Le Spectateur au-dessous des passions ! […] Nous avons toutes les passions. […] Il fit agir & parler Dieu comme les hommes ; il prêta à l’Etre des êtres, nos passions ? […] c’était ôter la délicatesse à sa passion, l’en faire rougir, en ne lui montrant qu’une vile esclave dans sa divinité. […] Dans la suite, les Comédies de la Passion furent des espèces d’Opéras à machines, où il y avait aussi de la Musique.
RELIGIONb Sans être une passion, la religion prend une part très active dans les révolutions de la société humaine. […] Son premier but fut de servir de frein aux mauvaises passions des hommes, et de rétablir parmi ceux-ci les saintes lois de la fraternité, le règne de la justice et de l’union. […] Ce furent les confrères de la Passion qui les premiers, en 1402, élevèrent un spectacle public où ils jouaient, les jours de fête, les Mystères de la Passion, auxquels ils mêlèrent plus tard les plus basses plaisanteries, pour égayer les spectateurs et réveiller leur curiosité. […] Mais la religion est comme les passions qui doivent être utiles aux hommes : lorsqu’elle n’est pas exercée avec sagesse, avec une prudente modération, elle peut nous éloigner de la voie de nos devoirs, influer sur notre humeur et nous faire devenir aussi pervers qu’elle aurait pu nous rendre bons et bienfaisants.
» C'est pourquoi, quelque honnêteté qu'on se puisse imaginer dans l'amour d'une créature mortelle, cet amour est toujours vicieux et illégitime, lorsqu'il ne naît pas de l'amour de Dieu ; et il n'en peut naître lorsque c'est un amour de passion et d'attache, qui nous fait trouver notre joie et notre plaisir dans cette créature. Un Chrétien qui sait ce qu'il doit à Dieu, ne doit point souffrir dans son cœur aucun mouvement, ni aucune attache de cette sorte sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en être délivré ; et il doit avoir une extrême horreur d'être lui-même l'objet de l'attache et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole; puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme Dieu ne peut être honoré que par l'amour. « Nec colitur nisi amando. […] Elles ne prennent plaisir d'être l'objet de leur passion : elles sont bien aises qu'on s'attache à elles, qu'on les regarde avec des sentiments non seulement d'estime, mais de tendresse ; et elles souffrent sans peine qu'on la leur témoigne par ce langage profane que l'on appelle cajolerie.
Pendant cette nouvelle fermentation, du genre de la première, quoique moins grande, la voix d’un seul ennemi pouvait aussi donner à un homme de bien qui respectait véritablement les mœurs la teinte de cet autre monstrueux tartufe qui a l’intention d’outrager et déshonorer l’épouse de son meilleur ami, qui est amoureux fou, et cependant s’aliène par avarice les domestiques de celle qu’il convoite, dont il a besoin pour parvenir à satisfaire sa nouvelle passion naturellement plus puissante que la passion factice de l’or, et qui fait injure à un oncle bienfaisant, s’associe à un vil usurier et complote avec lui pour dépouiller son frère ; qui est donc, à la fois, malgré sa jeunesse et l’aisance dans laquelle il est né, imposteur, traître, luxurieux, adultère, ingrat, dénaturé, avare, usurier, escroc ! […] La plus dangereuse est la peinture à faux, dramatique, de l’homme et de la société, ou cette infidélité des tableaux vivants qui sont censés être ceux des mœurs ou de la vie commune de tel rang, de telle corporation, ou de tel âge ou bien de telles personnes que la malignité désigne, et qui vont être décriées, flétries, peut-être mises au désespoir ; il consiste aussi dans la solennité et l’éclat des représentations, avec tous les prestiges du théâtre ; c’est encore en réunissant la fiction à la vérité, en accumulant à plaisir les vices, en les combinant et faisant supposer une liaison naturelle entre eux ; c’est l’éternelle image des passions humaines les plus honteuses sous les traits sacrés de la vertu qu’enfin on ne croit plus voir nulle part qu’en apparence, que l’on méconnaît et décourage par trop de défiance, ou qu’on insulte par malignité ; enfin, c’est en créant ainsi et faisant agir avec toute l’énergie possible, sous les yeux de la multitude des personnages monstrueux qui servent d’excuse et d’encouragement aux méchants, qui font horreur aux bons et, comme je l’ai déjà dit, portent l’agitation dans les esprits faibles, l’inquiétude ou l’animosité dans les cœurs, exaltent la tête de tous, et vont de la scène publique provoquer la persécution, porter les désordres dans les scènes