Comme si les vives images d’une tendresse innocente étaient moins douces, moins séduisantes, moins capables d’échauffer un cœur sensible, que celles d’un amour criminel à qui l’horreur du vice sert au moins de contrepoison ? […] Si la Pièce nous arrache des larmes, ou de pitié pour un innocent malheureux, ou de joie pour un opprimé qui triomphe ; si elle peint dignement quelque vertu ; si elle inspire de l’horreur pour quelque vice, elle aura les applaudissements qui lui sont dus ; les Acteurs jouiront de ceux qu’ils méritent ; le Spectateur lui-même s’applaudira d’avoir été sensible.
Ils prouveront que le but de cet art funeste est de faire naître & d’émouvoir les passions dans les ames innocentes ; & d’excuser le crime dans ceux qui y sont livrés : en un mot d’autoriser, & même de canoniser tout ce qui est condamné par l’Evangile.
En faut-il davantage, pour vous faire toucher au doigt, que tout ce qui est toléré, n’est pas pour cela innocent & licite ? […] Depuis quand donc peut-on se croire innocent, en augmentant le nombre des coupables ? […] Vous vous croirez innocente, en transgressant comme eux, les loix de votre Mere ? […] Direz-vous que cette Demoiselle soit innocente en désobéissant, en conséquence de sa maniere de voir ? […] Et dans le même moment, Dieu prononce une sentence de mort contre son indigne Ministre, & le prétendu innocent.
Cette innocente Troupe semblait faite pour ces sentiments pieux qui révoltèrent dans la bouche d’une Comédienne. […] « Il fallait, dit-elle, des personnes innocentes pour chanter les malheurs de Sion : la Chammêlé nous eût fait mal au cœur. » Madame de Maintenon, après la mort du Roi, apprit avec surprise que le théâtre s’était emparé de la pièce d’Athalie, et que le Cardinal de Noailles, Archevêque de Paris, qui lui devait la mitre et la pourpre, et qui faisait profession d’une morale sévère, ne s’opposait pas à une représentation qu’elle traitait de profanation, quoiqu’elle lui eût autrefois paru une œuvre de piété dans ses filles. […] Il est pourtant vrai que ce désordre est rare sur le théâtre public, quoique fréquent dans les spectacles des collèges et les pièces innocentes des couvents, où l’on emploie quelquefois jusqu’aux aubes et bonnets de la sacristie.
On paie l'incendiaire qui allume le feu, on se jette au milieu des flammes, on se plaît à être consumé, et on se croirait innocent ! […] Je sais encore qu'il est des mouvements doux et innocents, dont on suit l'impression sans crime, le plaisir de secourir les malheureux, l'admiration des ouvrages de Dieu, la joie de sa présence, l'espérance des biens célestes. […] Les plaisirs innocents et modérés ne font que glisser sur des cœurs pétris de volupté ; le goût du péché peut seul leur plaire.
Enfin que l'on considère le Théâtre de tous les côtés, les consciences n'y sont plus en péril de participer aux abominations du Paganisme, dont il n'y reste plus de vestiges ni de mémoire ; Et si tous ceux qui se sont opiniâtrement attachés à le combattre par les paroles de nos anciens Pères eussent bien examiné toutes ces choses, ils auraient retranché plus de la moitié des textes qu'ils en ont empruntés ; ils n'en auraient pas tiré de fausses conséquences, et n'auraient pas détruit un plaisir public et de soi-même innocent par des maximes qui ne servaient qu'à condamner l'Idolâtrie, et qui n'ont plus aujourd'hui de causes ni de prétextes.
ak , pour une des conditions des divertissements innocents, « que le temps en soit convenable » : pourquoi, si ce n’est pour nous faire entendre qu’il y en a qu’il faut exclure des saints jours, quand ils seraient permis d’ailleurs ?
Il y a une autre sorte de plaisirs mondains desquels le monde soutient l’innocence, parce que le crime n’y est pas si visible : quelques innocents qu’on les dise, et qu’ils pussent être, ils deviennent bientôt criminels par l’abus, et tous peuvent être de grands obstacles à la dévotion, pour peu qu’on y devienne sensible.
Or, est-il un délassement plus utile et plus innocent que celui de la comédie, disent ses défenseurs, puisqu’elle n’est autre chose, à la regarder en général, qu’une représentation naïve d’un événement agréable, assaisonné d’une satire fine et douce pour la correction des mœurs ?
Les représentations qui se font dans les Collèges à la fin des Classes, qui d’elles-mêmes et réduites à de certaines bornes seraient innocentes, mais auxquelles on joint assez souvent des choses que l’on verrait bien qui ne le sont pas si on y faisait attention, sont de cette espèce.
[Proverbes de Salomon, chap. 5], la recherchent pour se divertir, peuvent-ils passer pour innocents devant Dieu et devant le Tribunal de leur propre conscience ? […] La nudité de son sein, son visage couvert de peinture et de mouches, ses œillades lascives, ses paroles amoureuses, ses ornements affectés, et tout cet attirail de lubricité, sont des filets où les plus résolus se trouvent pris ; Ce sont des pièges ou tombent les âmes les plus innocentes ?
Ils appellent ces assemblées des écoles et des sources publiques d’impureté ; ils les décrient comme des fêtes du diable ; ils obligent ceux qui y ont assisté à se purifier par la pénitence avant que d’entrer dans l’Eglise ; enfin ils font des peintures si tristes et si horribles de l'état où l’on se trouve au sortir de ces divertissements, qu’on ne les peut voir sans frémir, et sans s’étonner de l’effroyable aveuglement des hommes, à qui les plus grands crimes ne font horreur, que quand ils ne sont plus communs, et qui non seulement cessent d’en être choqués, mais souvent même les font passer pour des actions innocentes. […] ; enfin parce que l'état d’un Chrétien en cette vie est de fuir toutes sortes de plaisirs, et de faire consister toute sa joie dans les larmes de la pénitence, dans le pardon de ses péchés, dans la connaissance de la vérité, et dans le mépris même des plaisirs les plus innocents et les plus légitimes.
