Quel chrétien a jamais douté que le culte suprême n’est dû qu’à Dieu ; que les honneurs religieux ne peuvent avoir pour objet, que la personne des Saints, dont la dignité, la vertu les mérite ? […] Le Temple de Gnide, ouvrage très-dangereux, où toutes les folies de la passion sont décrites par des idées les plus voluptueuses, avec une légèreté & une négligence de style, qui ne respire que la molesse ; cet ouvrage n’est point achevé, c’est une galerie de tableaux passionnés, tracés par une imagination, qui s’égare, & voltige sur les objets de l’amour ; c’est une piéce à tiroir, un tissu de scénes que la Réligion, la vertu, la décence défendent également de garder & de lire, & défendoient au Président de Montesquieu de mettre au jour, aussi-bien que les Lettres Persannes, dont il n’approche pas pour le mérite littéraire. L’auteur lui-même n’en faisoit aucun cas, & pour en peindre la frivolité & le danger, qui en font tout le mérite. Il disoit plaisemment : Il n’y a que des têtes bien frisées & bien poudrées qui connoissent tout le mérite du temple de Gnide.
Mais elle ne parvint pas tout-à-coup au mérite éclatant où nous l’avons vue dans les ouvrages d’Aristophane & de Ménandre. […] On pouvait dès lors juger de son genre, & de ce qui ferait son principal mérite. […] Le faible mérite qu’ils avaient acquis sous son prédécesseur, ne saurait lui ôter la gloire de les avoir vu pendant son règne s’élever au dernier degré de la perfection, & se mettre à même de surpasser, peut-être dans tous les tems, les Spectacles de l’Europe, des Grecs & des Romains. […] Il me reste encore à parler de l’origine de l’Opéra-Bouffon ; ce genre nouveau de Spectacle qu’on se fait une gloire d’estimer, mérite d’être traité comme les autres Théâtres.
Il est vrai que ce n’est pas d’aujourd’hui, que ce Moine réformé a donné l’essor à sa méditation frénétique, pour choquer cette profession ; Mais la connaissance que tout le monde a de son mérite augmente d’autant plus sa réputation que son ignorance essaie d’en diminuer le prix : Ce qui m’a le plus étonné ça a été qu’après avoir lu son libelle, intitulé (le Théâtre du Monde) par lequel il prétend assujettir la liberté de notre Vie ; J’ai trouvé qu’il était de la nature deb ces écrevisses, où il y avait plus à éplucher qu’à prendre, que ses arguments étaient des galimatias, et qu’il savait mieux débiter une invective, qu’enseigner une doctrine, faire le Rabelais, que le Théologien, que les passages qu’il a tirés de l’Ecriture sainte, étaient des allégories ou métaphores, pour amuser ceux des petites maisons de Paris, que les allégations des Docteurs qu’il produit contre la Comédie, ont si peu de rapport à son sujet, que j’ai honte que le public soit témoin de la faiblesse de son jugement. […] Mais si nous considérons en quel point est aujourd’hui la Comédie, nous trouverons qu’elle n’a aucune marque de l’antiquité, et ceux qui la professent, témoignent par la probité de leur vie, et par la représentation de leurs actions, qu’elle est entièrement dépouillée de toutes les qualités, qui pouvaient la noter d’infamie, et son mérite, l’ayant montée au plus haut degré de sa perfection, s’est mise dans une telle considération, auprès des Rois et des Princes, qu’elle leur tient lieu d’une sérieuse occupation ; Aussi se fait-elle avec tant de modestie, par l’innocence de ses poèmes, qu’elle dépite l’envie d’en offenser la réputation ; Je dirai de plus qu’elle est tellement Civile en ses diversités, qu’elle contraint les plus Religieux de lui donner des louanges, et chacun confesse que la force de ses charmes est si grande, qu’il faut être privé de sens commun pour en choquer la bonne odeurk ; Si l’on regarde le nombre de ses qualités, on verra, que c’est le tableau des plus agréables passions, la parfaite image de la vie humaine, la vraie histoire parlante, la pure philosophie visible, l’entretien des bons esprits, le trône de la vertu, l’exemple de l’inconstance des choses, l’ennemie de l’ignorance, le modèle de l’Orateur, le raccourci de l’éloquence, le Cabinet des plus riches pensées, le trésor de la moralité, le miroir de la justice, le magasin de la fable ; bref j’en dis peu pour n’en pouvoir dire assez, et j’ai de trop faibles Eloges, pour la moindre de ses parties : Et quoique ce Pédant l’attaque par les plus rudes invectives de sa haine, elle est un puissant rocher, contre l’orage de ses malédictions, une tour, pour résister aux écueils de sa médisance, une muraille de bronze contre ses calomnies, un boulevard pour s’opposer à ses accusations, un bouclier contre ses impostures, un rempart capable de dissiper la foudre de passion, elle est enfin à l’épreuve de ses machines, et conservera sa renommée malgré l’effort de ses intentions. […] Je suis honteux que ce Révérend Père reproche aux Comédiens, qu’ils emploient toutes sortes de ruses et d’inventions, pour suspendre nos esprits, et que par de subtiles amorces ils chatouillent nos sens en telle façon, que les facultés de notre âme en demeurentr offensées ; Je ne sais d’où il a tiré cette doctrine, et de qui elle est autorisée si c’est de son caprice, ou de quelque esprit aussi blessé de l’imaginative que lui ; car je suis étonné qu’une telle faiblesse soit sortie de la pensée d’un Religieux ; Je crois que le plus grand charme par lequel ils tendent à captiver et arrêter les Curieux, c’est par le seul mérite de leurs poèmes, et non par aucune autre considération. […] Il prétend prouver en alléguant l’antiquité, que les Comédiens sont notés d’infamie, selon les lois et constitutions Ecclésiastiques ; j’avoue avec lui que la Comédie à sa naissance, a été condamnée de l’Eglise primitive, et des Pères Orthodoxes, en ce qu’elle était une fondrière de tous vices : Mais comme les temps perfectionnent les hommes, et changent de mal en bien l’être des choses, elle s’est tellement rendue agréable par la pureté de son innocence, qu’il ne lui reste rien pour ajouter à son mérite, et qu’autant qu’elle a été pernicieuse en son principe, elle s’est montrée recommandable en la fleur de son printemps.
