Il en est de même au théatre, on le dit épuré dans son langage, & tout ce qu’on y voit tient le langage le plus licentieux. […] Croit on qu’à Londres, à Naples, à Vienne, à Madrid, à Lisbonne, à Paris, un Evêque osât tenir ce langage ? […] De là l’Auteur passe aux Romans, & par une contradiction ridicule il en défend la lecture, tandis qu’il ordonne celle des comédies : comme si une comédie n’étoit pas un Roman en action, & les Romans une comdie en récit ; même matiere, même objet, mêmes sentimens, même langage ; la plupart des Romans ont été mis en comédie. […] C’est pourtant l’esprit, le langage, les mœurs du théatre.
Il est vrai, le langage en est plus pur, plus étudié, plus châtié ; mais vous sçavez si ce langage en ternit moins l’esprit, s’il en corrompt moins le cœur, et si peut-être il ne vaudroit pas mieux entendre les adulteres d’un Jupiter et des autres divinités, dont les excès exprimés ouvertement et sans réserve, blessant les oreilles, feroient moins d’impression sur l’ame. […] Mais vous le sçavez : prédicateurs dans la chaire, directeurs dans le tribunal de la pénitence, docteurs dans les écoles, pasteurs des ames, ministres des autels, tiennent tous encore le même langage, et se trouvent appuyés de tout ce que l’Eglise a de vrais enfants et de vrais fideles. […] Car, pour parler le langage du monde, et pour user du terme propre, qu’est-ce, à le bien définir, que le Roman ? […] On n’entend parler que de calamités et de miseres : il semble que le ciel irrité ait fait descendre tous ses fléaux sur la terre pour la désoler ; chacun tient le même langage, et ce ne sont par-tout que plaintes et que lamentations.
L’Ecriture & les Peres lui fournissent toujours ses couleurs les plus vives, & ses traits les plus pathétiques : il emprunte jusqu’au langage des Payens, pour faire sentir le danger aux Chrétiens qui s’y exposent. […] Ramire ; il y ajoute une réfléxion dont la vérité & la simplicité doit frapper ses adversaires : c’est qu’en plaidant pour les Spectacles ils en montrent le danger, leur langage favorise trop les passions pour ne pas trahir leur cause : le Spectacle est pour la jeunesse, ce qu’est un peu d’eau pour un brasier ardent, elle ne suspend d’abord l’activité du feu que pour la rendre bientôt plus vive.
L’Ecriture & les Peres lui fournissent toujours ses couleurs les plus vives, & ses traits les plus pathétiques : il emprunte jusqu’au langage des Payens, pour faire sentir le danger aux Chrétiens qui s’y exposent. […] Ramire ; il y ajoute une reflexion dont la vérité & la simplicité doit frapper ses adversaires : c’est qu’en plaidant pour les Spectacles ils en montrent le danger, leur langage favorise trop les passions pour ne pas trahir leur cause : le Spectacle est pour la jeunesse, ce qu’est un peu d’eau pour un brâsier ardent, elle ne suspend d’abord l’activité du feu que pour la rendre bientôt plus vive.
Or ne sont-ce pas là les sentiments & le langage de tout théâtre ? […] De-là, comme remarque l’ingénieux Lactance, cette beauté, cette noblesse de sentiments, cette vivacité, cette diversité d’images, pour faire trouver les crimes plus charmants & plus aimables ; de-là cette magnificence, cette pompe de décorations, pour leur donner, plus d’appareil, un éclat plus frappant ; de-là cette liberté de fiction, pour en dégager la représentation de tout ce qu’ils eurent dans la réalité de rebutant & de hideux ; de-là cette exactitude de proportions & de vrai-semblances, pour exciter plus sûrement à l’imitation ; de-là cette politesse de langage, ces vers nombreux composés avec art, pour aider à les retenir plus aisément. […] Allez à présent, sur-tout, allez dans vos sociétés particulieres les donner devant vous, & pour peut-être vous donner vous-mêmes devant eux en spectacle : amusement nouveau, nouvel artifice mis à la mode dans notre siecle ; sans doute pour arracher tout-à-fait un reste de répugnance qu’on avoit jusqu’à présent conservé pour le théâtre & ses acteurs ; mais sur-tout, infaillible moyen de rendre la séduction plus certaine encore & plus prompte, en imprimant plus fortement des passions, dans lesquelles on est obligé de mieux entrer pour les représenter soi-même ; en donnant plus de liberté & de hardiesse à parler le langage de la volupté ; en mettant dans l’occasion la plus prochaine d’inspirer & de prendre des sentiments, mieux réglés peut-être dans leur objet, mais aussi déréglés dans leur principe ; & communément plus dangereux encore dans leurs suites : désordre contre lequel nous ne voyons pas que se soient élevés les saints Docteurs, sans doute parce que les Chrétiens de leur siecle en étoient incapables ; mais désordre que nous avons la douleur de voir déploré par des sages du Paganisme, comme le présage le plus certain de le prochaine & de l’entiere décadence des bonnes mœurs. […] Mais que vous changerez un jour, au Tribunal de Jesus-Christ, de sentiment & de langage !