Un Œdippe quoiqu’innocent, une Phedre quoique vertueuse, objets rares dans la Nature, nous inspirent la Terreur parce qu’ils nous font craindre pour nous mêmes, & par là nous causent ce plaisir qui consiste à contempler les malheurs dans lesquels nous pourrions tomber, mais dont nous sommes exemts, quibus ipse malis careas, quia cernere suave est. […] Castelvetro, & à son exemple l’Abbé Conti, le contredisent, lorsqu’ils conseillent aux Poëtes de ne point représenter un homme entiérement innocent, opprimé par des méchans : ils prétendent au contraire que la compassion la plus grande est excitée par les malheurs de l’Innocence. Un Poëte, dit l’Abbé Conti dans la Préface de son Drusus, qui représente un Innocent, qu’opprime un Scélérat, ne peche pas plus contre son Art, qu’un Peintre qui représente un martyr au milieu de ses bourreaux. […] Puisque, dit-on, la Tragédie la plus pathétique, celle qui jette le plus grand trouble, est la plus agréable, suivant Aristote, puisque plus elle excite la Pitié plus elle cause de plaisir ; pourquoi ne veut-il pas qu’elle représente les malheurs d’un Innocent ? […] Sans parler des dangers ordinaires des Piéces, quand toutes les nôtres seroient innocentes, quel danger n’y ajoutent pas les Acteurs & les Actrices ?
Pour moi je lui rends justice, je sais que les fautes sont personnelles, et qu’il est innocent de la vôtre. […] Cette précaution fait d’abord voir que Saint Charles se défiait de la Comédie, et qu’il ne la croyait pas si honnête et si innocente que vous. […] Les personnes que vous avez confessées ne se sont point accusées d’avoir péché à la Comédie, donc elles sont innocentes. […] Qu’un homme de Cour s’habille aussi magnifiquement que la bienséance de son état le demandera, il est innocent du luxe qu’il inspirera par hasard aux autres qui voudront l’imiter sans raison. […] En effet quand un homme veut corrompre le cœur innocent d’une fille et lui inspirer de l’amour, a-t-il de plus sûr moyen pour en venir à bout que de la porter à lire les Romans et à aller à la Comédie ou à l’Opéra.
Quelque innocentes que ces personnes se croient, il n'y en a point qui voulût passer des divertissements du Théâtre au tribunal de celui qui a dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez. » « Væ vobis qui ridetis nunc, quia lugebitis, et stebitis. » Luc c. 6. v. 25.
Ils n’ont pas moins reçu l’épée pour frapper le coupable, que la balance pour peser les droits de l’innocent, et le bandeau sur les yeux pour ne faire acception de personne.
Cette dame n’est pas si scrupuleuse, ni si craintive que vous, elle a autrefois commis quantité de péchés, elle n’a pas rendu grand service à Dieu, elle ne châtie point son corps, elle se divertit et passe son temps, et aussi elle n’a pas peur d’être damnée, parce que ses divertissements sont innocents.
Ces spectacles feraient un des plus doux divertissements de l’homme particulier qui vit dans les villes ; et je crois qu’il ne pourrait prendre un plaisir plus innocent, que celui où l’esprit est en état d’agir pour se perfectionner, quand il se délasse.
Ce n’est donc point un mal ni rien d’indigne de l’homme Sage et Vertueux, de ne se point refuser des plaisirs innocents et honnêtes ». […] , que tout ce qui est contre la raison est vicieux ; or il est contre la raison qu’un homme veuille être à charge aux autres, qu’il s’oppose à leurs innocents plaisirs, qu’il ne veuille jamais être de la partie, ni contribuer par ses paroles ou par ses actions à leur divertissement commun. […] On ne fait pas cependant tant les scrupuleux sur ce chapitre que sur celui de la Comédie, et l’on ne fait point de difficulté de s’habiller selon sa condition, et de vivre à son aise, pourvu qu’on le fasse avec une honnête modération : pourquoi donc n’étendrons-nous pas cet adoucissement aux Spectacles, et ne dirons-nous pas que comme on applique les reproches des Docteurs de l’Eglise au luxe, à l’intempérance, à la dissipation des biens et non pas à leur usage innocent et modéré, l’on peut aussi interpréter leurs paroles des Comédies impies et déshonnêtes, et non pas de celles où l’on ne trouve rien que de conforme aux règles de la sagesse et de l’honnêteté ? […] S’il était vrai qu’on dut défendre toutes les choses qui pourraient avoir des suites fâcheuses, on ne devrait pas lire l’Ecriture Sainte (pour me servir du même exemple que vous apportez :) on ne devrait pas, dis-je, lire l’Ecriture Sainte, en latin même, puisqu’elle est la cause innocente de toutes les hérésies, qui, selon saint Jérôme, naissent pour l’ordinaire d’une parole mal entendue, ou malicieusement expliquée. […] Il était beau de voir les Prêtres, les Diacres et les Ministres des Autels représenter des personnages, à quoi je ne puis donner d’autres noms que ridicules, en l’honneur de saint Estienne, de saint Jean, ou des saints Innocents !
En 1696 le Pape Innocent XII fit démolir le premier théâtre stable et public à Rome. […] Répliquons d’abord : si les spectacles sont innocents pourquoi des confesseurs les défendent-ils à leurs pénitents ? […] Ils avaient renoncé aux plaisirs dangereux, qui souillent l’âme, qui énervent et corrompent le cœur, tous leurs souhaits étaient de mener une vie chrétienne, heureuse et calme au sein de leur famille, ils s’étaient seulement réservé ces plaisirs purs et innocents, qui ne laissent après eux ni troubles ni remords ; vous leur avez ravi le bonheur qu’ils se promettaient ; sous prétexte de les établir, de les préparer au mariage, vous les avez précipités au milieu du tourbillon du monde et vous n’avez, fait usage de l’autorité, que vous aviez sur eux, que pour les conduire forcément dans le chemin de la perdition.
Mais ce reproche, ne pouvons-nous pas l’adresser à une infinité de demi-Chrétiens qui veulent concilier Jésus-Christ & le monde, & jouir tout-à-la-fois des divertissemens du siècle, & des consolations de la piété ; à ces personnes de l’un & de l’autre sexe que l’on voit, tantôt prosternées aux pieds des saints Autels, priant avec des démonstrations de piété & de ferveur, écoutant avec respect la parole du salut ; & tantôt confondues dans la foule des mondains, imitant leur luxe & leurs vaines parures, prêtant l’oreille à leurs fausses maximes, partageant leurs plaisirs les plus frivoles & les plus dangereux ; à ces personnes, par exemple, qui, après avoir satisfait aux devoirs extérieurs de la piété, ne croient point en perdre le fruit & le mérite, en assistant aux Spectacles du théâtre ; & qui regardent comme permis & innocent, ce que l’Eglise a toujours condamné avec tant de sévérité ? […] Si la comédie est innocente, si l’on peut y assister sans craindre de s’y corrompre & l’esprit & le cœur, pourquoi des condamnations si rigoureuses contre des hommes qui donnent au public un divertissement si agréable ? […] Mais si c’est une honte, si c’est un crime d’exercer la profession de Comédien, peut-on être innocent en assistant à la comédie ?
