Les Pères blâment comme une témérité dangereuse la conduite de ceux qui n'étant pas encore bien affermis dans l'amour de Dieu, s'emploient avec trop d'ardeur dans les bonnes oeuvres extérieures sous prétexte de charité; parce qu'il est difficile que l'esprit ne se dissipe beaucoup dans ces exercices : « In terrenis quippe actibus, dit saint Grégoire, valde frigescit animus, si necdum fuerit per intima dona solidatus. […] » Quel jugement aurait-il donc fait de ceux qui, étant encore faibles, ne font pas néanmoins difficulté d'aller à la Comédie, qui dissipe plus l'esprit que les plus grandes occupations, et ne peut être excusée, ni par la charité, ni par le zèle, puisqu'on n'y recherche que le plaisir ?
Vous venez d’un pays barbare, d’où le bon goût est exilé ; il faut plus de talens, plus d’esprit, plus de science pour régler la fourrure d’un habit, que pour construire un palais. […] Cet esprit, ce goût de parure, ce génie inventif des modes ne fut jamais l’esprit de Dieu, mais l’esprit du démon, il favorise trop la tentation pour ne lui être pas agréable ; le démon tient le pinceau qui vous farde, il dirige l’œil qui en juge, il donne l’adresse à la main qui travaille, les couleurs sont ses armes, les rubans sont ses liens, les habits sont ses piéges. […] Le recueil des conférences du Médecin Renaudot, dont plusieurs sont très-frivoles, eut de la réputation dans son temps ; l’Auteur étoit habile, avoit de l’esprit, fort répandu dans le monde, Médecin à la mode. […] Cette idée impie n’entra jamais dans l’esprit des femmes, qui en cela n’honorent que le Dieu de Cythère. […] On fait grâce à tous ces raisonnemens de les traiter de jeux d’esprit, d’un homme qui veut s’égayer & amuser des femmes malades, à peu près comme on les trompe pour leur faire prendre une médecine, ou souffrir une saignée.
L’art de bien rendre les idées d’un Auteur, est donc l’effet de ce beau feu, ou tout au plus, d’une étude où la mémoire agit plus que le jugement, & où les répétitions réitérées laissent tout le mérite au cours forcé des esprits & à l’action servile des muscles. […] Et comme il n’y a rien de si facile que le trouver des ressemblaces en toutes choses, quand on a un côté fixe pour les regarder ; toutes les piéces où le Comedien a joué, lui découvrent des rapports entr’elles, qui abrégent beaucoup son étude, & impriment à son jeu une uniformité qui prouve qu’il est souvent dispensé d’esprit & de travail. […] Mais s’ils étoient Comédiens avec de l’esprit, ils n’étoient pas gens d’esprit, parce qu’ils étoient Comédiens. […] Est-il absolument nécessaire d’être homme d’esprit pour bien faire des rôles de niais, pour réussir dans ceux de soubrette ? […] « La violence du sentiment, [Fils Naturel,] coupant la respiration, portant le trouble dans l’esprit, les syllabes des mots se séparent ; l’homme passe d’une idée à une autre ; il commence une multitude de discours, il n’en finit aucun, & à l’exception de quelques sentimens, qu’il rend dans le premier accès, & auxquels il revient sans cesse, le reste n’est qu’une suite de bruits foibles & confus, de sons expirans, d’accens étouffés, que l’Acteur connoît mieux que le Poëte.
Entretien X. sur la Comedie LE grand usage de ce divertissement, qui est si agréable à la veuë, & à l’esprit, fera peût-être, qu’il ne me sera pas facile de desabuser les personnes, qui se voyent autorisées de l’exemple de tant de gens, & favorisées de l’inclination de la nature corrompuë : Mais peût-être aussi, quand j’auray ôté le bandeau de dessus leurs yeux, ne verront-elles pas moins le danger du Théatre, qu’elles en ont trouvé jusques icy les spectacles charmans. […] Il ne faut donc, que les entendre, pour sortir de l’aveuglement, pourveu qu’on les entende sans préoccupation, & sans aporter un esprit rebelle contre des veritez, aussi claires, que celles, que je va mettre en avant. […] Je demande si cette disposition de l’esprit, & du cœur secondant elle-méme les sollicitations moles, & douces de ces objets, il est possible, qu’on s’en défende, sans s’y laisser aller fort sensüellement ? […] C’est un principe universellement receü de l’Ecole, que, quand quelque chose de sa nature porte au péché, l’on ne peut pas en user librement, sans pécher ; cela parle de soy, sans autre preuve, à un esprit, qui a seulement un petit raïson d’intelligence : Remontez maintenant à ce que je viens de dire de la comédie, dont toutes les circonstances n’ont rien, qui de soy-méme ne donne quelque penchant au péché. […] Mais aujourd’huy, comme je vous l’ay marqué tout au long dans l’Entretien du Cercle, presque tout le monde aime à railler, & à rire, aux dépens des bonnes mœurs, de la pureté, & de la Religion ; c’est l’esprit empoisonné du temps, qui se répand, & se glisse par tout ; on l’aime en soy, on l’aime dans les autres, & ceux qui sçavent mieux s’en aquitter, sont les plus aplaudis.
