Toutefois, si nous étions parvenus au dernier degré de corruption, et qu’il n’y eût pas à présent plus d’espoir de retour que l’affreux état de guerre, et de folles illusions n’en laissaient concevoir dernièrement, je préférerais me taire pour ne pas grossir inutilement le nombre des moralistes déclamant et prêchant dans le désert depuis tant d’années ; mais autant l’on a été découragé à la vue de la contagion du mauvais exemple, et des lois d’un despote bataillard qui ne respectait rien, qui a attiré sur nous tous les fléaux avec la malédiction du ciel et des nations ; autant l’on doit espérer de l’influence des lois sages qui vont nous régir, de cette Charte, si long-temps disputée, que nous venons de recevoir d’un Roi juste qui la secondera encore par l’exemple de toutes les vertus, d’un Roi qui recommande et protège tout ce qui est respectable, dont le cœur est véritablement bon, les vues sages et paternelles, les promesses sincères ; puisque rien ne le détourne de sa mission sacrée, et qui ne forcera donc pas les écrivains de désirer, à la fin de son règne, pouvoir déchirer les pages où ils en auraient trop loué le commencement trompeur. […] Je reconnais avec tout le monde que Molière a été peintre exact du cœur de l’homme, qu’il en a bien reconnu les replis, qu’il a bien vu ce qui s’y passait ; mais je tiens qu’il n’a pas prévu ce qui s’y passerait, par l’effet des portraits qu’il en fait. […] Il est vrai que depuis ce temps-là on a dit le plus éloquemment, et d’après l’expérience aussi, tout ce qu’il était possible de dire des effets du théâtre sur le cœur ; mais il me semble qu’il reste encore quelque chose à dire de ses effets sur la tête ; c’est-à-dire de l’influence de ses critiques vagues des personnes sur l’esprit et le jugement. […] Si cette considération ne renfermait pas une réponse suffisante, et que je fusse obligé d’en faire une au libelliste froid qui, à la vue de la plus grande misère, et du pouvoir commun à tous les hommes d’être immoral, m’a contesté l’affaire et le besoin pur d’écrire sur l’indigence et l’immoralité, et de traiter des moyens d’en détruire les causes, je pourrais y ajouter, qu’ayant vu dès mon enfance la maison de mon père, administrateur des pauvres, continuellement assiégée ou remplie de malheureux pleurant, souffrant la faim et le froid, marqués de tous les traits de la misère, ces tristes scènes, ont fait naître et laissé dans mon cœur un sentiment pénible que je n’ai pu soulager que par la composition de ce Traité ; et que ma mission fut, par conséquent, de la nature de celle que nous recevons tous de la pitié, pour tâcher de retirer notre semblable d’un abîme où nous le voyons périr. […] C’est pourquoi je prie mes juges impartiaux de ne prononcer sur mon opinion nouvelle qu’après avoir lu attentivement cet essai ; et si je ne suis parvenu à les convaincre de la pureté des sentiments qui me l’ont inspiré, il ne me restera plus qu’à regretter qu’ils ne puissent pas lire dans mon cœur.
Il ne voulut donc pas épouvanter le monde, il voulait les attirer ; se persuadant que si une étincelle de l’amour divin entrait dans leurs cœurs, ils seraient bientôt embrasés, et alors ils trouveraient facile ce qui leur semblait difficile. Comme il ne tâchait qu’à faire naître l’amour divin dans les cœurs, il était obligé d’avoir cette tolérance et cette douceur. S’il n’a pas beaucoup parlé contre le luxe des femmes, c’est parce qu’il savait très bien que quand l’amour de Dieu serait dans leurs cœurs, il en bannirait l’amour des vanités du monde. […] Voilà le premier pas du démon ; c’est par l’ornement que vous apportez au bal qu’il commence à vous gagner ; il débauche votre cœur. […] Une infinité de personnes qui viennent à la comedie sans peché, s’en retournent avec l’adultere dans le cœur.