Mais aprés vous avoir avoüé que ceux de nôtre temps sont moins criminels que les leurs, je n’avoüeray pas pour cela, qu’ils soient toûjours innocens ; & je veux vous faire voir, que quelque soin qu’on ait apporté à en ôter le scandale, & à les rendre moins suspects & plus honnêtes, ils sont encore assez criminels, pour animer le zele des Predicateurs, & pour inferer que plusieurs n’y peuvent assister sans peché ; nous le verrons dans mon premier Point ; & le second, qu’étant toûjours dangereux à l’égard de tout le monde, il est rare & bien difficile d’en retourner aussi innocent que l’on y est venu ; ce sera tout le partage de ce discours. […] Non, Messieurs, car je dis en second lieu, que les personnes les plus regulieres, qui sont dans une réputation de probité la mieux établie, ou qui à raison du rang qu’elles tiennent, sont obligées de donner exemple aux autres, pechent grievement lorsqu’elles authorisent ces sortes de spectacles par leur presence, & qu’elles y portent les autres, qui se reglent sur leur conduite ; car c’est proprement donner occasion de scandale, dont on ne peut être cause dans une chose même indifferente, & assez innocente d’elle-même, sans commettre un grand peché ; parce que c’est contribuer au peché & à la perte des autres, dont nous sommes responsables devant Dieu ; ce que l’on peut inferer du precepte & de l’exemple de saint Paul, dans une question qui étoit agitée de son temps, sçavoir si l’on pouvoit manger des viandes, qui avoient été offertes & immolées aux Idoles, parce qu’il sembloit que c’étoit par-là se soüiller du crime de l’idolâtrie. […] Car je veux que les comedies, ausquelles je m’arrête plus particulierement, en parlant des spectacles, que les comedies, dis-je, de ce temps, soient plus honnêtes qu’elles n’ont jamais été, cependant, ceux qui examinent les choses de plus prés, & à qui les autres vertus chrétiennes ne sont pas moins cheres que l’honnêteté, trouvent étrange qu’on les appelle innocentes, vû que les plus honnêtes ne contiennent autre chose que des passions d’ambition, de jalousie, de vengeance, de fausse generosité, & des autres vices, qui étant colorez d’une idée de grandeur d’ame, entrent facilement dans l’esprit, & ruinent tous les principes du Christianisme.
C’est encore enseigner à rendre innocentes & décentes toutes les démarches passionnées qui le précèdent, & dont la galanterie en eût fait des crimes. […] D’abord ces libertés passionnées qui le précèdent, n’allassent elles pas au dernier crime, sont si peu innocentes aux yeux de la saine morale, que les règles de l’Église défendent aux fiancés de loger dans la même maison, pour écarter le danger des familiarités criminelles que l’occasion & la vûe d’un mariage prochain rendroient si faciles. […] ce n’est que par galanterie dans le mari, vengeance, dédommagement dans la femme, amour de la liberté, goût naturel, besoin physique dans tous les deux ; on applaudit aux tours d’adresse qui ont sû tromper, on loue le haut ton que le coupable a sû prendre pour secouer le joug, & la patience de l’innocent qui a sû tout dissimuler.
Mais aprés vous avoir avoüé que ceux de nôtre tems sont moins criminels que les leurs, je n’avoüerai pas pour cela, qu’ils soient toûjours innocens ; & je veux vous faire voir, que quelque soin qu’on ait apporté à en ôter le scandale, & à les rendre moins suspects & plus honnêtes, ils sont encore assez criminels, pour animer le zele des Predicateurs, & pour inferer que plusieurs n’y peuvent assister sans peché ; nous le verrons dans mon premier point ; & le second, qu’étant toûjours dangereux à l’égard de tout le monde, il est rare & bien difficile d’en retourner aussi innocent que l’on y est venu ; ce sera tout le partage de ce discours. […] Non, Messieurs, car je dis en second lieu, que les personnes les plus regulieres, qui sont dans une réputation de probité la mieux établie, ou qui a raison du rang qu’elles tiennent, sont obligées de donner exemple aux autres, pechent grievement lorsqu’elles authorisent ces sortes de spectacles par leur presence, & quelles y portent les autres, qui se reglent sur leur conduite ; car c’est proprement donner occasion de scandale, dont on ne peut être cause dans une chose même indifferente, & assez innocente d’elle-même, sans commettre un grand peché ; parce que c’est contribuer au peché ; & à la perte des autres, dont nous sommes responsables devant Dieu ; ce que l’on peut inferer du precepte & de l’exemple de saint Paul, dans une question qui étoit agitée de son tems, savoir si l’on pouvoit manger des viandes, qui avoient été offertes & immolées aux Idoles, parce qu’il sembloit que c’étoit par-là se soüiller du crime de l’idolâtrie. […] Car je veux que les comedies, ausquelles je m’arrête plus particulierement, en parlant des spectacles, que les comedies, dis-je, de ce tems, soient plus honnêtes qu’elles n’ont jamais été, cependant, ceux qui examinent les choses de plus prés, & à qui les autres vertus chrétiennes ne sont pas moins cheres que l’honnêteté, trouvent étrange qu’on les appelle innocentes, vû que le plus honnêtes ne contiennent autre chose que des passions d’ambition, de jalousie, de vengeance, de fausse generosité, & des autres vices, qui étant colorez d’une idée de grandeur d’ame, entrent facilement dans l’esprit, & ruinent tous les principes du Christianisme.
Car en tolérant les spectacles pour éviter un plus grand mal, aucun Prince, aucune loi ne s’est jamais avisé de les déclarer innocents, encore moins la profession de Comédien, que toutes les lois civiles et canoniques sans exception ont condamnée, même en la tolérant ; surtout un Prince aussi pieux que Louis XIII, qui n’avait point de goût pour la comédie, et désapprouvait la conduite et les dépenses énormes du Cardinal à cet égard, oserait-il tenir un langage si contraire à la religion. […] Il ne le pouvait pas même, puisque l’Eglise s’étant constamment déclarée dans tous les siècles contre l’assistance aux spectacles et à plus forte raison contre le métier de Comédien, qu’elle a toujours anathématisé et privé des sacrements, un Prince Chrétien ne pouvait se déclarer authentiquement contre sa doctrine, en traitant d’innocent ce qu’elle proscrit comme criminel. C’est comme si un Prince, en tolérant les courtisanes, déclarait leur métier innocent.
