que Nehemie étant animé de l’esprit de Dieu, reprit fortement les chefs des Juifs, de ce qu’ils souffraient qu’on profanât la sainteté du Sabath, en apportant en ce jour à Jérusalem des choses qui étaient nécessaires à la vie.
Mais passons et disons qu’une Comédie ne doit pas être appelée épurée et honnête, pour n’avoir pas de ces ordures grossières que des oreilles un peu chastes ne peuvent souffrir ; quand d’ailleurs elle est remplie d’autres passions spirituelles, qui déplaisent autant à Dieu, qui est un pur esprit, que ce vice grossier qui tire son origine de la boue de notre corruption.
Il ne souffrit jam ais à sa table les divertissemens scéniques. […] Quoiqu’on veuille dire que le Théatre ne souffre plus rien que de chaste, & que les passions y sont traitées de la maniere du monde la plus honnête ; je soutiens qu’il n’en est pas moins contraire à la vertu ; & j’ose même dire que cette apparence d’honnêteté & le retranchement des choses immodestes, le rendent beaucoup plus à craindre. […] Ces faux Casuistes sont du nombre de ceux dont il a été dit, qu’il y aura toujours des hommes qui étant dans l’erreur, se fortifient de plus en plus dans le mal, & y font tomber ceux qui ne pouvant souffrir la saine Doctrine, & ayant une extrême démangeaison d’entendre ce qui les flatte, ont recours à une foule de Docteurs propres à les séduire ; & fermant l’oreille à la vérité, ils l’ouvrent à des fables70. […] En voici quelques traits rapportés dans l’Ouvrage de Collier : « Plusieurs pieux Bourgeois & autres personnes de considération bien intentionnés pour la Ville de Londres, considérant que les Comédies & les Jeux de hazard étoient des piéges tendus à la jeune Noblesse & autres, & voyant de grands inconvéniens, tant pour les Particuliers que pour toute la Ville, si on les permettoit davantage, & que ce seroit une honte aux Gouverneurs et au Gouvernement de cette honorable Ville de Londres, de les souffrir plus long-temps, en ont averti quelques religieux Magistrats, les suppliant de prendre les moyens de supprimer les Comédies, & dans la Ville de Londres & dans ses dépendances ; lesquels Magistrats ont sur cela présenté une humble Requête à la Reine Elizabeth & à son Conseil privé, & ont obtenu de S.M. la permission de chasser les Comédiens de la Ville de Londres & de ses dépendances ; ce qui a été conformément exécuté, & les Salles de la Comédie de la Rue Grace-Church furent interdites & entiérement détruites. » On a de Charles Powei, Ecrivain Anglois, un Ouvrage politique qu’il donna en 1701, sous ce titre : The Unhappiness of England as to its Trade by Sea and Land truly stated, &c. […] Il décide que les Théatres devroient être proscrits dans un sage Gouvernement, comme n’étant propres qu’à énerver les sujets par la volupté ; & que si l’on est forcé de les tolérer pour condescendre à la fureur d’une multitude d’insensés, il faut que le Prince évite d’honorer de sa présence ces jeux scandaleux, & qu’il ne souffre point qu’on y représente des sujets qui tiennent à la Religion.
Les personnes intéressées ne peuvent souffrir le pinceau trop fidele qui les montre à découvert : ainsi la piece a dû déplaire à deux sortes de libertins ; les uns qui se jouent de tout, & dont le palais blasé ne goûte que le gros sel des passions que le titre de la piece leur promet ; les autres qui veulent garder quelques mesures, non de vertu, elle est trop bourgeoise, mais de hauteur, de noblesse, à qui on arrache le masque. […] Le vice ne peut souffrir les portraits qui le démasquent, ni les leçons qui en donnent horreur.
Princes qui étendez une domination éclairée et prévoyante sur cette belle partie du monde, menacée de perdre des avantages long-temps si marqués, sur le reste du globe, ne souffrez pas que l’ivresse des spectacles dévore une des grandes ressources de votre puissance ?
Le vin de Cahors vaut bien le théatre de Moliere ; l’hiver rassembla le peuple dramatique, que l’automne avoit dispersé : pour réparer le tems perdu, on joua tous les jours, fêtes & dimanches ; la coterie n’auroit pu fournir à un si grand travail, si elle n’eût été renforcée par une troupe de tabarins, que le bon vin de Cahors, & la grande réputation de la scéne Quercinoise attirerent, au nombre de vingt-cinq gens peu faits d’ailleurs pour amuser la bonne compagnie, qui n’avoient encore que débité de l’orviatan sur des théatres ; mais reçus avec enthousiasme, ils se sont évertués, ils ont pris, l’essor, par une noble émulation, & ont essayé des piéces régulieres ; on a dit qu’ils réussissoient, & la recette a été bonne, quoique la Ville soit déserte, misérable, chargée d’impositions, qu’elle ait souffert depuis bien des années, de grandes calamités, les bourses fermées aux pauvres, se sont ouvertes pour des charlatans, qui ne savent pas même leur métier, tant l’amour du théatre est une aveugle ivresse.
Personne ne la lui disputa, quoique bâtard : ce fruit du crime ne tenta point les parens, gens de bien & d’honneur ; & sans doute le pere n’eût point souffert que son fils en fût privé.