On ne considère pas que la vie chrétienne doit être non seulement une imitation, mais une continuation de la vie de Jésus-Christ, puisque c'est son esprit qui doit agir en eux, et par eux, et imprimer dans leur cœur les mêmes sentiments qu'il a imprimés dans le cœur de Jésus-Christ.
Or, la sensation d’horreur & de désespoir qu’on dit en résulter, est-elle nécessaire pour éloigner du crime un cœur vertueux qui n’a pas besoin de ces horribles leçons ? […] La morale de nos productions amusantes sera toujours vaine, parce qu’elle n’est que l’art de faire sa cour au plus fort, c’est-à-dire, aux gens dont le cœur est gâté ». […] Les Rois & les plus fameux Capitaines de l’antiquité n’y paroissoient occupés que du soin de gagner le cœur de leurs maîtresses. […] Mais, lorsque le cœur aime ses maladies, & qu’il ne peut s’en garantir que par la suite, ce seroit un remede pernicieux que de se rendre malade pour se guérir. […] On sent, en le lisant, que l’Auteur connoissoit le monde, qu’il avoit étudié le cœur humain, & qu’il sçavoit faire jouer les ressorts qui mettent les passions en mouvement.
Gardez-vous, dit-il, de fixer vos regards sur la beauté, sur la parure des femmes ; le désir suivrait de près, et le crime serait commis dans le cœur : « Jam mœchatus est in corde. » Gardez-vous d’écouter les douces paroles ni de souffrir les caresses empoisonnées d’un femme de mauvaise vie ; elle porterait le poison et la mort dans votre cœur, bouchez vos oreilles avec des épines, pour échapper à ses pièges : « Aures spinis sapiendæ, ut illecebras sermonis excludas. » Ce détail suffirait pour anéantir les spectacles, où sont réunis tous les dangers du vice. […] Il les fait voir ces dangers, et dans les pompes du luxe, qui fascinent les yeux, et dans les attraits des femmes, qui séduisent le cœur, et dans le poison des discours qui offusquent les esprits, et dans le torrent des mauvais exemples qui entraînent l’âme, et dans l’oisiveté de la vie et la frivolité des amusements qui corrompent tout. […] 1.), elle a perdu le premier homme, et l’a fait chasser du Paradis terrestre ; elle a perdu la plupart des grands hommes, David en a éprouvé le fatal poison, ainsi que les vieillards qui attaquèrent Suzanne ; un regard le fit entrer dans leur cœur par les yeux, ils en devinrent adultères, calomniateurs, meurtriers. […] Il en tire tous les traits qu’il lance dans les cœurs, selon les idées familières de la fable. […] Elle vous aborde d’un air engageant avec des discours pleins de douceur, et d’un ton de voix flatteur et insinuant, les cœurs des jeunes gens volent après elle, « facient juneaum avolare corda » ; méprisable par son immodestie, « pudore vilis », couverte de riches habits, les joues peintes de rouge, « genis picta » ; comme elle ne saurait avoir les grâces naïves de la nature, elle s’efforce, en se fardant, d’étaler une beauté empruntée, « aduiterinis fucis affectatæ pulchritudinis lenocinatur species ».