Quoique je sois assuré de votre piété, dit-il, cependant il se trouve bien des protecteurs indulgents et séduisants du vice, qui lui donnent du crédit et abusent des Ecritures pour l’autoriser, comme si les spectacles n’étaient qu’un amusement innocent, car la vigueur de la discipline est si fort énervée, et le désordre si dominant, que non seulement on excuse, mais on autorise le vice : « Jam non vitiis excusatio, sed autoritas datur. » J’ai cru devoir vous en avertir, car rien ne se corrige plus difficilement que ce qui est coloré par des excuses et suivi de la multitude. […] Ce qui vient d’un si mauvais principe peut-il être innocent ? […] Un assassin, un voleur, ne tue pas, ne vole pas chaque jour ; ils sont donc innocents ?
Il lui a formé une compagne aimable, semblable à lui, qu’il lui a unie par des liens indissolubles ; il lui fait naître d’autres lui-même qui lui font tous les jours goûter les douceurs de la société, les charmes de la tendresse & du respect ; il peut avec des amis vertueux, par un commerce de sentimens, de services & de plaisirs, goûter des délices pures & innocentes ; des exercices honnêtes, un travail conforme à son goût & selon ses talens, n’est pas moins utile à sa santé qu’amusant & récréatif ; la campagne lui déploie ses richesses, & paye avec usure le soin qu’il prend de la cultiver, les arbres lui présentent des fruits, les prairies font éclorre des fleurs, les troupeaux font couler des ruisseaux de lait, il peut déclarer une guerre innocente aux habitans de l’air.
Les Chrétiens ne peuvent se regarder devant Dieu qu’en deux manières ; ou comme innocents ou comme criminels. Comme innocents, si par sa miséricorde ils ont conservé la grâce qu’ils avaient reçue dans leur Baptême ; ou comme criminels, s’ils l’ont perdue par quelque péché mortel.
Le théâtre était innocent, et même pieux dans les principes du paganisme : on y célébrait les Divinités reconnues, on y débitait la morale reçue, on y représentait des événements consacrés, on y rendait un culte autorisé dans l’Etat. […] Les gens de bien persécutés sont ces Martyrs dans le sang desquels elle se baigne : le sang des innocents qu’elle séduit et qu’elle fait mourir à la grâce, crie-t-il moins vengeance contre la main qui l’a versé ?
La Parodie serait peut-être estimée, si elle n’était un genre favorable à la malignité, plutôt qu’à l’innocente plaisanterie.
Mais de là, il ne s’ensuit pas que les commencements soient innocents : pour peu qu’on adhère à ces premières complaisances des sens émus, on commence à ouvrir son cœur à la créature : pour peu qu’on les flatte par d’agréables représentations, on aide le mal à éclore ; et un sage confesseur qui saurait alors faire sentir à un chrétien la première plaie de son cœur et les suites d’un péril qu’il aime, préviendrait de grands malheurs.
Si les spectacles sont aussi innocents qu’il le prétend, si bien loin d’y courir aucun risque pour l’innocence, on y prend au contraire, les plus belles leçons de vertu, pourquoi serait-on étonné et même scandalisé d’y voir des personnes, qui font profession d’une plus grande régularité ?
L’Amphitrion de Plaute leur en fournit l’idée : ils crurent cependant qu’une femme telle qu’Alcmène, innocente et adultère tout à la fois, ne serait pas un objet assez piquant sur la scène ; on démasqua le vice en ôtant le verni dont le Poète Latin l’avait couvert.
Elle n'est donc que pour ces Chrétiens qui partagent en quelque façon l'Evangile, en reconnaissant ses mystères, parce qu'ils n'en sont pas incommodés ; et ne reconnaissant pas ses maximes (au moins dans la pratique) parce qu'elles condamnent leur vie et leur libertinage; comme ils veulent s'abandonner aux désirs de leur cœur, ils corrompent les plus solides vérités, ils cherchent à trouver innocent ce qu'ils ne veulent pas cesser de faire, ils obscurcissent leurs esprits par des ténèbres volontaires, pour suivre sans remords la coutume qu'ils ne veulent pas surmonter : et la peur qu'ils ont de découvrir des vérités qui les empêcheraient de pécher en repos, fait qu'ils demeurent dans des erreurs communes, sans vouloir examiner si ce sont en effet des erreurs. […] Comme ces personnes ne sauraient nier les principes de notre Religion, c'est à elles que j'adresse particulièrement cet ouvrage; j'espère leur prouver que la Comédie, en l'état qu'elle est aujourd'hui, n'est pas un divertissement innocent comme ils se l'imaginent, et qu'un chrétien est obligé de la regarder comme un mal.
On a peine à ne pas excuser Phèdre incestueuse et versant le sang innocent. […] Ainsi elles ne sont innocentes ou criminelles que par l’usage que nous en faisons selon notre caractère, et ce caractère est indépendant de l’exemple. […] Ces aimables personnes passent ainsi leurs jours, livrées aux occupations qui leur conviennent, ou à des amusements innocents et simples, très propres à toucher un cœur honnête et à donner bonne opinion d’elles. […] L’innocente joie aime à s’évaporer au grand jour ; mais le vice est ami des ténèbres, et jamais l’innocence et le mystère n’habitèrent longtemps ensemble. […] Je suppose l’amour innocent et libre, ne recevant de lois que de lui-même ; c’est à lui seul qu’il appartient de présider à ses mystères, et de former l’union des personnes, ainsi que celle des cœurs.
