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37. (1754) Considerations sur l’art du théâtre. D*** à M. Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Geneve « Considérations sur l’art du Théâtre. » pp. 5-82

Il n’appartient pas à l’homme d’être parfaitement vertueux ; il n’est pas en lui d’être absolument vicieux ; c’est par cette raison qu’on se sert de couleurs fortes au theâtre pour peindre les vices & les vertus. […] Le mepris & l’indignation ne sont pas toujours employés par les hommes vertueux pour écraser les méchans ; ils s’en servent rarement au contraire, & n’ont recours à ces armes rigoureuses, que lorsqu’ils ne peuvent parvenir à les corriger par des voyes plus douces. […] Une leçon à l’homme vertueux d’être sur ses gardes : c’est un avertissement du danger dont il est menacé. […] Je ne l’attendois pas d’un Philosophe, d’un homme persuadé qu’on ne peut être vertueux sans religion, d’un homme qui dans le commencement de son ouvrage justifie avec tant d’aigreur les Ministres de Geneve, de l’imputation de Socinianisme. […] Une femme aimable & vertueuse n’est pas un être de raison, comme vous le prétendez, en demandant : Où se cache-t-il ?

38. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 10 « Réflexions sur le théâtre, vol 10 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE DIXIEME. — CHAPITRE PREMIER. Peinture & Sculpture. » pp. 4-40

Il en est comme des gens vertueux, dont on ne peut souffrir les exemples & la présence : on n’aime que son semblable, le mal gagne peu-à-peu jusques dans le cloître. […] Remarquez que quand c’est une femme vertueuse qui peint, elle couvre les hommes, & un peintre vertueux couvre les femmes : Aspectus corporum nudorum tam mâris quam fæminæ irritare solet lasciviam : comme ce sont, plus ordinairement, les hommes qui sont sculpteurs & peintres ; ils sont moins frappés de l’immodestie de leur propre corps, & ne sentent point le danger qu’ils font courir aux femmes. […] Il n’est plus de vertueux Asa, qui chasse l’actrice, brise l’autel, & la figure des Dieux des jardins. […] Valere Maxime, auteur payen, mais vertueux, qui a recueilli une infinité de traits de vertu, prouve, L. […] Quelque misantrope de mauvaise humeur, prétendit que c’étoit là des saints apocriphes qui n’étoient point dans les légendes du nouveau bréviaire ; mais sans doute dans celles du romain ; il faut donc, dit le vertueux bénéficier, les mettres en état de figurer avec mon portrait, il n’y a rien à faire au Mercure, les nudités des hommes sont sans conséquence ; les Dames qui viennent ici n’y font aucune attention.

39. (1702) Lettre de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour. Lettre de Lettres curieuses de littérature et de morale « LETTRE. de M. l’Abbé de Bellegarde, à une Dame de la Cour, qui lui avait demandé quelques réflexions sur les pièces de Théâtre. » pp. 312-410

La science des mœurs est absolument nécessaire à quiconque veut entreprendre une pièce dramatique, puisque les mœurs sont le principe du bonheur ou du malheur des hommes : Quoiqu’on voit souvent des personnes vertueuses, accablées de malheurs, et des scélérats dans la prospérité : cependant comme le but de la Tragédie est d’instruire, pour détourner les hommes du vice, et pour les porter à faire des actions vertueuses ; le Poète ne doit pas représenter la vertu toujours opprimée, ni le vice toujours impuni, ou triomphant. […] Il faut avoir soin de conserver toujours aux gens le même caractère, c’est-à-dire, qu’un Héros ne soit pas intrépide dans une occasion, et lâche dans une autre ; un Philosophe prudent, et étourdi ; une femme vertueuse et coquette, selon les occurrences. […] Si la disposition du sujet, ou la vérité de l’Histoire ne permet pas au Poète de récompenser la vertu, il y faut suppléer en quelque manière par les louanges, que quelques personnages considérables de la Tragédie donnent publiquement aux actions vertueuses, qui demeurent sans récompense. […] Quelque méchant que soit un homme, il ne laisse pas d’avoir des sentiments vertueux qui le retiennent, et qui le font balancer au moment qu’il délibère de commettre un crime. […] Il est bon qu’il découvre les vicieuses inclinations des personnes, qui ont des sentiments dépravés, de peur que leur mauvais exemple ne fasse impression sur des esprits faibles ; car le penchant naturel incline plutôt les hommes au vice, qu’aux actions vertueuses.

