La subtile contagion d’un mal dangereux ne demande pas toujours un objet grossier ; l’idée du mariage qu’on met dans ces héros et ces héroïnes amoureuses ne corrige pas, et ne ralentit pas la flamme secrète d’un cœur disposé à aimer. […] Le mal qu’on reproche aux théâtres n’est pas seulement d’inspirer des passions trop tendres, qu’on satisfait ensuite aux dépens de la vertu ; les douces émotions qu’on y ressent n’ont pas elles-mêmes un objet déterminé, mais en font naître le besoin. […] Démosthène tonnait pour faire déclarer la guerre à Philippe ; Cicéron, pour faire chasser Catilina, et Marc-Antoine, Sophocle et Euripide employèrent quelquefois leur art à de pareils objets. […] Celui qui n’a pas la force de contenir ses regards, mais qui est si empressé à voir les objets, pourra-t-il rester pur après les avoir vus ? […] Ce n’est pas l’étoupe, la poix, le soufre qui sont l’aliment de ce feu, mais les objets les plus séduisants et les plus nuisibles, lesquels renversent et bouleversent tout.
Les condamnations anciennes n’ont donc plus aujourd’hui d’objet, & il seroit à propos que l’Eglise levât des anathèmes qui ne sont plus mérités. […] N’a-t-il pas, au contraire, étendu ses railleries jusques sur les objets les plus sérieux & les plus respectables ? […] Une femme Chrétienne, une femme honnête peut-elle se résouder à devenir ou l’objet de leur indécente critique, ou l’aliment du feu impur qui les dévore ? […] A combien d’autres objets, plus criminels encore, cette tolérance ne s’étend-elle pas ? […] Car, mes Frères, c’est un principe certain & fondé sur la nature même de notre cœur, que nous ne pouvons aimer la représentation d’un objet odieux.
C’est pour y suppléer, & ne rien omettre d’essenciel, qu’elle y joint des Notes, dont l’objet sera, I. De répondre aux Misomimes ; de prévenir les Objections ; de donner un Précis de l’Histoire des Théâtres : trois objets qu’embrassera la Note [A]. […] On sent avec quelle concision cette multitude d’objets doit être présentée dans des Notes, que la prolixité ne pourrait que rendre ennuyeuses.
Nous définirons le jugement dans les Ouvrages d’esprit, l’art de connoître les objets sous toutes les faces qu’ils peuvent présenter. […] Le bel esprit n’a donc pas besoin de l’espèce de jugement, qui, au premier coup d’œil, saisit toutes les faces des objets. […] Mais on regarde comme un aveuglement impardonnable de s’appésantir sur un objet ; & alors commence le siécle des feux folets, des bluettes, des demi-Savans. […] Ainsi, dans cette comparaison, on attribue à l’un des deux objets comparés, ce qui ne convient qu’à l’autre. […] Celle-ci, semblables aux couleurs, donnent du relief, de la saillie à l’objet représenté.
Un Chrétien qui sait ce qu'il doit à Dieu ne doit point souffrir dans son cœur aucun mouvement, ni aucune attache de cette sorte sans la condamner, sans en gémir, et sans demander à Dieu d'en être délivré : et il doit avoir une extrême horreur d'être lui-même l'objet de l'attache et de la passion de quelque autre personne, et d'être ainsi en quelque façon son idole, puisque l'amour est un culte qui n'est dû qu'à Dieu, comme il ne peut être honoré que par l'amour. « Nec colitur nisi amando. » C'est ce qui fait voir qu'il y a une infinité de femmes qui se croient innocentes, parce qu'elles ont en effet quelque horreur des vices grossiers, et qui ne laissent pas d'être très criminelles devant Dieu, parce qu'elles sont bien aises de tenir dans le cœur des hommes une place qui n'appartient qu'à Dieu seul, en prenant plaisir d'être l'objet de leur passion. […] C'est pourquoi quelque soin que l'on prenne de séparer de la Comédie et des Romans ces images de dérèglements honteux, l'on n'en ôtera jamais le danger, puisque l'on y voit toujours une vive représentation de cette attache passionnée des hommes envers les femmes, qui ne peut être innocente; et que l'on n'empêchera jamais que les femmes ne se remplissent de l'objet du plaisir qu'il y a d'être aimées et d'être adorées d'un homme ; ce qui n'est pas moins dangereux ni moins contagieux pour elles que les images des désordres visibles et criminels.
Quand je dis ceci, je ne parle pas du pouvoir que les sens ont pour déterminer nôtre esprit dans les jugemens speculatifs qu’il prononce sur la nature de leurs objets, disant, C’est telle chose, c’est un arbre, c’est une pierre. Je parle uniquement du pouvoir qu’ils ont pour déterminer l’esprit et le cœur dans la recherche, ou dans la fuite de ces objets, disant, par exemple, que le plaisir est aimable, que l’éclat est à souhaitter, que rien n’est plus terrible que la douleur, etc. […] Par consequent fortifier l’attache que nous avons pour ces facultés, et pour leurs objets, augmenter l’impression qu’ils font sur nôtre ame, c’est aller directement contre le but du Christianisme, c’est travailler à affermir ce que cette sainte Religion a entrepris de détruire et d’anéantir. […] Elle remplit l’imagination de vaines chimeres, qui l’occupent incessamment, et qui la troublent lors qu’on auroit besoin de s’appliquer à d’autres objets. […] C’est un monde composé de tous les objets de nos passions, des grandeurs humaines, de tout ce qui paroît pompeux et éclatant, des plaisirs des sens, et des richesses d’iniquité.
La vérité n’est point pour nous dans les objets extérieurs ; elle réside intérieurement dans chacun : rien n’est plus certain que ce que nous sentons, et notre sentiment est la chose la plus constante, qui existe véritablement pour nous dans l’Univers. […] Les divers sentiments, que nous avons de la nature des choses, peuvent donc n’être que des illusions, puisque ce ne sont point les objets qui nous les procurent immédiatement, que ce ne sont point eux dans leur réalité, et qu’ils ne sont pas même nécessaires. […] [NDA] Si une position ne convient pas plus à l’essence d’une chose qu’une autre ; si une disposition de nos organes n’est pas plus convenable qu’une autre aux fonctions de notre âme ; si un mouvement quelconque des rayons solaires n’est pas plus propre qu’un autre à représenter dans nos yeux l’image des choses que nous voyons, comment pourrons-nous nous décider, lorsque les différentes positions d’un objet, les diverses dispositions de nos organes, et la variété des mouvements de ce fluide subtil, qui fait la lumière, nous feront voir, toucher et goûter différemment un même objet ? […] [NDA] Dans le Livre objet de la présente Critique.