Mais, qu’y a-t-il de commun entre le théâtre de nos jours et les tréteaux des confrères de la Passion ? […] Comparez les deux répertoires, vous serez convaincu que le clergé d’autrefois exploitait le théâtre pour mieux exploiter la crédulité du peuple en flattant ses passions, et que de nos jours il le défend, parce que le théâtre, par la direction des esprits et les progrès de la civilisation, est un des puissants moyens d’éclairer la multitude. […] [NDE] Les frères Parfaict, dans leur Histoire Générale du Théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent (Paris, 1731-1749, 15 vol.) racontent qu’un curé de Metz, en 1437, joue le Christ dans le Mystère de la Passion et manque de mourir sur la croix (vol. 2, 1736, p. 254), est secouru et remplacé par un autre curé.
Chrysostome (homil. 6. in Matth.) nous fait souvenir qu’on ne trouve point en toute la Bible qu’aucun Saint ni Sainte ait jamais ri depuis la passion de Jésus, depuis que les hommes ont assassiné leur Sauveur et sont coupables du crime de déicide.
Tandis qu’il regnera des passions dans le monde, la scene aura des partisans trop intéressés à la maintenir, pour perdre son crédit.
Mais si vous avez un son de voix plus agréable, un langage plus poli, des sentimens plus délicats, cette maniere de flatter les passions est nécessaire, relativement aux gens qui vous écoutent ; la populace n’entendroit rien aux maximes que vous débitez & les sottises des Histrions choqueroient les personnes qui fréquentent vos Spectacles ; il faut un aliment préparé selon le goût respectif des Convives que l’on veut regaler. […] Saint Augustin ne pensoit point autrement du désespoir de Didon après la fuite d’Énée, il ne laisse pas, au Livre de ses Confessions, de se reprocher d’en avoir fait la lecture, parce qu’il étoit plus touché de cet évenement fabuleux, que du récit de la Passion du Fils de Dieu & des Saints Martyrs.
Ces mysteres étoient des actions saintes, la Vie & la Passion de Jesus-Christ, d’où les comédiens prirent le nom de Confreres de la Passion ; d’où sont venues tant de représentations dans l’Eglise, à Noël, aux Rois, à la Semaine-sainte, à Pâques, à la Fête-Dieu, comme à Aix, à Angers, à Avignon, &c. […] Mais on s’est trompé : ce n’est pas seulement l’idolâtrie, c’est encore la dangereuse représentation du crime, les leçons du vice, l’apologie des passions, les occasions du péché.
Avec quelle exécration ne doit-on pas regarder les Comédiens, qui empoisonnent les âmes, et qui faisant doucement avaler le venin des passions dans les comédies, ôtent la vie de la grâce, qui est incompatible avec elles. […] Ils cesseraient d’être ce qu’ils sont, et ne pourraient plus divertir le monde, s’ils n’émouvaient les passions.
Les jeunes gens particulièrement, et les filles, dit-il, y sont embrasées, du feu d’une passion brutale, qui est excité par ce qu’on y voit, et ce qu’on y entend. […] La passion qu’a l’auteur de la Lettre pour la Comédie l’aveugle tellement, qu’il ne considère pas assez le plus souvent ce qu’il dit, et ce qu’il devrait dire. […] condamner les Comédiens, à cause que les mauvaises paroles qu’on y entend par hasard, et que les actions et gestes peu honnêtes qu’on y voit, peuvent quelquefois donner de mauvaises pensées, et émouvoir les passions ? […] On ne peut vivre dans le monde sans rencontrer mille choses capables d’exciter les passions. » Réponse. […] Peut-être que le diable qui tient déja l’âme captive par d’autres plus fortes passions, néglige de se servir contr’elle de cette tentation qui est trop grossière.