je ne vois pas, Monsieura, que vous ayez aucun sujet de vous plaindre de moi, pour avoir écrit que je ne pouvais juger à la hâte d’ouvrages comme les vôtres, et surtout à l’égard de la question que vous entamez sur la Tragédie et sur la Comédie, que je vous ai avoué néanmoins que vous traitiez avec beaucoup d’esprit.
c’eût été un trop long ouvrage pour moi que de les recueillir tous exactement : et d’ailleurs dans la crainte de fatiguer le Lecteur, j’ai cru ne lui devoir montrer qu’un échantillon lequel suffît pour le faire juger de tout le reste.
« Quels sentiments aurait eus Jésus-Christ des fidèles qu’il formait, s’il avait jugé nécessaire de leur interdire, par une loi expresse, des plaisirs païens ?
Il croit que c’est d’abord au Juge séculier à y mettre ordre, mais qu’à son défaut c’est à l’Eglise ; que ce crime est mixte, mixtifori, à raison du péché, du scandale et des erreurs qu’on y débite, et que c’est à l’Eglise seule à juger de la morale et de la doctrine, à approuver les pièces ou les rejeter. Ces questions n’ont pas lieu en France ; l’autorité royale a toujours réglé depuis plus d’un siècle la police des spectacles, et ne souffrirait pas que les Officiaux qui en jugeaient communément avec le Magistrat dans le seizième siècle, s’en mêlassent aujourd’hui. […] Tout ce qui me paraîtrait dans l’ordre, c’est que les Censeurs royaux à qui on confie l’examen de ces pièces, ne fussent pas des gens du monde, communément assez indulgents pour le théâtre, mais des Théologiens en état de juger de ce qui très souvent y intéresse la religion et les mœurs. […] Et pour y maintenir l’ordre, et ne pas les détourner en portant ailleurs leurs menus différends, qui dans cette jeunesse devaient être en grand nombre, et décharger le Parlement de ce détail embarrassant, il leur donna une juridiction supérieure sur tous leurs membres, et le droit de juger en dernier ressort toutes leurs petites affaires.
Il ne fut pas nécessaire de faire juger l’appel, la défense provisoire arrêta tout, et la troupe fut dissipée. […] Mais Montaigne jugeait du goût et des idées du public par les siennes, et appelait passetemps bien réglés une liberté pareille à celle qu’il se donne dans son livre, où l’obscénité, l’irréligion et la hardiesse des sentiments sont répandues à pleines mains, et souvent d’une manière plus révoltante que dans nos comédies, dont le grand nombre est plus châtié que ses essais. […] Il y a bien de l’apparence que si ce procès a été jugé (ce que j’ignore), il a eu le dénouement de celui d’Horace, et aura fourni matière à quelque farce : « Solventur risu tabulæ, tu missus abibis. » Le Mémoire fait pour Gaudron par Me. […] Il n’y a que des arrêts qui jugent des différends particuliers survenus entre les Comédiens.
Laverdi, fameux Avocat, qui à en juger par son plaidoyer, rapporté dans les Causes célèbres, mérite bien autant que M. […] Mais le bien public prescrit aux Tribunaux extérieurs, même aux Officialités, de suivre les règles de précaution que les lois ont jugé nécessaires pour prévenir les désordres. […] L’Officialité et le Parlement le jugèrent ainsi contre la Duclos. On peut voir ces deux plaidoyers de Messieurs Cochin et Laverdi, où la question est savamment traitée pour et contre, et où l’on rapporte nombre d’arrêts qui l’ont ainsi jugé.
Ils font ensuite & disent sur le théatre tout ce qu’ils jugent à propos. […] Un Tribunal composé de sept Juges en office, pour juger des piéces, & couronner les meilleures. 3°. […] Il est pourtant vrai que la tragédie est plus difficile, qu’il y a moins de poëtes tragiques que de comiques, & de bonnes tragédies que de bonnes comédies ; sur-tout que la tragédie est de sa nature, plus châtiée, plus décente, moins dangéreuse pour les mœurs ; mais tout sera équitablement balancé par l’aréopage dramatique, il vaut bien mieux que celui de Paris : il est composé des personnes d’un mérite distingué, récommandables par leur érudition, leur probite, leur intelligence, à l’abri de tout soupçon, qui jugeront avec connoissance, & sans partialité ; au lieu qu’à Paris c’est une troupe de comédiens & de comédiennes, grands Seigneurs & petits maîtres , dit Voltaire, qui s’assemblent pour juger les pieces ; leurs séances sont des vraies scénes comiques, souvent tragiques, pour le pauvre poëte, qui, après avoir long-tems fait sa cour, & essuyé les hauteurs, les caprices, les railleries, les mépris de ce grave sénat, est réfusé avec dédain, & ne peut esperer de succès que par la sollicitation, les présents & l’intrigue, foible garant de la bonté de la piece. Ce tribunal me fait souvenir du Sénat des Dames, établi par Héliogabale, pour juger des modes, des coëffures, des pompons, &c. ainsi se formeront, à Parme comme à Paris, d’excellents citoyens, & acteurs de théatre, très-utiles à la République, à la Réligion & aux mœurs. […] Je n’ai point veu cette piéce je ne puis en juger ; mais je n’en serois pas surpris.