Je n’ai garde de vouloir du mal à Molière , dit-il, il faut que l’original soit bon ; puisque la copie est si belle ; le seul reproche que j’ai à lui faire, c’est qu’il n’a pas imité parfaitement son modèle, son Misanthrope est un honnête homme, je voudrois être comme lui. […] Cette Dame célèbre détruisoit ainsi d’une main ce quelle bâtissoit de l’autre, & faisoit plus de mal par le règne du théatre, que son établissement n’a fait du bien. Louis XIV commença sa vie par l’amour du spectacle, par la mauvaise politique du Cardinal Mazarin son Instituteur, il la finit par l’amour du spectacle, par la piété mal entendue de Madame de Maintenon sa directrice & sa femme secrette. […] Le Festin de Pierre, ce sujet traité bien des fois en différentes langues, l’a été trois fois en France par Molière, Dorimon & Rosimon, & toujours mal à quelques saillies près ; il fait aussi peu d’honneur à leur plume qu’à leur religion.
Qu’on ne craigne pas l’injustice ou la diminution de ces impôts : c’est bien mal connoître les hommes que de croire qu’après s’être laissés une fois séduire par le luxe, ils y puissent jamais renoncer : ils renonceroient cent fois plutôt au nécessaire, & aimeroient mieux mourir de faim que de honte. […] Hogard est un Moliere : ces tableaux peuvent produire un bon effet, pourvu que la décence y soit gardée ; car si l’on peint à découvert les crimes de la courtisanne, ils feront beaucoup de mal : & tel est le poison de la comédie. […] On a voulu justifier la désobéissance d’un fils, à qui son pere déclare qu’il n’approuve pas un mariage mal assorti, qu’une aveugle passion veut faire, qui lui promet son héritage, s’il abandonne son actrice, le menace de le déshériter s’il désobéit, lui fait promettre d’éteindre sa folle passion. […] C’est mal soutenir le rôle de panégyriste.
Il se commet tous les jours une infinité de crimes à la faveur de cette coûtume, & cela impunément ; comme s’il estoit permis à tout le monde d’estre méchant avec un masque, & que les hommes estans déguisez & travestis, fussent incapables de mal faire. […] Car ceux qui sont mal, haïssent la lumiere & ne veulent point estre connus. […] Elle a renouvellé ces défenses à chaque Carnaval, mais inutilement, parce que les Magistrats qui les devroient garder inviolablement sont, les premiers à les enfreindre. qui est un mal qu’on ne sçauroit assez déplorer. » Il y a encore un autre desordre qui se commet en certains lieux au sujet des mascarades, non pas du Carnaval mais du Mercredi des Cendres & de quelques autres jours du Carême. […] Il est bien difficile que les femmes & les filles l’y conservent à la vûë de tant d’hommes & de tant de garçons, & l’esprit estant si puissamment attaqué du côté des yeux par les ruses de nôtre ennemi, qui est si subtil. » Il n’est pas mal aisé de juger par tout ce que nous avons dit jusques ici, que la danse ne peut gueres passer pour un divertissement legitime & innocent.
Ne croyez pas, dit Saint Gregoire de Nysse1, que la pratique de l’Excommunication soit de l’invention des Evêques ; c’est la Loi de nos Peres, c’est la Régle de l’ancienne Eglise, qui a commencé dès Moïse, & qui a trouvé sa perfection dans l’Evangile : Saint Paul s’en servit contre un Corinthien engagé en un commerce incestueux avec sa belle-mere : j’apprends, dit ce grand2 Apôtre aux Corinthiens, l’horrible incontinence où l’un des membres de votre Eglise est tombé, c’est un désordre que les Gentils ne se pardonnent pas ; il a abusé de la femme de son pere, & vous n’en avez pas gémi devant Dieu, vous ne l’avez pas chassé comme une peste publique : quoique je sois absent de corps, je suis avec vous en esprit, & j’ai jugé ce coupable au Nom du Seigneur, je l’ai livré à Satan, pour votre édification ; car ignorez-vous qu’un peu de levain corrompt toute la masse, ainsi vous devez retrancher le mal, & l’éloigner de vous. […] On sçait pareillement que les Magistrats dans les premiers siécles n’entroient pour rien dans la discussion des peines ecclésiastiques ; aujourd’hui qu’ils en jugent dès qu’on appelle à leur Tribunal, les choses n’en vont pas toujours plus mal, un Prélat zélé peut se laisser prévenir.
Je me sens très-incapable d’une jalousie qui m’engageroit à rabaisser injustement les Ouvrages de nos Voisins, & je fuis très-éloigné d’un esprit de vengeance qui me porteroit à mal parler de leurs Poëtes, parce que quelques-uns de leurs Ecrivains ont très-mal parlé des nôtres. […] Evremond, parlant des Tragédies Angloises : On ne peut avoir toutes choses, & dans un Pays où tant de bonnes qualités sont communes, ce n’est pas un grand mal que le bon goût y soit rare.
Je consens que l’on dise de moi ; cet homme écrit mal ; il a fait un mauvais ouvrage : pourvu qu’on soit obligé de dire ; cet homme à raison ; cet homme écrit la vérité. […] Ils vous ont fait presque autant de bien, que vos Rois, vos Ministres & votre Clergé vous ont fait de mal. […] Mais si, quand il faut de puissans remèdes, on nous donne des palliatifs ; si l’on veut ménager encore les prétentions arbitraires, & cet empire de l’habitude, cette autorité des anciens usages ; si l’on se contente de remplacer un Gouvernement absurde par un Gouvernement supportable ; si l’on ne fait que perfectionner le mal, pour me servir de l’expression du vertueux Turgot ; si, quand il faut établir une grande constitution politique, on s’occupe de quelques détails seulement ; si l’on oublie un instant que les loix doivent également protéger tous les Ordres de Citoyens, que toute acception de personne ou d’état, est une chose monstrueuse en législation, que tout ce qui ne gêne point l’ordre public doit être permis aux Citoyens, & que par une conséquence nécessaire, il doit être permis de publier ses pensées, en tout ce qui ne gêne point l’ordre public, de quelque manière, sous quelque forme que ce soit, par la voie de l’Impression, sur le Théâtre, dans la Chaire & dans les Tribunaux ; si l’on néglige cette portion importante de la liberté individuelle ; la France ne pourra point se vanter d’avoir une bonne constitution : les ames fières & généreuses, que le sort a fait naître en nos climats, envieront encore la liberté Angloise que nous devions surpasser : nous perdrons, peut-être pour des siècles, l’occasion si belle qui se présente à nous, de fonder une puissance publique ; & les Philosophes François, écrasés, comme autrefois, sous la foule des tyrans, seront contraints de sacrifier aux préjugés, ou de quitter le pays qui les a vu naître pour aller chercher une Patrie ; car il n’y a point de Patrie sans liberté.
Un aveugle entousiasme ne veut laisser rien échaper du héros qu’il célébre ; c’est le mal servir. […] Il accuse les Puritains gens bigots, & superstitieux, d’avoir défendu les divertissemens après les dévotions de l’après-dînée, ce qui produit deux grands maux. […] Les Saints en Paradis, les damnés en enfer, &c. ne font aucun mal, les nudités des décorations, la coquetterie des actrices ; les amours des Dieux, & le libertinage de la jeunesse, &c. font commettre mille péchés.