, où toute l’église se mettait en pénitence ; et de peur qu’on ne s’imagine que cette discipline des pénitents fût excessive ou déraisonnable, Saint Thomas l’appuie de cette raison : que ces spectacles et ces exercices Ibid. […] ag Par toutes ces autorités, après avoir modéré les divertissements qu’un pénitent peut se permettre en particulier pour le relâchement de l’esprit et la société, il lui défend tous les spectacles publics et tous les exercices qui dissipent ; cependant le dissertateur trouve en cet endroit, qu’on peut entendre la comédie « tout le carême » (ce sont ses mots)Pag. 54. [« Lettre d’un théologien », page 54].
C’est la doctrine de Saint Antonin et de Sylvestre, sur l’autorité d’un Chapitre du sixième des Décrétales, où le Pape Grégoire dixième ordonne qu’on bannisse de tous les lieux consacrés à Dieu, et destinés au culte divin, tout ce qui peut troubler la paix des Divins Offices, causer de l’interruption dans les Prières, ou mettre quelque autre empêchement au repos et à la dévotion des Chrétiens ; et que l’on en éloigne toute sorte d’assemblées, et d’actions séculières, et profanes, afin que non seulement on ne pèche point dans les lieux où l’on vient demander la rémission des péchés ; mais qu’on y vaque encore avec quiétude d’esprit, et avec une application tranquille aux Exercices spirituels auxquels ces sacrés lieux ont été dédiés. Il ajoute même, que l’on ne permette point aucune sorte de trafic, ni l’exercice de la Justice séculière dans les Cimetières.
Dès qu’on s’écarte des bornes de la sainte morale pour suivre des exercices qui n’en sont ordinairement que les signes, on hâte les graves progrès du fanatisme, qui dévore le cœur d’une ardeur sacrilège, et nous mène au crime ; on néglige insensiblement la raison pour embrasser la cause, et on ne recherche plus l’exercice de la sainte vertu qui nous porte à faire le bien, pour s’appliquer à fuir les moyens qui peuvent nous conduire au vice ; devenant ainsi inutile à la société et à soi-même, et ressemblant parfaitement à ces hommes que Le Dante, dans ses chants, nous peint indignes du paradis, parce qu’ils n’ont rien fait pour le mériter, et que l’enfer même refuse d’admettre parmi les siens, parce qu’il n’aurait aucune gloire de les posséder. […] Mais jetons un coup d’œil rapide sur les ministres d’une religion austère, sur ceux mêmes qui en suivent extérieurement les préceptes, sur tous ceux qui la font servir à leurs lâches projets, soit pour satisfaire leur envie, soit pour protéger leur ambition, et nous trouverons comme compagnes inséparables de leurs caractères : l’insatiabilité, qui les rend avides de richesses, d’honneurs et de vénération servile ; l’égoïsme, qui les porte à tout faire pour eux-mêmes et à ne rien rapporter aux autres ; insensibilité, qui, après avoir endurci leurs cœurs à la vue des maux qui accablent l’humanité, à l’aspect des souffrances qui précèdent la mort, et que, dans leurs exercices, ils sont appelés à contempler, rend leur âme inaccessible aux douces impressions de la vertu et aux charmes de la sociabilité ; la cupidité, qui les rend sévères pour ceux dont la misère réclame des soins qu’elle ne peut assez récompenser, adulateurs et serviles auprès de ceux à qui les richesses et le faste permettent de faire de nombreux sacrifices.
C’est un exercice que je ne méloue point aux jeunes enfants de maisoni ; et ai vu nos Princes s’y adonner depuis en personne, à l’exemple d’aucuns des anciens, honnêtement et louablement. […] Les bonnes policesm prennent soin d’assembler les citoyens et les rallier, comme aux offices sérieux de la dévotion, aussi aux exercices et jeux ; la société et amitié s’en augmente.
Or constammentw ce n’était pas un comédien, mais un simple « joueur de flûte, qui gagnait sa vie à cet exercice dans un village : in vico » : comme il paraît par l’endroit de la vie de ce saint solitaire qui est citéx par Saint ThomasVit. […] y Il n’y a donc rien dans ce passage qui favorise les comédiens : au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s’élevait des âmes cachées, d’un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens dont le nombre était alors si grand dans l’empire, mais un homme qui gagnait sa vie à jouer d’un instrument innocent : qui encore se trouva si humble qu’il se croyait le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avait passé « à cet état honteux : fœdum artificium » : comme il l’appelait : non qu’il y eût rien de vicieux, mais parce que la flûte était parmi les anciens, un des instruments les plus méprisés ; à quoi il faut ajouter, qu’il quitta ce vil exercice aussitôt qu’il eut reçu les instructions de Saint Paphnuce ; et c’est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu’on prétend tirer de Saint Thomas à l’avantage de la comédie.
Le Spectacle des Colléges est bien différent du vôtre, Mademoiselle, selon l’Ordonnance de Blois1 & la déclaration de la Faculté de Paris2, on a soin d’en retrancher toute espéce de saleté & le langage de la tendresse, les Regens qui en ont la direction, avant de mettre les Rolles entre les mains des Ecoliers, en ôtent tout ce qui pourroit souiller le cœur & blesser les oreilles : c’est un exercice que l’on croit utile à ceux qui se destinent à parler en public, & l’on ne se propose pas d’intéresser les Spectateurs, on a porté la réforme jusqu’à défendre par une nouvelle Ordonnance1 les danses dans les intermèdes ; quoiqu’un semblable amusement qui se passeroit entre les jeunes gens d’un même sexe, ne suppose aucune sorte de danger, mais une simple indécence. […] L’exercice d’un Acteur est donc celui du vice, & toute sa vie se passe en cet exercice, il n’a presque rien autre chose dans l’esprit. […] Elles sont versées dans l’art de plaire, & c’est à la Comédie ou bien à l’Opera qu’elles mettent toute leur science en exercice ; tout est étudié dans leurs gestes, dans leur attitude, elles paroissent dans une immodestie qui choque les libertins même : si leur rencontre n’est pas une espéce de scandale qu’on doive éviter, il faut jetter au feu les Ouvrages des SS. […] Les Partisans de la Comédie ont encore un retranchement, Mademoiselle ; ils avouent que cet exercice n’est point fait pour tout le monde, on ne doit le permettre qu’aux esprits bien faits, aux cœurs aguerris, ; mais ils ne voyent pas, dès qu’on les supposent en cette heureuse disposition, qu’on puisse leur en faire un crime : il faut des amusemens dans la vie pour se délasser, sans quoi l’on perdroit les forces & le courage, & c’est là, disent-ils, l’état precisément à quoi les faux zélés voudroient nous réduire, en nous interdisant les Spectacles. […] Cette sorte de délassement n’est ordinairement recherché que par les personnes désœuvrées, qui n’ont aucun besoin de recréation, n’étant épuisées par aucun travail ni de corps ni d’esprit, qui ne cherchent dans l’Amphithéâtre qu’un changement de plaisir, un moyen de passer le tems ; elles consument en ce vain exercice un tems précieux, dit Saint Jean Chrysostome1, mais dont leur vie frivole est toujours fort embarrassée.