40. (1694) Maximes et Réflections sur la Comédie « IX. Qu’il faut craindre en assistant aux comédies, non seulement le mal qu’on y fait, mais encore le scandale qu’on y donne. » pp. 41-43

, ou que l’auteur ne nous fasse des vertueux à sa mode, qui croient pouvoir être ensemble au monde et à Jésus-Christ.

41. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — QUATRIEME PARTIE. — Tragédies à corriger. » pp. 180-233

Or, si l’importance de ce point est reconnue, n’est-il pas constant que les Auteurs, qui ont retranché de leur Pièce le personnage de Créon, s’exposent à faire paraître Œdipe trop vertueux ? […] Les Modernes pourraient critiquer l’Auteur de la Tragédie de Géta ; parce que ce Prince, ainsi que Justine sa maîtresse, sont représentés trop vertueux, sans donner lieu à la compassion des Spectateurs de s’affaiblir par la vue de quelque défaut, suivant qu’ils soutiennent que les Anciens ont fait : je pense, pour moi, que les Anciens n’ont jamais songé à diminuer la compassion des Spectateurs ; car ce serait avoir entrepris de faire violence à la nature, chose qu’on ne peut leur reprocher. […] Œdipe est puni du crime qu’il a commis, quoiqu’aveuglé par l’ignorance ; Oreste tue sa mere par l’ordre de l’Oracle, et il est poursuivi par les Furies, en punition de son crime ; Hyppolite, chaste et vertueux, meurt par la vengeance du Dieu qui le persécute, etc. cela devait arriver, disaient les Anciens : et, encore une fois, ce n’était que l’ordre du Destin qu’ils avaient en vue. […] La Vestale ne doit point avoir d’amour pour Géta ; et ce petit changement produira un caractère vertueux et grand, qui fera un contraste admirable avec le caractère odieux de Caracalla.

42. (1590) De l’institution de la république « QUATORZIEME TITRE. Du Théâtre et Scène. » pp. 507-508

Mais de notre temps il n’est point de besoin, de dresser des Théâtres, d’autant que toutes les farceries, Tragédies et Comédies ne sont plus en usage comme du passé, ains ont été rejetées et bannies des villes, tant pour garder les mœurs honnêtes et vertueuses, que pour la sainteté et révérence de la vraie Religion Chrétienne, laquelle ne permet telles corruptions et déguisements.

43. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique — CHAPITRE IV. La Tragédie est-elle utile ? Platon condamne toute Poesie qui excite les Passions. » pp. 63-130

Disons la même chose de l’Amour de la Colere, & de toutes les autres Passions de l’Ame qui regardent ou le plaisir ou la douleur, & confessons qu’elle nous surmontent dans toutes les occasions, étant fortifiées en nous par la Poësie, qui au lieu de les secher, les arrose & les nourrit, au lieu de les faire obéir les rend maîtresses, & par-là d’heureux & de vertueux que nous étions, nous rend les plus méchans & les plus malheureux de tous les hommes. […] Un Œdippe quoiqu’innocent, une Phedre quoique vertueuse, objets rares dans la Nature, nous inspirent la Terreur parce qu’ils nous font craindre pour nous mêmes, & par là nous causent ce plaisir qui consiste à contempler les malheurs dans lesquels nous pourrions tomber, mais dont nous sommes exemts, quibus ipse malis careas, quia cernere suave est. […] Et pourquoi chercher à guérir & même a modérer dans les hommes, les Passions plus propres que les autres à les porter à la vertu, & que la nature a rendues plus communes parmi nous que les autres, parce qu’elle nous a faits pour être vertueux, comme dit Quintilien, natura nos ad mentem optimam genuit ? […] Qui ne voit qu’un tel sentiment ne peut se soutenir, & que les Poëtes doivent travailler au contraire à augmenter en nous cette sensibilité, qui ne peut nous porter qu’à des actions vertueuses ? […] Les hommes prompts à s’attendrir, sont ordinairement les plus vertueux.

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