L’opinion & le préjugé sur les Spectacles, tous deux contradictoires, ont enfin également triomphé. […] L’opinion qui veut avec raison trouver un plaisir innocent & pur aux belles représentations du Cid & de Cinna, & le préjugé qui condamne avec non moins de fondement la fréquentation & l’usage habituel des Spectacles de toute espece, sont-ils donc deux choses adsolument impossibles à concilier ? […] En plaisantant & sans s’en douter, il a trouvé le moyen de parvenir à concilier l’opinion & le préjugé. […] Enfin l’esprit d’indépendance, les opinions particulieres & à foi, les écrits contre les Loix, contre les Lettres & les Arts eux-mêmes, & la désunion dans les assemblees, y ont porté les derniers coups. […] Un obstacle plus grand encore, c’est la contradiction entre la gloire de la composition des pièces de théâtre, & la sorte de déshonneur attachée aux représentations de ces mêmes pièces ; c’est la diversité de sentimens & d’opinions sur cette matiere.
Vous laissez donc, Monsieur, penser chacun à sa fantaisie, & vous n’en estimez pas moins celui dont les sentimens ne sont pas les vôtres : c’est par le choc des opinions diverses que naissent les vérités, ou que l’on évite le triste ennui, la monotonie qu’on éprouverait si tout le monde était du même avis.
Que résultera-t-il de cette opposition dans les faits et dans nos opinions ? […] Il savait qu’une erreur ancienne devient sacrée ; qu’avec de l’esprit, on peut faire goûter aux hommes quelques vérités ; mais qu’avec plus d’esprit encore, on s’abstiendrait de les leur découvrir toutes : il savait que ces préjugés de naissance, que cette chimère, plus ridicule que celle des Fables, née de l’orgueil, nourrie par la flatterie, défendue par l’opinion, et couverte du voile épais des siècles, ne pouvait être attaquée impunément : il savait que les Grands lui pardonneraient de peindre leurs vices et leurs ridicules, et non de les dépouiller d’un éclat étranger, mais imposant, qui leur tient lieu du mérite qu’ils n’ont pas : il savait enfin qu’on aimait le merveilleux au théâtre, et c’est peut-être ce qui l’a déterminé à donner au vertueux Dom Sanche un père couronné. Peut-être a-t-il pensé que le fils d’un Pêcheur, élevé par son courage aux premiers emplois de l’Etat, instruit par le malheur à chérir l’humanité, exercé dans son obscurité aux vertus paisibles, et plus satisfait de mériter une couronne, que de la porter, était un personnage plus digne de charmer un Philosophe, que d’occuper un grand Poète : et pour m’expliquer enfin sur ce sujet, sans ambiguïté, ou Corneille n’osant déplaire aux Grands, a pris le parti de les flatter ; ou il n’a pas jugé que ses contemporains fussent assez avancés pour préférer le beau naturel au gigantesque, et la vérité aux fictions : j’abandonnerai donc cette production imparfaite, et avant de chercher de nouveaux exemples qui confirment mon opinion, je vais prévenir vos objections (autant qu’il sera en moi) et combattre les principes que vous avez quelquefois supposés, plutôt qu’établis. […] Mais il n’est pas moins certain que le Poète a souvent ramené les spectateurs à une opinion qui n’était pas la leur : et en ce cas, c’est le Public qui reçoit la loi du théâtre, au lieu de la lui donner.
Le second obstacle qui s’oppose parmi nous à la perfection de la Comédie, vient de l’opinion où sont nos Auteurs, que les caracteres propres à la Comédie sont épuisés, & de ce qu’ils regardent comme une espece de honte de travailler sur des sujets qui ont été traités. Quant à l’opinion où sont nos Auteurs, que la Comédie ne trouve plus de caracteres sur lesquels elle puisse s’exercer, elle est fausse ; & avec un peu d’attention, ils en conviendront aisément.
La fureur des Duels vient de l’opinion fausse que l’on doit conserver son honneur aux dépens de la vie de quiconque ose le flétrir, & pour le réparer, qu’il est indispensable de tuer un agresseur : or, cette opinion, aussi contraire à la raison qu’à l’Evangile, est préconisée dans le Cid, & c’est un pere qui donne cette horrible leçon à son fils : contre un arrogant éprouver ton courage, Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage, Meurs ou tue… On n’est pas moins choqué d’entendre dire à Chimene, s’adressant au meurtrier de son pere qu’elle va bientôt épouser : Tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien.
Je n’ai pas l’opinion flateuse, si vous le voulez, que la sincérité & le désintéressement soient le partage exclusif d’un si petit nombre d’Ecrivains, en vous comptant, comme vous l’avancez modestement, qu’on doive désespérer que votre exemple tire à conséquence.
Vous appuyez le sentiment dans lequel vous êtes sur l’inutilité des Spectacles, de l’opinion du grave Murat, qui dit que nous voyons toujours au Théatre d’autres êtres que nos semblables. […] Je suis très-persuadé qu’elle n’a point donné le jour à un méchant de l’espece de celui dont nous parlons, si je me trompe dans ma bonne opinion, elle trouvera en vous un second Ciceron. […] Voilà l’effet de l’injuste opinion des sots. […] Je dis plus, non seulement le Roi a arrêté cette fureur, mais il a même forcé en partie de changer l’opinion. […] Mais il est des petits esprits, scrupuleux et; prévenus, qui le liront, et; qui s’affermiront dans leurs fausses opinions par l’exposition artificieuse des vôtres.