Augustin, parce qu’on veut abuser de quelques expressions de ces Pères, pour en conclure qu’ils n’ont condamné les Spectacles qu’à cause de l’Idolâtrie, ou des représentations honteuses et impudiques. […] Car ces péchés ne sont pas médiocres, puisqu’on y voit des femmes qui ont perdu toute honte, qui paraissent hardiment sur un Théâtre devant le peuple, qui ont fait une étude de l’impudence, qui par leurs regards et par leurs paroles répandent le poison de l’impudicité dans les yeux et dans les oreilles de tous ceux qui les regardent et qui les écoutent : enfin tout ce qui se fait dans toutes ces représentations malheureuses ne porte qu’au mal ; les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets même et les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison, tout y respire l’impureté. […] Quand vous ne seriez pas blessé de ces représentations, n’est-ce rien que vous y ayez attiré les autres par votre exemple ?
Cette représentation du Jugement de Pâris, étoit suivie de l’exposition d’une femme condamnée à mort, & à une prostitution dont la pudeur ne permet pas de nommer le genre.1 Au fameux Théâtre d’Antioche, qui, dans sa vaste enceinte, comprenoit un Jardin & une partie de la Fontaine de Daphné, des Femmes qui faisoient les Rolles de Nayades, pendant la représentation de la Piéce, nageoient nues aux yeux des Spectateurs. […] Une autre espece de Spectacles, qui, quoique bien moins abominables, étoient tout aussi dignes de la juste Censure des Saints Peres, étoit la Représentation des Mystères du Paganisme ; car quoiqu’aujourd’hui nous soyons peu touchés des Aventures de Jupiter, de Mars, &c. […] Si les Spectacles, contre lesquels Saint Chrysostôme fulminoit avec tant d’ardeur, eussent été des Spectacles tels que les représentations des Piéces de Térence, seroit-il vraisemblable que S. […] Pourquoi la représentation du même sujet, dans les Colléges & sur le Théâtre public, est d’un côté une bonne action, & de l’autre un crime ?
J’ajoute que ceux qui ces saints jours vont au spectacle, la transgressent, et qu’on ne devrait pas y souffrir parmi des Chrétiens les représentations théâtrales, mêmes dans les collèges. […] Les Comédiens font beaucoup valoir l’usage de suspendre les représentations pendant la semaine sainte. […] Rien n’est plus opposé à la sanctification des fêtes que les représentations théâtrales. 1.° Ce sont des œuvres serviles. 2.° Ce sont des œuvres dangereuses, et même mauvaises. 3.° Fussent-elles indifférentes, ces œuvres empêchent les bonnes. […] Les représentations théâtrales sont donc évidemment des péchés mortels les jours de fêtes. […] Quel est le Comédien qui daigne aller à la messe, à vêpres, au sermon, surtout les jours de représentation ?
D’où il conclut dans le quatrième Chapitre, Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des Anciens Pères de l’Eglise. […] On donne le nom de jeu à l’action, et à la représentation ; et l’on donne le nom de spectacle, à la vue de l’action et de la représentation. […] Que la représentation des Comédies et Tragédies était un acte de religion parmi les Grecs, et les Romains. […] : « Exinde apparatus, quibus superstitionibus instruantur. » « Par leurs représentations accompagnées de mille Superstitions ». […] Que la représentation des Poèmes Dramatiques ne peut être défendue par la raison des anciens Pères de l’Eglise.
On ne doit pas calomnier même les coupables, la représentation dans l’Eglise est une fausseté ; il y avoit des salles exprès pour les spectacles. La représentation dans le même tems, & la même Eglise où l’on donnoit l’Oraison de quarante heures, est absurde. […] En France, en Espagne, en Portugal, les représentations théatâles n’ont point été une matiere d’accusation, cet usage étoit chez eux public, & reçu, tout le monde y venoit, tous les enfans y jouoient, les Magistrats eux-mêmes avoient été acteurs, & laissoient jouer leurs enfans. Je ne crois pas ces représentations convenables, elles nuisent aux mœurs, inspirent l’esprit du monde, donnent, le goût des spectacles, dissipent la jeunesse, lui font perdre beaucoup de tems, quoique moins rapidement & moins griévement que le théatre public ; mais il ne faut pas envénimer les choses même mauvaises, & calomnier même les coupables, même les Jésuites, quelque haine qu’on aie pour eux. […] Mais tout ces petits combats n’ont rien de décisif, la vraie, la grande victoire fut remportée par l’un des premiers & des plus riches Bénéficiers, qui a prononcé l’oracle le plus tranchant ; & du plus grand poids ; il a assuré que la comédie est si bien permise en Italie, & en Espagne, que tous les Réligieux, & jusqu’aux Capucins, y vont habituellement, & même déguisés en femmes, mascarade fort inutile, s’il leur est permis d’y aller ; il a chez lui un concert où l’on chante les airs d’opéra, les arriettes Italiennes, où les Dames sont très-bien reçues, & plusieurs y tiennent leur partie d’une maniere brillante ; enfin ce pieux Ecclésiastique s’étoit chargé de former les actrices de la comédie bourgeoise ; il les exerçoit avec soin, & tenoit pour elles, école de déclamation, & ne manquoit pas aux représentations d’aller juger du fruit de ses leçons.
En regardant ces impures représentations, vous avez commis un péché, vous vous rendrez les esclaves d’une Actrice. […] Si l’adultère est un mal, la représentation est sans doute un mal aussi : Si adulterium est malum, malum est sine dubio ejus imitatio. Qui pourroit dire combien ces représentations font commettre de crimes, & inspirent aux spectateurs d’impudence & d’impureté ! […] Ce n’est pourtant pas ce que je vous ordonne : laissez subsister tous ces beaux édifices, mais faites cesser toutes ces représentations.
» Les chansons, les jeux, les récits, les représentations de leurs combats, de leurs métamorphoses, de leurs crimes ; voilà leurs solennités. […] Mais depuis que par des théâtres fixes, construits à demeure, les représentations théâtrales devinrent journalières, et par conséquent indépendantes des fêtes, elles ne furent plus que des amusements, et non des actes de religion, que dans certains temps où elles concouraient avec des fêtes, quoique les autels des faux Dieux y demeurassent toujours. […] Le peuple ajouta aux solennités ecclésiastiques, et y ajoute encore en bien des endroits, des chants, des danses, des feux de joie, des illuminations, des représentations muettes, avec des statues, des mystères de Jésus-Christ et des actions des Saints. De là il est aisé de passer aux représentations animées du théâtre.