Mais ses amis ont ramassé les rôles des comédiens, les ont cousus à leur manière, & en ont composé son théatre. […] Il étoit encore mauvais acteur, & ne savoit jouer que les rôles des Spectres : de-là vient qu’il en tant mis dans ses pieces. Rôles insipides & effrayans, mais faciles à jouer : il n’y a qu’à marcher enveloppé d’un linceul, sans dire un seul mot, ni faire aucun geste. Moliere n’étoit pas meilleur comédien, il ne savoit jouer que les rôles de Mascarille, de Sganarelle, comme il avoit toujours fait dans les provinces, c’est-à-dire, des bouffonneries de Tabarin. […] Un chien mordu par ses camarades joue très-bien son rôle, sa mort est un dénouement de tragédie.
L’éloge de Baron, Acteur célèbre dans les rôles de Prince, porte : Il conservoit son rang aux pieds de ses Maîtresses, & se donnoit les airs de tromper les Duchesses. […] Les théatres de société multipliés à l’infini, les passions des Acteurs & des Actrices (c’est-à-dire des enfans de famille qui jouent) ; très-applaudies, satisfaites décemment, parce qu’elles sont couvertes du voile du rôle (jolie décence !) […] On devoit représenter dans leur Couvent la Zaïre de Voltaire, les rôles étoient appris, les Actrices exercées, les habits préparés, la ville invitée, lorsque l’Evêque, Prélat rempli de religion, & de la plus grande régularité, en fut instruit, & défendit de la représenter. […] Rappeler tous les rôles & toutes les pieces où elle faisoit les délices du public, ce seroit multiplier ses regrets. […] Toutes les troupes sont si persuadées de sa nécessité, qu’elles ont toutes des Acteurs & des Actrices expressément chargés des rôles d’amoureux & d’amoureuses ; ce sont les plus importans, les plus fréquemment remplis.
Le Comédien dont parle Horace qui ayant trop bu, s’endormit, & n’entendoit point la voix de l’Ombre de Polydore qui lui crioit ma mere je vous appelle, jouoit le Rôle d’Ilionnée endormie ; & celui qui prit l’urne où étoient les cendres de son propre fils, représentoit Electre tenant l’urne des cendres de son frere. […] Dacier dans son discours sur la Satyre, a traduit ainsi ce passage : Andronicus ayant obtenu cette permission, dansa avec plus de vigeur ses intermédes, débarrassé du chant qui lui étoit la respiration : de-là vint la coutume de donner des chanteurs aux danseurs, & de laisser à ces derniers les rôles des Scenes, pour lesquelles on leur conservoit toute leur voix. […] Ce Passage ne nous présente jamais que les Acteurs prenant des masques convenables aux Personnages qu’ils ont à faire, un masque où la fureur soit peinte, pour jouer le Rôle de Médée, & c’est ainsi que l’Abbé Gédoin traduit : C’est pour cela qu’au Théâtre les Acteurs peignent leurs sentimens jusques sur leurs masques. […] Je ne nie pas qu’on ne puisse noter toute la Déclamation d’une Piéce, & celle même d’un Discours : je ne nie pas non plus qu’un Poëte ne puisse donner aux Comédiens leurs Rôles notés, & qu’un Comédien ne puisse, avec le secours de ces Notes, étudier son Rôle, & remarquer les endroits où il doit élever, baisser, ralentir, précipiter sa voix. […] Le Comédien, après avoir étudié son Rôle noté, le laissera chez lui ; si quand il est sur le Théâtre, il vouloit toujours se rappeller ces notes, il seroit un froid Acteur.
Mais à quel rôle, direz-vous, peuvent servir le sac des Pénitens, & des aubes de Prêtres ? […] Voici quelques anecdotes qui embélissent la fête de Saint-Pons : le Secretaire de l’Evêque, saint Prêtre, & homme intelligent, fut choisi pour souffleur, il s’assit dans une coulisse, & delà souffloit aux acteurs dans le besoin, ce qui arrivoit souvent ; malheureusement il eut une distraction, & dans ce même tems, par le coup fatal du destin, l’acteur qui parloit en eut une autre, & perdit le fil de son rôle, n’étant pas aidé à propos, il demeura court ; c’étoit le Grand-Prêtre Joad, qui venoit de prononcer ce beau vers : Je crains Dieu, cher Abner, & n’ai point d’autre crainte , au désespoir de se voir arrêté, il y suppléa par un autre vers, car la colere suffis & vaut un Apollon ; il dit haut, avec un zèle édifiant, quel ignorant souffleur ! […] Ce vers, il est vrai, ne rime pas richement avec celui qu’il venoit de dire ; mais il le déclama d’une maniere si vive, & si naturelle, qu’on le crut du rôle, & qu’on le prit dévotement pour un anathême lancé contre Athalie. […] Le Directeur de la comédie, qui jouoit le rôle d’Henri IV ; voulut leur donner de quoi boire, il avoit eu le soin de préparer du vin, sans doute de Champagne, c’est le nectar du pays ; il en distribua lui même, ainsi que tous les autres acteurs, sur le théatre, aux loges, au parterre.