L’importance de mieux régler l’emploi de ce fléau sur la scène, est d’autant plus grande, que non-seulement les méchants, mais aussi des auteurs très-estimables en ont fait l’usage le plus préjudiciable ; car, je le demande encore une fois aux plus grands partisans même de son utilité et de son indépendance accoutumée, l’auteur du Tartufe, qui, en considération du mal réel qu’il avait intention d’arrêter, du vice odieux qu’il voulait combattre, peut être justifié ou excusé d’avoir saisi l’arme du ridicule, tandis qu’un si grand nombre d’individus foulaient aux pieds avec scandale et paisiblement lès censures, la religion, toutes les vertus, et d’aller combattre d’abord ceux qui les recommandaient du moins à l’extérieur par des exemples et des discours ; et les combattre de manière encore à frapper également les bons et les méchants, à frapper ceux qui se cachaient de peur de scandaliser l’innocence et la vertu, comme ceux qui se cachaient seulement de peur d’être pris et pendus ; cet auteur, dis-je, est-il aussi excusable d’avoir employé cette arme cruelle dans ses critiques éclatantes et solennelles d’égarements, ou travers innocents qui accompagnent même les plus sublimes vertus, qui tiennent à la faiblesse humaine, lesquels n’ont pas plutôt disparu que d’autre les remplacent par une succession aussi nécessaire que celle des pensées frivoles qui assiègent continuellement les esprits forts et les faibles ? […] N’en doit-il pas plus coûter à une âme délicate d’affliger ainsi l’innocent en le confondant avec le coupable ? […] Si le conseil, ou la commission composée, croyant ne devoir pas renoncer tout-à-fait à l’ancien domaine de la comédie, préférait quelquefois encore aux attaques directes et personnelles les satires vagues et indéterminées, ce serait, en prescrivant de les exercer avec des ménagements et tempéraments nouveaux, avec des contre-poids mieux calculés en faveur des hommes paisibles et innocents qui se trouvent confondus avec les coupables ; par exemple, avec l’attention de donner à la scène un air de famille, de la composer, autant que possible, de gens de la même classe, d’y faire censurer le plus fortement le coupable par des personnages réputés estimables, de son âge, de son rang, de son état et de sa qualité.
Ils se retranchent sur la droiture d’intention, la pureté du cœur, l’insensibilité stoïque des acteurs & des spectateurs, qui n’y sentent aucune passion, & n’y trouvent qu’un amusement innocent. […] On pourroit l’espérer sur des objets dont les attraits font médiocres ; mais s’exposer volontairement sans nécessité, contre la défense de l’Eglise, aux occasions prochaines, aux plus vives sensations, aux objets les plus séduisants, s’y croire en sureté, s’y dire innocent, ce sont des paradoxes que la morale la plus relâchée n’adoptera jamais. […] Il fit mourir toute sa famille, les saints Innocents & une infinité de personnes.
Hist. du Portugal; Le Pape Innocent XI, conduit par son zele & par sa piété, fit un réglement très-sage pour les théâtres de l’état ecclésiastique, qu’on y tolere comme les courtisanes : il défendit aux femmes de monter sur le théâtre : c’étoit l’usage des Grecs, qui n’eurent jamais des actrices. […] L’Esther de Racine, & le Tartufe de Moliere ont été faits en partie contre Innocent XI, qui étoit extrêmement devot ; quoique plusieurs autres causes y ayent contribué, & que Mr. de Lamoignon, Mr. de Louvois ayent eu part aux sarcasmes, ces soupçons sont très-légitimes, & le public ne s’y méprit pas. […] Le 14 Mai 1618 Jacques I, Roi d’Angleterre, donna un Édit pour autoriser les danses & autres divertissemens innocents, qui servent les jours de fête de délassement au peuple.
Un Magistrat, un grand Officier, un père une mère de famille, un homme, une femme avancés en âge, ceux qui font une profession déclarée de piété, doivent sentir que ce seroit ajouter le ridicule à l’indécence & au scandale, de se permettre ce qu’à peine ils doivent tolérer dans une jeunesse folâtre, dont l’âge n’a pas encore mûri la raison, ce qu’on croit innocent, dit Tertullien, parce qu’il est couvert de la pourpre : Improba definunt esse purpurata flagitia. […] Quand on avance hardiment qu’il ne se passe rien que d’innocent dans la danse, ne diroit-on pas qu’il s’agit d’une danse de marionnettes insensibles à tout, & pour qui tout est insensible, qui n’ont ni des yeux pour jeter de mauvais regards, ni de langue pour dire de mauvaises paroles, ni d’oreilles pour les entendre, ni de mains pour prendre des libertés criminelles, ni desprit pour avoir de mauvaises pensées, ni de cœur pour former de mauvais desirs ? […] Cet exercice fût-il innocent, ne s’y mêlât-il pas des circonstances criminelles, ce qui est impossible, les excès qu’on y commet, le temps qu’on y perd, la peine qu’on y prend, l’argent qu’on y dépense, la passion avec laquelle on s’y livre, non-seulement sont des péchés, mais encore aux yeux de la raison des traits insensés & ridicules.
chacune de ses parties est innocente. […] Auteur, Acteur, spectateur, tout est mauvais, tout n’enseigne que le vice, & dans son système le théatre réel est justement condamné, puisqu’on n’y trouve aucun des traits qui rendroient innocent & utile le théatre imaginaire. […] Mais on ne s’est point apperçu de ces mauvais effets, on en revient aussi innocent, on se sait même bon gré de la diversion qu’il a faite à d’autres crimes.
L’on doit donc approuver ceux qui prennent cette voie, si d’ailleurs ils ont l’attention la plus scrupuleuse à ne rien mettre que d’extrêmement châtié dans la bouche de ces innocentes créatures.
Quand même ces choses ne seraient point consacrées aux Idoles, il ne serait pas néanmoins permis aux fidèles Chrétiens d'en être les acteurs, ni les spectateurs; et quelques innocentes qu'elles fussent, ce ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient point à ceux qui font profession du Christianisme.
Je ne me range point parmi les accusateurs de M. le curé de Saint-Germain l’Auxerrois ; mais de deux choses l’une, ou ce curé est coupable et il est indigne du poste qu’il occupe, ou il est innocent et alors son caractère sacré lui impose l’obligation de prouver publiquement et authentiquement son innocence, de la manière et sous telle forme que le jugeront convenables ses supérieurs.
L’amour de Cléante et de Marianne peut être conservé tel qu’il est dans Molière, en tâchant seulement de le rendre encore plus pure et plus innocent.
Ce n’est pas un amour purement brutal et sensible, qui fait les grands désordres dans le monde ; c’est cet autre amour qui tient de l’esprit, qui se repaît de ses idées ; qui ne veut pour prix que des complaisances, qui se figure quelque choses de divin en son objet, et qui lui croit aussi rendre des respects fort innocents ; c’est cet amour qui met les soupirs au cœur, les larmes aux yeux, la pâleur sur le visage, qui occupe jour et nuit toutes les pensées, qui porte l’extravagance et à la fureur, et voilà l’amour que les plus chastes théâtres mettent dans les cœurs.
