Entre les différents moyens depuis long-temps indiqués, pour là réformation du théâtre, je crois devoir recommander d’abord celui de cesser de condamner en principe, ou en théorie, ce que nous approuvons dans la pratique ; je veux dire, de commencer par être plus conséquents et plus justes envers les hommes qui se vouent au théâtre, soit comme auteurs2, soit comme acteurs, et reconnaître le droit qu’ils ont, lorsque d’ailleurs ils sont bons citoyens, à l’estime et à la considération dont ils jouissent de fait, par un accord à peu-près général ; et ôter enfin à un petit nombre de gens de bonne foi, et à tous les gens de mauvaise humeur, le droit de traiter d’infâmes la profession ou les personnes de Molière, de Corneille, Racine, Voltaire, et de Lekain, de Molé, Larive, Talma, des idolâtrées Comtat, Raucourt, Mars, etc., lesquels ont emporté les regrets, ou font encore aujourd’hui les délices et l’admiration des Français et des étrangers, qui leur rendent les plus grands honneurs, qui leur élèvent des statues.
Ce n’étoit pas le style des Apôtres, ce ne fut jamais celui des Saints qu’on appelle abus de la raison ; des opinions philosophiques ou litteraires, les sophismes dont on les appuie, les graces du discours dont on les pare, qu’on appelle luxe, l’affectation du bel esprit, le néologisme, l’érudition déplacée, un style pompeux, ambitiosa ornamenta , comme dit Horace ; les Poëtes qui courent après les pointes ; Corneille plus boursoufflé que grand, Seneque, Fontenelle, &c.
Corneille et Molière sont des Peintres, et de grands Peintres, mais de vrais Callots, toutes les fois qu’ils traitent de la piété.
C'est un mélange continuel d'impiété et de religion : ce ne sont point les Idoles des Païens, contre lesquelles Corneille faisait vomir des blasphèmes, ce qui dans la bouche de leurs adorateurs était pourtant un crime, mais qu'on disait, pour l'excuser, être sans conséquence pour des Chrétiens (ce que je n'examine pas ici), c'est le vrai Dieu, contre lequel on versifie de sang froid et l'on fait prononcer des horreurs.
Il est arrivé à Catulle d’emprunter d’Hésiode ; et à Virgile d’emprunter de Catulle et d’Homère, comme il est arrivé à Molière, à Corneille, à Racine, à Voltaire, d’emprunter de Plaute, de Térence, d’Euripide et de Sophocle, etc.
L’idiome se forme la-dessus, un Avocat est un grand acteur, un champ de bataille est un théatre, le Conseil d’Etat une scéne, le Prédicateur un Corneille ou un Racine, & on croit l’avoir bien loué, &c. ces mots sont devenus des termes Techniques, tous les Etats se forment de même leurs Ergots.
L’un goûtera Corneille, l’autre s’attendrira avec Racine, un autre aimera mieux rire avec Moliere.
Quand une fois la vieillesse, la maladie, la mort, le dégoût du public, ont moissonné ces belles fleurs, on ne peut plus, comme les pieces du vieux Corneille, les remettre sur la scene.