Quand on vante si fort la modestie actuelle de la scène, on a sans doute oublié les dernieres pieces données à l’Hôtel, où l’on fait paroître un Sérail sur le théatre.
Par-tout l’humanité blessée, la sagesse éteinte, les devoirs oubliés ; c’est un abyme d’infamie.
Permettez-moi de vous raconter un fait qui, quoiqu’assez comique, vous fera juger de l’effet que cette excellente Tragédie est capable de produire : tout Marseille vous en attestera la vérité, « Et vous entendrez là le cri de la nature. » Un Capitaine de Vaisseau qui n’avait jamais vu de spectacle, fut entraîné par ses amis à la Comédie, on y jouait Atrée ; notre homme, ébloui par des objets tout nouveaux pour lui, oubliant que c’était une fable qu’il voyait représenter, lorsqu’il entendit Atrée prononcer ce vers qui vous choque si fort et par lequel il s’applaudit du succès de ses crimes, notre homme dis-je, se leva tout à coup avec fureur en criant : « Donnez-moi mon fusil que je tue ce B. là. » Vous jugez bien qu’une pareille scène fit oublier la catastrophe à tous les autres Spectateurs et que bien en prit aux Acteurs que le vers qui mettait le Capitaine en fureur était le dernier de la pièce, car ils auraient eu peine à reprendre leur sérieux après une pareille saillie.
Il oublia que les Comédiens étant excommuniés, il ne pouvait pas leur donner cette marque authentique de communion, les recevoir en corps dans son Eglise, et faire à leur intention un service en faveur d’un Poète, qui à la vérité fut plus modeste qu’un autre, puisque la teinte sombre et lugubre de ses pièces inspire plutôt l’horreur et la crainte que la tendresse, mais Auteur tragique, uniquement connu et honoré comme tel dans cette occasion, et dans la vue de marquer par là qu’on ne tenait pas la Troupe pour excommuniée.
Le théâtre présente à des yeux Chrétiens un second spectacle plus ridicule que la comédie, et bien tragique pour ceux qui comptent la mort de l'âme pour quelque chose : une foule de personnes assemblées pour s'oublier et se perdre elles-mêmes, méprisant leur principe et leur fin, la raison et la vertu, pour se repaître de chimères ; détruire le langage et les sentiments de la religion, pour ne parler que celui de la passion ; au lieu de travailler à corriger leurs vices, ne faire qu'en rire, et étudier l'art de les augmenter.
Il ne faut pas en effet oublier que la Poésie a pour titre primordial de sa naissance le cantique qui fut composé par Moyse après le passage de la Mer rouge. « Delà, dit M. […] Les conquérans de l’Empire Romain ayant ensuite embrassé le Christianisme, ce fut un motif de plus pour faire oublier des Spectacles si incompatibles avec la morale chrétienne.
Toute austere que soit cette morale, elle ne peut donc paroître outrée qu’à ceux qui ont oublié qu’être Chrétien & crucifier sa chair, mortifier tous ses sens ; être Chrétien & porter l’esprit de recueillement & de retraite jusqu’au milieu du monde ; être Chrétien & penser sans cesse à l’éternité, soupirer jours & nuit après le Ciel ; être Chrétien & conformer toute sa vie au modèle d’un Dieu crucifié, c’est essentiellement la même chose.