Pecuniam igitur ab hominum manibus excute, quæ avaritiæ scelerumque omnium seges est : arma omnia regio tolle interdicto quæ sunt furoris et invidiæ comites et administri : judicia pelle de Republ. quibus innocentes aliqui per fraudem opprimuntur. […] at clamant illa se omnibus sæculis quasi ludum virtutis et scholam modestiæ patuisse : apud se civiles ferias et in integra, innocente, religiosa hilaritate positas, magistrorum suorum artem Reip. convenientem, juventuti necessariam esse : versari in aulis Regum in oculis magistratuum : non minus animo concepturum scelus antiquitate teste, qui theatra everterit, quam Xerxem, qui templa, qui aras, qui delubra Græciæ disturbavit.
Car c’est alors qu’elle se met en defense, qu’elle devient subtile, & ingenieuse, qu’elle s’imagine mille pretextes pour appuyer son droit, & que dans la crainte d’être privée de ce qui la flate, elle vient enfin a bout de se persuader, que ce qu’elle desire est honnête & innocent, quoi qu’au fond il soit criminel, & contre la loi de Dieu. * Mirum quippe quam sapiens sibi videtur ignorantia humana, cum aliquid de hujusmodi gaudiis ac fructibus veretur omittere.
Et ce qui doit être de grande considération sont les paroles de Tite-Live« Quod genus ludorum ab Oscis acceptum tenuit juventus nec ab Histrionibus pollui passa est. », qui dit qu'après l'établissement des Jeux Scéniques, les jeunes gens qui jouèrent les Fables Atellanes, ne permirent jamais aux Histrions de se mêler avec eux, de crainte qu'ils ne corrompissent les innocentes railleries qui s'y faisaient ; Car puis qu'il est certain que les Comédiens et les Tragédiens ont toujours été dans un rang élevé au-dessus des Atellans, ils ont été bien moins capables de souffrir ce mélange des Bouffons, ni le commerce de leurs honteuses plaisanteries.
On dira peut-être, ajoute ce Père, qu’une telle défense ne regarde que les pécheurs publics à qui l’on refusait les récréations les plus innocentes ; mais je vous assure que l’éloignement des spectacles est un préservatif indispensable à quiconque est jaloux de conserver son innocence.
Et après cette clémence, plus que divine, comme l’auteur, par une autre contradiction, le montre lui-même dans son Festin de Pierre, où Dieu engloutit un méchant, recommandée dans le Misantrope envers les agents de tous les désordres de la société, des plus grands maux qui accablent les hommes ; si vous vous rappelez les coups sensibles et redoublés qui ont été portés aux femmes les plus innocentes des malheurs du monde ; si vous réfléchissez à l’extrême rigueur avec laquelle ont été punies par le même auteur dans deux autres pièces fameuses des fautes de grammaire, ou des ridicules, quelques travers à l’égard desquels ses préceptes d’indulgence étaient excellents et obligés ; si vous remarquez encore qu’après avoir ridiculisé les délassements et les plaisirs honnêtes des sociétés les plus décentes de son temps, et avoir renvoyé durement à leurs aiguilles et à leur pot au feu des femmes plus opulentes et plus distinguées que la Dlle de Sotenville, personnage de l’Ecole des Femmes, il donne pour exemple cette dernière qui a des goûts et tient une conduite tout-à-fait opposés à celle qu’il prescrit aux autres ; car c’est bien la proposer de fait pour exemple contraire que de la rendre le personnage aimable de la pièce, et de lui donner raison, la faire applaudir en public lorsqu’elle rejète les remontrances de son époux, qui lui rappelle des préceptes appropriés à celui des aiguilles et du pot au feu, et refuse de se consacrer à son ménage et à sa famille, en déclarant qu’elle ne veut pas s’enterrer, qu’elle n’entend pas renoncer aux plaisirs du monde, qu’elle se moque de ce que disent les maris, qu’elle veut jouir indépendamment d’eux des beaux jours de sa jeunesse, s’entendre dire des douceurs, en un mot voir le monde ; tel est le langage de la maîtresse de cette école (Ariste que Molière rend exemplaire aussi dans l’École des maris est parfaitement de l’avis de donner toutes ces libertés aux femmes ; elles en ont bien joui depuis ces inspirations ; quand on les leur a refusées, elles les ont prises) ; si on fait ces rapprochements ou remarques, dis-je, sans prévention, il est impossible, à la vue de tant de contradictions incontestables et de cette variation de principes et de conduite de ce fameux poète comique, de ne pas soupçonner au moins que son désir d’améliorer les mœurs était aveuglé et dirigé par une verve impérieuse et désordonnée qui le portait à appréhender et fronder à tort et à travers telles classes, telles professions et réunions, ou telles personnes, et de faire rire le public à leurs dépens, et au profit de sa manie et de sa renommée. […] Une seule observation sur les assemblées qui ont succédé à celles-là, qui ont été la réforme de ces tribunaux de mœurs et de délicatesse, montre dans ce changement étonnant le funeste succès de ces différentes satires qui ont tout confondu, tout assimilé, innocents et coupables, punitions et délits ou fautes, travers et crimes, accusateurs, juges et exécuteurs, par lesquelles des personnes pures, seulement coupables de néologisme, ou de quelque travers, sont frappées de la même verge, subissent la même peine que des hommes pervers qui scandalisent la société par des vices honteux. […] Elles ont été poursuivies dans tous leurs retranchements par la manie coupable de persécuter les manies innocentes.
Il est vrai que la pudeur est un fard innocent, qui donne un nouvel éclat & de nouvelles graces aux personnes les plus aimables ; il est vrai que c’est un puissant secours que Dieu a préparé aux femmes, pour soutenir leur foiblesse, communément plus grande que celle des hommes. […] Ce sentiment commun à tous, à l’ignorant comme au savant, aux simples, comme aux politiques, au coupable comme a l’innocent, est un mouvement naturel & involontaire de honte & de crainte du péché, le cri de la conscience que Dieu fait entendre, une vraie grace de préservatif & de remede. […] La voilà cette ame innocente, couverte de la robe de la modestie ; elle est sensible à tout, s’allarme de tout, l’heureuse ignorance du vice lui en fait un monstre, son seul aspect la trouble, la fait frémir.
Innocent XI défendit aux femmes de monter sur le Théatre. Innocent XII rejeta la Requête que les Comédiens de France lui firent présenter en 1696, pour être relevés de la rigueur des Canons ; il les renvoya à l’Archevêque de Paris.