Je vous demande si jamais vous n’avez entendu sortir de ces bouches impures que des paroles chastes & mesurées ; si jamais vos yeux & vos oreilles n’ont rien rencontré dans les Spectacles, qu’on dit être les plus châtiés, qui pût alarmer la modestie ; si vous voudriez imiter, ou si vous souffririez dans les personnes dont la conduite vous est confiée, les parures indécentes, les manières lascives & dissolues, l’air d’effronterie & d’impudence qu’on étale sur le théâtre ; si vous adopteriez le langage qu’on y parle ; & si enfin vous n’avez jamais rougi, en souriant à des propos que vous auriez honte de répéter ? […] Ce fameux Comique, qui dans le dernier siècle a porté cet art dangereux à sa dernière perfection, mais dont la mort devroit donner plus de frayeur aux amateurs du Spectacle que ses ouvrages ne leur causent d’admiration & de plaisir, a, dit-on, corrigé les mœurs de son siècle ; c’est-à-dire, qu’il a détruit par la force du ridicule quelques restes de mauvais goût, d’affectation dans le langage & dans les manières : mais de quel vice réel nous a-t-il en effet corrigés ? […] Le langage de la vertu leur est toujours étranger ; & lorsqu’ils en débitent les maximes, lorsque dans certaines pièces ils osent prendre les noms & les personnages des Saints ou des Prophètes du Seigneur, il me semble entendre ce Dieu terrible qui leur dit : Méchant, pourquoi oses-tu parler de mes commandemens, & pourquoi mon nom se trouve-t-il sur tes lèvres impures ? […] Par conséquent lorsque vous vous plaisez à voir la représentation d’une intrigue amoureuse & à entendre le langage de la passion, c’est une preuve que cette passion n’est pas à vos yeux ce qu’elle est à ceux de la religion, c’est-à-dire, une passion honteuse & criminelle : & y a-t-il donc tant de distance entre approuver une passion, l’aimer & la ressentir ?
Qu’ils aillent jouer George Dandin ou Arlequin Grapignan, ils ne sont pas faits pour le langage des lois ; ce serait les profaner de les mettre sur des lèvres infâmes : « Peccatori dixit, quare tu enarras justitias meas ? […] serait-il juste que l’honneur et la vie des hommes fût à la discrétion d’une bouche infâme qui ne s’ouvre qu’au langage de la passion et du vice ? […] Qu’on s’amuse à en faire un moment l’application détaillée, qu’on dise à Rome, un Consul, un Préteur, un Sénateur, etc., Comédien ; dans tous les pays du monde, un Ministre d’Etat, un Ambassadeur, un Gouverneur de province, Comédien ; qu’on dise parmi nous, un Général, un Colonel, un Capitaine, un Président, un Conseiller, un Avocat, un Notaire, etc., Comédien ; ces idées sont si disparates, les personnes et l’emploi sont si opposés l’un à l’autre, que ce seul langage révolte : la seule proposition serait une insulte et une folie, exciterait l’indignation, ou ferait rire par le ridicule ; ce serait allier le bon ordre et la dissolution, la sagesse et la folie, la considération et le mépris, la confiance du public et la friponnerie. Rien au monde ne fournit ni plus de contrastes à l’esprit, ni plus d’antithèses au langage, et toutes justes, que les charges publiques et le métier de Comédien.