Roscius soutenait à Cicéron que l’éloquence ne peut pas avoir plus d’expressions différentes pour exprimer une même chose que l’art du théâtre offre de différents mouvements pour la faire sentir. […] Il faut qu’elle soit déclamée dans le sanhédrin, où l’on juge si elle peut être exposée au public ou non, c’est-à-dire, si on a lieu d’espérer que les spectateurs se sentiront fortement affectés des sentiments passionnés que le poète se propose d’exciter.
De faire connoître la mauvaise conduite des Administrateurs de la République, & des Généraux d’Armée, d’engager le Peuple à terminer par une Paix nécessaire, une Guerre qui duroit depuis plusieurs années, de lui faire sentir le ridicule de sa Religion, de lui reveler les fourberies de ses Prêtres, & de lui inspirer du mépris pour les Philosophes, qui ne débitent que de vaines subtilités. […] Lorsque le Juge répond au Plaideur qui lui demande audience, Voyez mon Secretaire, Allez lui demander si je fais votre affaire ; ce mot dit par simplicité, fait sentir plusieurs traits picquans. La raillerie est amere & enjouée : voilà ce sel qui se fait sentir à l’esprit, dit Quintilien, comme le sel ordinaire se fait sentir au palais : quand il assaisonne un Ouvrage, cet Ouvrage n’ennuie jamais.
1 Le Continuateur du Dictionnaire de Bayle en a aussi senti le prix ; car le fond de cette Lettre lui a servi pour composer l’article Racine. […] De-là il passe aux Pièces de Racine, & sa plume, conduite par le discernement & l’équité, en relève les défauts avec justesse & en fait sentir les beautés avec intérêt.
Un Philosophe moderne a fait sentir que l’appât du mieux pourrait être la cause de la fin du monde par la destruction totale de toutes les Sociétés. […] Je sentis trop sa supériorité pour vouloir lui disputer les honneurs du Cothurne, je me reservai ceux du Brodequin. […] Il aurait fallu que mon Père après m’avoir fait étudier inutilement, joignit aux regrets d’une dépense superflue, le chagrin d’en faire une nouvelle pour les frais de mon apprentissage, il aurait fallu que je me sentisse de l’inclination pour aucune de ces professions Mécaniques et qu’en conscience pour m’y livrer, je me sentisse capable de l’exercer. […] Que dis-je, Protecteurs du bien public, ils se sentiront obligés d’être les nôtres. […] On dit que j’ai bien senti qu’en répétant tout ce qu’il avait dit, je n’aurais pas pu lui répondre.
Une ame, accoutumée à ne s’ouvrir qu’aux effets, les sent plus vivement. […] La démangeaison de briller fit perdre le plaisir de sentir. […] Si quelques-uns cédérent à leur penchant ; ils sentirent la nécessité d’innover pour plaire, & pour triompher d’un refroidissement universel. […] On sent combien ses détours coûtent à l’amour-propre.
C’est assez de sentir combien les jeux plaisans, les propos facétieux, sont éloignés de la comédie dans l’état où nous la voyons, où tout tend à exciter les passions, où tous les objets sont dangereux, où l’assemblage artisé de tous les dangers imaginables forme une totalité de tentation à laquelle on ne résiste pas, dont les effets sont aussi funestes qu’inévitables. […] Qu’un Quiétiste, qui ne s’embarrasse pas de la partie-inférieure, pourvu que son esprit demeure uni à Dieu, prétende que la comédie n’altère point en lui cette sublime union & cette céleste aphatie, on gémira de son erreur ; les oracles de l’Eglise nous en font sentir le danger, & ce n’est pas l’asyle dans lequel les amateurs du spectacle se réfugient. […] Les représentations théatrales sont même plus dangereuses ; ce sont des peintures animées des passions, où des hommes & des femmes, vivant, agissant avec toutes les graces & les attraits du vice, sentent, expriment, font sentir tout ce que sentiroit le personnage qu’ils jouent. […] Qui ne sent la différence des romans avec les livres de médecine, des peintures lascives avec les planches anatomiques, des discours licencieux avec la confession de ses péchés ? […] Quand on le sent, quand on l’a éprouvé, qui peut douter de la nécessité de les fuir, dans la morale la plus relâchée ?
Nous ne croyons pas que la plûpart des Chrétiens assidus aux spectacles, puissent lire sans se sentir troublés & alarmés, tout ce qu’un zèle éclairé & véhément dicte au Théologien Espagnol contre leur fausse sécurité. L’Ecriture & les Peres lui fournissent toujours ses couleurs les plus vives, & ses traits les plus pathétiques : il emprunte jusqu’au langage des Payens, pour faire sentir le danger aux Chrétiens qui s’y exposent. […] Dans les sujets les plus édifians ; dans leurs scènes les plus religieuses, le Pécheur s’attendrit sans se repentit, on sent le plaisir de la compassion, sans sentir l’amertume de la componction ; ce n’est pas une pluie qui tombe du Ciel ; c’est une rosée qui s’élève de la terre ; elle ne nourrit que des feuilles maudites ; à l’ombre de l’arbre qu’elle rafraîchit, le vice s’engraisse & la vertu se dessèche.