L’Historien continue : Le Roi & la Reine d’Angleterre étoient ravis qu’on peignît le Pape Innocent XI, qui avoit contribué à les détrôner, comme un aveugle à qui le Diable avoit crevé les yeux : Et l’enfer couvrant tout de ses voiles funèbres, Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres. […] Que sera-ce, si on y ajoûte l’énormité de la calomnie, qui par un mensonge déshonorant impose de faux crimes à l’innocent, ou fait disparoître de vraies vertus ?
Sed Poetas efferri audies sanctos, graves, innocentes : illos quodam afflatu quasi divini furoris inflammatos, non fractos et molles, non impudicos et effœminatos et plane tuos, qui Minervam suam constuprarunt, Musas prostituerunt, Parnassum vestigiis libidinum fœdaverunt. […] Hæ sunt virtutis scholæ quas tu, Rosci, tantopere prædicabas : hæ prælectiones tanto intervallo sacris concionibus anteponendæ : hi ludi casti atque innocentes rebusp. necessarii ; hi denique magistri sanctitatis.
Il n’est pas jusqu’à l’innocent congréganiste qui hurle d’effroi, de se voir enrégimenté parmi les vils espions du Vieux de la montagne f, de ce terrible inquisiteur, de cet impérieux général de toutes les congrégations de Loyolag, répandues dans l’univers. […] Le même principe encore, fit mitrailler le peuple à Cadix et massacrer d’innocents écoliers à Pavie.
Il cite saint Cyprien dans la seconde Epitre, qui nous apprend que les Chrétiens regardaient ces Spectacles comme une grande source de corruption pour les mœurs : le Théâtre était une école d’impudicité, l’Amphithéâtre de cruauté, et saint Augustin ajoute dans le sixième Livre de ses Confessions Chapitre 7. que le Cirque qui paraissait le plus innocent causait des factions, et produisait tous les jours des querelles et des animosités furieuses. […] Vous remarquerez qu’il n’y en a presque point qui ne soient pleines des médisances et des calomnies les plus atroces, et qui ne soient des satires sanglantes, où l’on n’épargne ni la Personne sacrée des Souverains, ni celle des Magistrats, ni celle des personnes les plus innocentes et les plus pieuses.
Néanmoins il est encore véritable, qu’on ne doit pas condamner absolument quelques danses qui se feraient modestement et honnêtement en quelques occasions extraordinaires, comme ès noces, et autres assemblées rares de parenté et d’amitié, pourvu qu’on en bannisse les mauvaises circonstances, qui ont été marquées ; étant à observer que toutes personnes qui auraient l’expérience que la danse les fait tomber ordinairement en quelqu’unm des péchés susdits, s’en doivent abstenir comme d’une chose mauvaise, et que ceux même qui sortent de la danse fort innocents de ces péchés, doivent craindre de se rendre coupables des péchés des autres, qui ont été engagés par leur exemple à danser : ce qui fait conclure que toutes sortes de personnes doivent s’abstenir autant qu’il leur sera possible de toutes danses.
Ce n’est pas qu’en métaphysique, cette séparation soit absolument impossible, ou comme parle l’école, qu’elle implique contradiction : disons plus, on voit en effet des représentations innocentes ; qui sera assez rigoureux pour condamner dans les collèges celles d’une jeunesse réglée à qui ses maîtres proposent de tels exercices pour leur aider à former ou leur style ou leur action, et en tout cas leur donner surtout à la fin de leur année quelque honnête relâchement ?
Le Public se flatte que vous y laisserez tout ce qu’un enjouement innocent vous a dicté.
Que ces mêmes Poësies fussent des Tragédies, seroient-elles par ce seul endroit plus contraires à la morale chrétienne, moins innocentes aux yeux de la Religion ? […] Les Comédiens sensés approuveront eux-mêmes un projet de réforme & de réglement qui ne tend qu’à rendre estimable & honnête devant les hommes, innocente ou du moins tolérable aux yeux de l’Eglise, une Profession qui n’est rien de tout cela. […] Mais cet amour est innocent ; il est fondé sur la convenance, sur la proportion des âges & du rang, sur les droits communs au trône. […] By which and other wise regulations the Theatre might become a very innocent and useful diversion instead of being the scandal and reproach to our religion and country.
En effet, qui sont ceux qui croient les fréquenter avec le plus de droit, & avec les dispositions les plus innocentes ? […] Les mœurs innocentes de ces Magistrats, & leur extérieur même, servoient de loi & d’exemple. […] Innocent XI défendit aux femmes de monter sur le Théatre. Innocent XII rejetta la Requête que les Comédiens de France lui firent présenter en 1696, pour être relevés de la rigueur des Canons à leur égard. […] On a peine à ne pas excuser Phedre incestueuse, & versant le sang innocent.
Si donc la danse l’expose sous un aspect séduisant, est-elle innocente, laisse-t-elle innocent ?
Les filles avoueront que l’amour de Chimène fait bien plus d’impression sur elles que sa piété, qu’elles sont plus touchées de la perte qu’elle fait de son amant, que de celle qu’elle fait de son père, et qu’elles sont plus disposées à imiter son injustice qu’à la condamner. » Il regarde comme impossible, depuis le péché originel l’entière pureté du théâtre, ainsi que des Poètes, parce « que les mauvais exemples plaisent plus que les bons, qu’on a plus d’inclination pour le vice que pour la vertu, qu’on exprime beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les criminelles que les innocentes, et que les Poètes, contre leur intention même, favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et lui prêtent des armes contre la vertu, qu’ils veulent défendre, etc. » Sans toutes ces antithèses, ordinaires à cet éloquent et pieux Ecrivain, et qui n’affaiblissent pas la vérité qu’il enseigne, le P. le Moine, Jésuite, dans son Monarque, le P. […] Il permet des jeux, mais des jeux de gymnastique qui forment le corps, des conversations philosophiques qui éclairent l’esprit, des repas innocents qui lient les citoyens.
Hippolyte prêt à mourir, en déclarant qu’il est innocent, & que les imprécations de son Pere sont injustes, reconnoît qu’il périt à cause des anciens crimes de ses Ancêtres : παλαιῶν προγενητὀρων.
Souvent celle qui est entrée innocente au bal, en sort impudique.
Papes, Innocent I. […] Nous observerons en passant que c’était principalement le jour de la Fête des Saints Innocents qu’on créait ces faux Evêques. […] Il défend encore de célébrer la Fête des Fous ou des Innocents. […] Innocents, et en quelque autre jour que ce soit. […] Innocents. « Cessent in die Sanctorum Innocentium, ludibria omnia et pueriles ac Theatrales lusus.