Les amateurs du théatre le sont souverainement, on devient grand maître à cette école ; c’en est l’esprit, le goût & l’enseignement. […] L’auteur des affiches, homme d’esprit, 27 Fév. […] la raison vous apprenoit qu’il faut fuir le danger, si on ne veux périr, & l’Evangile ne peut nous persuader cette vérité : voilà l’esprit, le langage, la conduite du théatre. […] Peu de maisons brillantes, où il n’y ait deux appartemens, deux ménages des mariés, plus éloignés d’esprit, de cœur, d’interêt que s’ils étoient libres. […] Les apologistes qui concluent de l’un à l’autre, ne font qu’un vain sophisme, dont un esprit raisonnable ne se dissimulera point le faux, & un vrai chrétien craindra toujours le poison.
La ressemblance dans l’origine, & les progrès de l’esprit est parfaite ; elle ne l’est pas moins à l’égard des suffrages, & de la réputation que l’un & l’autre se sont acquis par dégrés. […] L’esprit, qui tend sans cesse à son développement, ne fut point retenu par cette digue puissante. Il chercha à en imposer à la Religion, en fit taire les sages Loix, en l’intéressant, pour ainsi dire, dans les jeux qu’il préparoit au Peuple ; car en France, comme dans la Grèce, ce ne fut que lui que le Théâtre envisagea d’abord ; son ignorance, ses goûts grossiers & bisarres, sa piété même, toujours mal-entendue, & toujours mêlée de superstitions, furent les premiers moyens dont l’esprit humain se servit pour exécuter ses projets. […] En matiere d’esprit, on passe rapidement, de la connoissance du mieux, à la réforme & à la correction.
Pour peu que vous réfléchissiez sur tout ce qu’on y représente, vous reconnaîtrez aisément que les plaisirs du théâtre sont entièrement opposés à la morale évangélique, incompatibles avec l’esprit de piété qui doit animer tous les chrétiens, et qu’ils présentent encore aujourd’hui tous les dangers qui les ont fait condamner par les saints Pères. […] Les auteurs de ces pièces ne sont pas dignes d’être les interprètes de l’Ecriture sainte et les organes du Saint Esprit. […] Ce sont ordinairement des esprits légers, des hommes inutiles, des époux qui, fatigués de leurs querelles domestiques, seraient chez eux des acteurs peut-être plus tragiques et plus comiques que ceux qu’ils vont voir. […] Si un aveugle conduit un autre aveugle, dit l’Esprit saint, ils tomberont tous deux dans la fosse.
En effet, il est certain que les caractères étaient très propres à amener la réforme, si on les avait introduits dans l’intention de corriger le Théâtre ; mais ce ne fut point là l’esprit dans lequel on nous les présenta : On prétendit seulement corriger les ridicules qui influent sur les mœurs ; et, à la vérité, on y parvint en partie et à quelques égards ; mais on peut dire aussi que, de la même main, on présenta au malade la médecine et le poison tout à la fois. […] Je me contenterai d’en donner un seul exemple que je tirerai même du Théâtre du grand Molière, que j’admire si fort du côté de l’esprit et du génie. […] Quand même l’effet de cette Pièce serait assuré par rapport au vice de l’avarice ; quand même on supposerait qu’elle doit faire une égale impression sur l’esprit de tous les jeunes gens, (et il pourra s’en trouver plusieurs pour qui l’avarice aura de l’attrait, malgré le tableau affreux qu’on leur en aura présenté) il n’en est pas moins incontestable que le mauvais exemple des deux enfants de l’Avare est un poison mortel pour la jeunesse, devant qui cette Pièce est représentée : les jeunes personnes de l’un et de l’autre sexe n’effaceront jamais de leur esprit ni de leur cœur les idées et les sentiments que les enfants de l’Avare y auront gravés ; et ils s’en souviendront jusqu’à ce qu’ils aient fait l’essai d’une leçon si pernicieuse.