Voilà ce que produit l’amour ; comme cette passion est égale dans tous les cœurs, il est bien rare que le Spectateur puisse s’en former une idée convenable à la majesté tragique. […] Je ne m’arrête pas au mérite de l’Auteur, pour avoir bien traité un sujet si épineux ; je ne regarde que le sujet en lui-même ; car, il est bien moins question au Théâtre de la Réformation de savoir si les Auteurs ont de l’esprit, que d’être assuré que leurs Pièces sont extrêmement correctes pour les mœurs, et ne peuvent causer aucune mauvaise impression dans le cœur des Spectateurs. […] Par là ces deux grands Hommes ont bien fait sentir la vérité de ce que j’ai dit dans l’examen de Bérénice : et je crois, qu’après avoir étudié soigneusement le cœur de l’homme, on conviendra qu’ils ont raison tous deux ; cependant, cette réflexion ne m’empêchera pas de penser, qu’il ne faudrait jamais choisir dans les faiblesses de l’amour des sujets dignes de la majesté tragique. […] La Reine dit à sa confidente : L’amour par le respect dans un cœur enchaîné, Devient plus violent, plus il se voit gêné ; Mais le Comte en m’aimant n’aurait eû rien à craindre ; Je lui donnais sujet de ne se point contraindre…. […] Lorsqu’Elisabeth dit, qu’elle a donné lieu au Comte de ne rien craindre et sujet de ne point se gêner, le Poète a suivi parfaitement la nature, et selon ce principe, il établit une maxime très capable de séduire et de corrompre le cœur des Spectateurs ; mais l’austère vertu dont la Reine fait parade ensuite lorsqu’elle dit, que pour toute récompense de son amour le Comte doit être content de la voir, de soupirer, de la plaindre de se plaindre, cette austère vertu, dis-je, n’est capable que d’égayer l’Auditeur en le faisant rire d’une maxime que le penchant de la nature ne nous inspire pas : ainsi cette belle vertu est étalée sur la Scène en pure perte.
que sont donc les Zazimi, les Zulima, les Zaïre, les Zaïde, les Zeneide, que des contes dont des hommes faits ont la foiblesse de se bercer, & qui leur gâtent l’esprit & le cœur ? […] Il faut qu’un Poëte dramatique soit naturellement menteur ; il ne sauroit enfanter tant de mensonges, s’il n’en avoit le germe dans son cœur ; il ne sauroit leur prêter ces couleurs de vérité, s’il n’étoit plein de duplicité. […] Un cœur droit, un honnête homme, à tout moment contraint, déconcerté, ne sauroit ni représenter ni goûter un tissu de mensonges. […] Elle transporte le théatre dans sa maison, dans son cœur ; forme souvent des troupes pour jouer des pieces, ou s’y enrôle, toute sa vie n’est qu’une comédie, son mariage avec le Comédien qui lui a plû en est le dénouement. […] Ne nous moquons point tant de ce fameux Chevalier errant, il n’a que trop d’imitateurs ; tout ce qu’on voit avec plaisir s’imprime dans un cœur sensible, se retrace dans une imagination vive ; elle est enchantée de ces bosquets délicieux, de ces palais superbes, de ces beautés divines ; on entend ces discours doucereux, on sent ces transports, tout devient théatral & romanesque ; il n’y a de bien & de trop réel que les égaremens de l’esprit & les crimes du cœur.
Si la crainte de faire naître dans le cœur de vos enfants des passions qui leur seraient funestes, vous oblige de les éloigner de ces assemblées dont nous venons de parler ; cette même crainte vous engage indispensablement à ne jamais permettre qu’ils fréquentent les comédies. […] Ils les considèrent comme une invention du diable, qui a fait bâtir des théâtres dans les villes pour amollir le cœur des soldats de Jésus-Christ, et leur faire perdre leur force et leur générosité. […] Mais plutot voilà comme on fait servir dans les comédies la générosité et la charité chrétienne, que les Saints ont fait paraître dans leurs actions, à relever l’éclat de l’amour profane, à en donner de l’estime, et à en exciter les flammes dans le cœur des spectateurs. […] Un Chrétien conservera-t-il dans la comédie les sentiments qu’il doit toujours avoir dans le cœur ; et aura-t-il l’esprit élevé vers Dieu dans une assemblée, où, comme dit Tertullien Chap. […] Et l’approbation qu’ils donnent d’une commune voix aux Comédiens ; et la joie qu’ils ont de se rencontrer dans les mêmes sentiments, ne sont-ce pas comme autant d’étincelles, qui augmentent le feu secret qui brûle dans leurs cœurs ?