privées de la vie, où toutes les passions excitées imitent la hardiesse des auteurs, cherchent à réaliser leurs chimères jusques sur la vertu la plus pure : « Là de nos voluptés l’image la plus vive ; Frappe, enlève les sens, tient une âme captive ; Le jeu des passions saisit le spectateur ; Il aime, il hait, il pleure, et lui-même est acteur. » Voilà plus clairement comme il arrive que ces critiques vantées manquent leur but, sont de nul effet contre le vice audacieux, sur l’hypocrite impudent qui atteste Dieu et la religion en faisant bonne contenance au rang des victimes nombreuses des aggressions aveugles et des calomnies effrontées. […] Outre les voies criminelles, inconnues, que ces écrivains possédés par la passion de faire preuve d’imagination, de donner du neuf, du fort, des scènes à effet révélèrent continuellement aux méchants et aux fourbes, ils les obligèrent à en chercher aussi eux-mêmes ; c’est-à-dire à changer leurs stratagemes, à rafiner leurs moyens, à user de plus d’industrie dans leurs fourberies, laquelle industrie, toujours secondée et excitée de la même manière, se lègue, ou se perpétue en augmentant, reste avec ses découvertes dans la société qu’elle infecte et désole de plus en plus. […] Voilà ce qu’on nous dit dès l’âge le plus tendre, et ce que nous apprenons dans nos premières lectures ; or cet avis d’une source divine et pure que tant d’exemples malheureusement justifient et rappellent continuellement à tout le monde, et que, d’ailleurs, on peut souvent renouveler par cette méthode calme qui réveille l’attention sans réveiller les passions et les porter à confondre l’apparence avec la réalité ; cet avis, dis-je, était suffisant à cet égard, et rendait inutiles les leçons magiques et inflammatoires du théâtre. […] Il faudrait n’avoir aucune idée des passions humaines pour ne pas sentir enfin à quel degré de fermentation elles ont dû s’élever, à quels excès elles ont dû se livrer, lorsqu’on leur eut ouvert une telle carrière, et quelle confusion il devait nécessairement en résulter.
Ils blâment dans les jeux et dans les théâtres l’inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l’esprit peu convenable à un chrétien, dont le cœur est le sanctuaire de la paix ; ils y blâment les passions excitées, la vanité, la parure, les grands ornements qu’ils mettent au rang des pompes que nous avons abjurées par le baptême, le désir de voir et d’être vu, la malheureuse rencontre des yeux qui se cherchent les uns les autres, la trop grande occupation à des choses vaines, les éclats de rire qui font oublier et la présence de Dieu et le compte qu’il lui faut rendre de ses moindres actions et de ses moindres paroles ; et enfin tout le sérieux de la vie chrétienne. […] n’a pas déploré dans les comédies ce jeu des passions et l’expression contagieuse de nos maladies, et ces larmes que nous arrache l’image de nos passions si vivement réveillées, et toute cette illusion qu’il appelle une misérable folie.
Cette passion naît des Péripéties mêmes, qui sont d’autant plus belles, qu’elles sont moins attendues et plus surprenantes. […] Sentiments, c’est tout ce qui fait la matière du discours ; tous ces traits vifs et éclatants, qui excitent les passions. […] Cet enchaînement d’actions et de passions tient toujours l’esprit en haleine, et le fait entrer dans tous les sentiments de l’Acteur. […] C’est ce qui surprend, et ce qui frappe le Spectateur, qui se trouve, dans un moment, agité par une foule de passions différentes. […] La fin des pièces dramatiques est d’exciter en l’âme plusieurs passions tour à tour, la tristesse, la joie, la douleur, l’espérance, le désespoir : Ces passions entrent dans l’âme par les yeux, et par les oreilles, par les spectacles, et par les récits ; lorsqu’on fait voir au spectateur, quelque objet pitoyable, ou qu’on lui raconte quelque Histoire tragique.
Il seroit bien plus prudent d’imposer silence aux passions, d’écouter la raison, & de réfléchir un peu sur les choses. […] Saint Chrysostôme appelle les spectacles l’école du démon ; Saint Augustin celle des passions ; & Saint Cyprien, comme un lieu d’apostasie. […] L’art du Théatre ne consiste plus aujourd’hui qu’à donner une nouvelle énergie & un nouveau coloris à la passion de l’amour. […] L’intrigue & l’action forment des images révoltantes : les détails respirent la passion même ; en un mot, tout peint & célebre la volupté. […] Je doute que les Sibarites aient eu des spectacles plus dignes de leur mollesse, & des passions auxquelles ils s’abandonnoient….