Il avoit un autre tribunal chez lui, pour les audiences secretes : oubliant qu’il étoit disciple de Jesus-Christ, il faisoit le prince ; il vouloit qu’on écoutât ses prédications, non avec le respect & la modestie qui conviennent à la parole de Dieu, mais avec les applaudissemens du parterre, des hommes & des femmes qui donnoient le ton en battant des mains, en criant miracle.
C’est là qu’on apprend à les jouer, à les soupçonner, à les mépriser, à perdre pour elles tout respect.
La liberté lève toutes les barrieres du respect humain ; un Prêtre, un Religieux, un vieux Magistrat, une personne pieuse, qui ne vont point au spectacle, voient impunément la comédie dans les maisons particulieres ; il s’y en trouve grand nombre, la pruderie, la gravité, la dévotion, n’ont rien à craindre quand il ne faut que passer d’une chambre à l’autre ; les domestiques, qui ne vont guere au théatre, ne manquent point la fête, ils y travaillent avec ardeur.
Quelque engageans que soient les agrémens du visage, il porte son antidote ; une sage modestie, une prudente gravité en imposent ; la vertu s’y peint avec les traits les plus respectables, l’ame se montre toute entiere sur ce miroir ; elle inspire l’estime, la crainte, le respect ; elle édifie, elle gagne, arrête, refuse, défend, exerce une sorte d’empire : un coup d’œil suffit pour déconcerter les plus téméraires & étouffer tous les sentimens corrompus que la beauté pourroit faire naître.
De là quelle chaîne de respect humain, quel poids de l’habitude, quel torrent de la mode !
Peut-estre que cette humanité luy valut le respect que Cesar eut pour luy en son Triomphe de l’Affrique.
Mais il s’agit bien d’un autre intérêt ; il s’agit d’un nouveau degré de futilité ajouté au caractère national, d’un esprit de bouffonnerie, devenu l’esprit de tout le monde, et qui consiste moins encore à découvrir le ridicule où il est, qu’à le supposer où il n’est pas ; travers funeste, dont l’influence combinée avec tant d’autres causes, telles, par exemple, que la fureur de philosopher tend à détruire tous les principes sur lesquels sont fondés la pudeur, l’amour conjugal, l’attachement des pères pour leurs enfans, et celui des enfans pour leur père, le respect dû à l’âge avancé, &c.