Rousseau n’eût dit que cela, il eût pensé comme tous les honnêtes gens ; mais ce n’était pas assez pour lui : tout comique sans distinction est, s’il faut l’en croire, une école de vice : il n’en connaît point d’innocent. […] Mais cet amour innocent, dans l’état de simple nature, peut ne l’être pas dans la constitution actuelle des choses : il y a même des circonstances où il est puni par les lois, comme crime de séduction ; il ne serait donc pas prudent de s’en tenir à cette règle. […] comme si les vives images d’une tendresse innocente étaient moins douces, moins séduisantes, etc. […] Ainsi elles ne sont innocentes ou criminelles que par l’usage que nous en faisons, selon notre caractère, et le caractère est indépendant de l’exemple. […] Cela peut être ; mais ce que le théâtre a fait, le spectacle le plus innocent l’eût fait de même.
La scène est une femme de mauvaise vie qui fait la prude pour cacher son jeu, & par l’appas d’une modestie superficielle séduit l’ame innocente, qui l’eût repoussée, si on l’eût attaquée ce visage découvert. […] Dans combien de pieces voit on un Acteur caché, qui a tout entendu, montrer la plus vive & la plus juste indignation d’un entretien qu’on n’auroit osé tenir devant lui, tout innocent qu’on veut le faire croire ?
Il est impossible que les discours des amans, toujours outrés sur la scène, ne confirment le libertin dans son dérangement, ne réveillent l’esprit le plus assoupi, & ne donnent entrée au vice dans la jeunesse la plus innocente. […] Il est vrai que dans ce siecle le goût du spectacle est extrême ; non-seulement on y mène les jeunes gens, mais on les forme dès l’enfance à la déclamation théatrale, comme faisant partie de la bonne éducation, on joue des pieces dans les Collèges, les Séminaires, les Couvents, chez les Seigneurs, chez les Bourgeois, & par une inconséquence de conduite incroyable les mères les plus sévères, qui ne vont ni ne laissent aller leurs filles à la comédie, y assistent & leur laissent voir représenter sur les théatres de société les pieces de Moliere, & même des parades plus licentieuses que la comédie publique, comme si c’étoient les murs, les décorations, les habits, qui méritent leur censure, non les pieces où se trouve le plus grand danger, & qui ont le plus besoin de réforme, pour en faire un divertissement innocent & même instructif.
Veut-on voir quel est l’amour innocent qu’on dépeint dans l’Opéra-Bouffon ? […] Dupré adresse à dame Gertrude, qui prétend que l’amour soit intellectuel, ces paroles dont le sens est assez clair ; (notez bien qu’il est minuit, & que c’est toujours l’heure ordinaire de leur innocent tête-à-tête.)
Oui, suivant ses ardeurs, Ses transports et ses caprices, Ses douces langueurs, S’il a quelques supplices, Il a cent délices Qui charment les cœurs. » Enfin cette pauvre innocente tombe ensuite d’aveuglement en aveuglement. […] « Puisque sans ce secours, C’est un homme à porter en terre dans trois jours. » Si la grâce de Dieu abandonne cette fille, elle sera assez innocente pour répondre, comme fit cette Agnes, qui parle ici, « Hélas : très volontiers.
Primo, que l’on doit fuir soigneusement l’occasion et ne jamais présumer de ses forces ; secundo, que la prévention des Juges fait la perte des innocents ; tertio, que les flatteurs « sont le présent le plus funeste qu’ait jamais fait aux Rois la colère céleste »bl . […] Mais quelle horreur n’aura-t-on pas pour un Scélérat protégé ou puissant qui, après s’être impunément souillé de tous les crimes, aura néanmoins été assez bien servi en Cour pour en sortir blanc et net, et pour obtenir même un poste éclatant du haut duquel il insulterait à la probité, braverait les lois, opprimerait les faibles et les innocents : un tel homme serait d’autant plus odieux à tout le monde qu’il jouirait tranquillement de ses forfaits, et qu’il serait heureux au sein du crime : ceux qui se seraient attendris pour lui en le voyant conduire au supplice deviendraient eux-mêmes ses bourreaux, au moment qu’ils le voient heureux.
Les Comédiens sont des gens décriés de tous les temps, que l’Eglise regarde comme retranchés de son corps ; mais quand Molière aurait été innocent jusqu’alors, il aurait cessé de l’être, dès qu’il eut la présomption de croire que Dieu voulait se servir de lui pour corriger le vice. […] En voici un exemple sur mille, rapporté dans la vie de Dona Olimpia, belle-sœur du Pape Innocent X.
Le Conseil du Roi, qui ne voulait pas nuire à une famille innocente et distinguée, lui donna le délai qu’il demandait, et cette affaire en demeura là. […] Peut-on regarder comme innocent ce que la religion fait arroser de larmes, et dont on craint de rendre compte au jugement de Dieu ?
L’Opera seroit un divertissement assez honnête & assez innocent pour les Chrêtiens, s’il n’avoit rien de contraire à leur profession. […] Par ces paroles Du quatriéme Concile General de Latran sous Innocent III. en 1215a. des Statuts Synodaux de Michel Loyseau Evêque d’Angers vers l’an 1240. ou 1255. de ceux de Pierre de Colmieu Archevêque de Roüen en 1245b. de deux Conciles de Colognec, l’un vers l’an 1280. […] Il est bien difficile que les femmes & les filles l’y conservent à la vûë de tant d’hommes & de tant de garçons, & l’esprit estant si puissamment attaqué du côté des yeux par les ruses de nôtre ennemi, qui est si subtil. » Il n’est pas mal aisé de juger par tout ce que nous avons dit jusques ici, que la danse ne peut gueres passer pour un divertissement legitime & innocent.
Les innocents ne sont-ils jamais sacrifiés, ou par la malice du juge, ou par la négligence de l’avocat, ou par l’irrégularité de l’information ? […] Certainement il y a des gladiateurs innocents, qui paraissent dans l'amphithéâtre, pour devenir les hosties du plaisir public. […] Voilà les véritables plaisirs des chrétiens : voilà leurs spectacles innocents, perpétuels, et qui ne leur coûtent rien.
Mais quand Moliere auroit été innocent jusqu’alors n’auroit-il pas cessé de l’être dès qu’il eut la présomption de croire que Dieu vouloit bien se servir de lui pour corriger un vice répandu par toute l’Eglise, & dont la réformation n’est peut-être pas même reservée à des Conciles entiers ?
Il y a long-temps que l’on convient assez généralement qu’un honnête homme ne doit pas se permettre la plus innocente raillerie.