La Création du ciel, les Mystères de Joseph, de Suzanne et de Juditha , dont les principaux rôles étaient remplis par des prêtres, ont-ils la décence des pièces jouées sur nos théâtres modernes ? […] Sans doute, si le spectacle était ce que le font en chaire ces jeunes écervelés de séminaire, ces prêtres ignorants et fanatiques qui parlent de tout en maîtres, et qui ne savent rien, pas même leur langue à l’étude de laquelle ils préfèrent une théologie sophistique et barbare que ni eux, ni leurs maîtres ne comprennent ; si le spectacle, dis-je, était ce que le font ces hommes absurdes, il faudrait le défendre ; il serait alors tout aussi dangereux que lorsque le curé de Metz montait sur les tréteauxc ; que le cardinal Lemoine achetait l’hôtel de Bourgogne pour le donner aux comédiens Français ; que le cardinal de Richelieu reprochait aux bouffons de cet hôtel de n’être point assez gais dans leurs rôles ; et qu’enfin l’abbé Perrin avait la direction de l’Opérad. […] un lieu où sont représentés avec une étonnante précision tous les ridicules de la pauvre humanité, depuis ceux du prince assis sur le trône, jusques à ceux du pauvre couché sur la poussière ; où l’hypocrisie mise à nu, succombe sous le poids des anathèmes publics ; où la liberté trouve toujours des applaudissements, et la tyrannie des sifflets ; où le fanatisme excite l’indignation, la pitié ou le mépris, et où la charité, la tolérance sont toujours accueillies avec transports ; où enfin tout ce qui est juste, noble, généreux, désintéressé, trouve sympathie, et où l’on ne repousse que ce qui est contraire aux vrais intérêts des peuples et au bonheur de l’humanité : voyez l’épouse de Thésée, bourrelée de remords, et expirante au milieu des plus cruelles angoisses, victime d’une flamme coupablee ; quel cœur de femme n’a pas frissonné d’horreur aux accents de désespoir, de rage et de fureur de notre immortelle tragédienne dans le rôle de la belle-mère d’Hippolytef !
Une femme montée sur des tretaux, se montrer les heures entieres aux yeux du public, dans la parure d’une actrice, y faire toute sorte de mouvemens, toute sorte de gestes, y écouter, y prononcer toute sorte de discours, y jouer sans balancer toute sorte de rôles, qu’y a t-il d’impudent dans le monde, si l’état & la vie d’une actrice n’est pas le comble de l’impudence ? […] Déconcerté, embarrassé, incertain, timide, de quel rôle seroit capable une actrice modeste ? La plûpart des rôles sont une abjuration de la modestie. […] C’est bien pis au théatre, où les rôles variés sans cesse sont presque tous des rôles de gayeté, de frivolité, de plaisanterie, de galanterie. […] La pudeur consternée & honteuse, quel rôle joueroit-elle sur des visages que les actrices ont embelli, dans des cœurs où leurs morales & leurs graces ont établi leur trône, & forcé la pudeur & la vertu de rendre les armes ?
Nous avons souvent parlé des rôles brillans que jouent dans l’Etat les Perruquiers, Coëffeurs, Parfumeurs. […] Le Théatre est le rendez-vous de l’univers, le centre du genre humain ; tous les siecles, toutes les nations y jouent leur rôles. […] Tout le monde sait que la Bejard, qui en jouoit le rôle, étoit sa femme, & que sa coquetterie & les caresses des Seigneurs de la Cour, le rendirent furieux, & le brouillerent avec elle. […] de le jouer sous le rôle du Tartuffe, avec le manteau & le chapeau de l’hypocrite, comme il joua Pourceaugnac & George Dandin. […] Lafontaine parle, raconte, il porte par-tout sa physionomie ; Moliere fait parler & agir : il doit donner à chaque acteur la physionomie de son rôle.