Il y a bien plus de contradiction entre les anathêmes prononcés contre les bâtards & les femmes qui se laissent séduire, & la considération où ils sont l’un & l’autre dans le grand monde, qui se croit plus éclairé & qui est plus aveugle que le peuple, chez qui le fruit, les auteurs, les complices du crime n’occupent que la place qui leur est due. […] Ce grand guerrier pensoit que les spectacles & les fêtes étoient propres à distraire le soldat de la réflexion sur les dangers & les fatigues de son métier, comme la politique d’Auguste amusoit le peuple romain par des jeux, pour faire oublier son usurpation & le poids des impôts. […] On est étonné de ces folles dépenses : l’Electeur n’étoit pas encore roi de Pologne, il ne possédoit que son électorat, qui, quoique considérable, ne pouvoit pas à beaucoup près y suffire, il a fallu écraser les peuples. Or je demande si l’oppression des peuples, la dissipation des finances, une vie si frîvole & si libertine, sont bien propres à faire un grand prince ?
Le fleuve suivit la pente & reprit son cours, la comédie devint intolérable ; toutes les nations où elle se produisit furent indignées ; les ordonnances des Rois, les plaintes réitérées des États généraux, les arrêts des Parlemens, le châtiment, le bannissement, la suppression de différentes troupes, enfin les idées communes, le langage ordinaire, qui par un consentement unanime de tous les peuples & de tous les siècles, depuis la Chine & le Japon jusqu’en Portugal & en Écosse, a fait du nom de Comédien une injure proverbiale, une expression de mépris, de folie & de vice, peuvent en convaincre les plus incrédules. […] Tous les suppôts & manœuvres du théatre, Acteurs, Actrices, figurantes, danseuses, chanteurs, instrumens, colporteurs, graveurs, machinistes, valets, &c. depuis deux mille ans, dans les quatre parties du monde, tous parfaitement dignes les uns des autres & de leur métier, n’ont été de notoriété publique, que la lie du vice, aussi-bien que la lie du peuple. […] Le peuple s’y ruine par la perte du temps, le dégoût du travail, la négligence de ses affaires, les dépenses qu’il occasionne. […] C’est en sortant de là que les personnes distinguées oublient les bienséances, & le peuple sa rusticité, & emploient à se perdre les armes qu’ils y ont forgées.
Turpin, homme sage & plein de zèle, dans la Préface de la Vie de M. de Condé : L’éducation actuelle de notre jeunesse est l’ouvrage d’un peuple de batteleurs & d’histrions aussi vils que ceux qui les payent ; une fille formée par de tels instituteurs semble être destinée à ranimer un jour les organes engourdis d’un Visir dédaigneux ou d’un Sultan stupide, pour quatre raisons ; 1.° la jeunesse va librement à la comédie, & se lie avec les Comédiens ; 2.° toute la tournure de son éducation la porte à goûter, à apprendre, à jouer la comédie ; 3.° la plûpart de ses maîtres & maîtresses sont dans leurs sentimens & leur conduite de vrais Comédiens ; 4.° tous ceux qui leur enseignent les choses d’agrément, la danse, la musique, les instrumens, la déclamation, &c. sont en effet des gens du théatre. […] Le peuple étoit plus religieux : quel zèle contre l’hérésie ! […] La tolérance est universelle : le peuple abandonne, pour y courir, les exercices de piété ; l’indifférence pour la religion est le goût décidé de tous les états, l’irréligion & la dépravation des mœurs sont le système dominant du siecle, tout le monde s’en accommode, & le théatre en profite ; tout le favorise, rien ne l’arrête. […] De simples bourgeois se donnent les airs d’avoir un théatre chez eux, & en cela, comme dans tout le reste, ces singes-là ont parmi le peuple d’autres singes qui les imitent.
J’ai vu le théâtre offrir un instant une école de vol et le peuple s’amuser à ces hideux tableaux. […] Je payai ma dépense et, en continuant ma promenade, je brochai un commentaire additionnel à mes recherches de l’influence des spectacles sur les mœurs du peuple. […] Je tire mon calepin, et je me disposais à écrire au crayon, au bas de l’affiche, une réflexion qui n’eût peut-être pas été du goût de tout le monde, quand je fus accosté par un monsieur dont les raisonnements me désarmèrent, et convaincu qu’il faut chez un grand peuple des plaisirs à tous prix ! […] Selon le titre d'une autre édition publiée la même année « chez tous les marchands de nouveautés », il a écrit son opuscule pour répondre à un concours de l'Académie de Lyon : De l'Influence des théâtres et particulièrement des théâtres secondaires sur les moeurs du peuple, prix proposé sur cette question par l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, par M.
Et voila du plaisir, mais du plus vrai, pour un siècle-bagatelle, où la partie aisée de la Nation est en enfance, & la partie peuple… je me tais. […] La Musique est une belle chose, j’en conviens ; mais nous sommes peu faits pour elle ; & tant mieux : cette grande sensibilité pour de beaux airs, marque un Peuple faible & voluptueux.
Et si quelques-uns d’entre eux n’ont pas exprimé cette sorte d’exercice, et ce spectacle particulier, ce n’est pas qu’ils l’estimassent innocent ; mais parce que le peuple du pays dans lequel ils vivaient n’y était pas adonné, comme il est dans le nôtre. […] dans le Livre qu’il a composé sur ce sujet, et dans ses Lettres, déplore la misère, l’aveuglement et la folie des Chrétiens, qui leur fait aimer les inventions des démons, et qui les porte à imiter les mœurs et les façons de faire des Gentils et des Idolâtres : mais ce qu’il juge encore plus intolérable, c’est qu’ils veulent justifier leur conduite déréglée par l’action de David qui dansa devant l’Arche, et se servant de ce qui est dit dans les Saintes Lettres que Dieu avait prescrit à son peuple l’usage de plusieurs sortes d’instruments ; comme si, dit ce saint Martyr, on pouvait comparer à des choses qui ont été faites très saintement, et pour le culte de Dieu seul, ces divertissements mondains, qui ne servent qu’à la volupté.
Si on pouvait ainsi se prévaloir du silence de Jésus-Christ, on justifierait les combats sanglants des gladiateurs et quantité d’autres dérèglements qui régnaient alors dans le monde, et dont il parle aussi peu, sa mission était bornée au peuple Juif qui était demeuré dans sa première simplicité, et n’avait jamais été tenté d’imiter les Romains et les Grecs dans ces divertissements profanes, accoutumé dans son domestique à des plaisirs plus innocents et plus tranquilles, il ne leur enviait pas ces plaisirs aussi dangereux que tumultueux. Quelle honte à des Chrétiens d’être moins réglés en ce point que les Juifs, quoique notre justice doive de beaucoup surpasser la leur, et même que plusieurs peuples infidèles d’alors, et d’aujourd’hui.