Ce n’est pas la peine de se mettre en frais pour guerir ce mal, & le mérite de Moliere sur cet article, est bien borné, quoique cette piéce soit une des meilleures. […] Tout ce qu’on affecte, pour se donner un air de mérite, s’attirer des éloges, des honneurs, tout cela est du précieux & du précieux ridicule ; même principe, même motif, même effet. […] Le dernier plus raisonnable, fait un mérite à Hortense, de n’en avoir pas besoin pour lui trouver quelque défaut, je vais la voir dans sa chambre, au milieu de ses chiens, de ses guenons, de ses oiseaux. […] Qu’elle coupoit les cordes des cloches pour qu’on manquât les offices, se faisoit habiller & deshabiller par des jeunes pages, au lieu de femmes de chambre, se déguisoit en hommes, & couroit la nuit, qu’elle abandonna son mari, s’alla promener en Piémont, en France, en Flandre, en Allemagne, qu’on lui dédia une tragédie, qu’elle en fit la fortune, &c. mais pourvu qu’on soit belle, ou du moins qu’on s’en croie, on a toute sorte de mérite, les graces effacent tous les défauts, le coloris du tein donne toutes les vertus. […] C’est à leur industrie que nous sommes redevables des frisures prétendues élégantes, dont on ne sauroit retenir les noms, auxquelles tant d’hommes attachent leur mérite, qui, en effet ne va pas plus loin, & dont les Perruquiers sont leur profit.
Mais je n’apprécie point son mérite littéraire, je n’envisage ses livres que du côté des mœurs & du théatre, & ces livres sont entre les mains de tout le monde. […] Cet ouvrage est tombé dans l’oubli qu’il mérite. […] Cette finesse, cette légèreté seroit un mérite littéraire, s’il n’avoit que des objets innocens ; mais peut-on trop déplorer l’abus des talens, quand ils ne sont employés qu’à produire des mignatures de péché, des développemens de corruption, des idées riantes du vice, parées de beautés dont la naïveté fait la séduction, & qui ne semblent se perdre sous la main que pour se glisser imperceptiblement, mais trop efficacement dans le cœur ? […] Voilà l’air de famille de toutes ses pieces ; car parmi les éloges que l’Auteur se donne par-tout d’un air nonchalant, il fait beaucoup valoir que dans toutes ses pieces il n’y a pas une scène superflue, ni rien de superflu dans les scènes ; qu’au reste c’est un grand mérite, qu’il est plus difficile qu’on ne pense de traiter une action simple sans écart, sans remplissage, avec les seuls Acteurs absolument nécessaires, & ne faisant dire à chacun que ce qu’il doit précisément dire ; qu’il y a tant de variété & de fécondité dans son théatre, que les pieces n’ont pas même un air de famille. […] mérite-t-elle la couronne de l’immortalité ?
Elle doit donc offrir des modèles de vertu, y inviter par la louange & la récompense, & ne mettre le vice sur la scène que pour le faire haïr, & en détourner par le blâme & la punition qu’il mérite. […] Accoutumés à respecter & imiter leurs parens, ils regardent la comédie comme un bien ; quand les parens les y ménent, quand ils y voient des grands, des gens en place, des vieillards, des gens d’esprit, ils se font de leur goût, de leur attachement, & un devoir & un mérite. […] Cette chimère vient encore de faire illusion à un homme de mérite d’un état bien différent, que son état même devroit mettre plus en garde. […] Au reste il ne parle pas des pieces des Auteurs vivans, pour ménager leur délicatesse ; mais il est aisé son compas & son équierre à la main d’apprécier leur mérite moral. […] Voilà en abrégé le Livre de cet homme sage & vertueux, qui est un vrai phénomène sur le théatre, mais qui mérite tous nos éloges, quoique ses projets ne soient point exécutés.
Que ne mérite pas le grand Moliere ! […] Ce sont des conversations très-communes, souvent basses & grossieres, dont le seul mérite est d’être naturelles, vives, naïves, semées de saillies plaisantes, de mots bouffons, qui font rire ; ce sont les fourberies d’un valet, les intrigues d’un jeune homme, les reproches d’un père, la foiblesse d’un malade, &c. […] Ces coups de maître, si l’on veut, ont leur mérite ; mais Longin ne les mettra pas au rang du sublime. […] L’Abbé de Besplas peut-il l’ignorer, ou lui faire honneur d’un triomphe qui ne mérite que nos larmes ? […] Voilà son plus grand mérite, qui lui donne plus de partisans, & en fait des enthousiastes.