Il falloit dire que l’opprobre tomboit seulement sur l’état & sur l’occupation habituelle du Comédien, & point du tout sur l’exercice d’un moment de la jeunesse. […] Des salles somptueuses dans lesquelles la jeunesse de la Nation de l’un & de l’autre sexe, appellée par sa naissance ou par des dispositions naturelles & des talens supérieurs, à des emplois publics, ou destinée à paroître à la Cour, viendroit à la sortie des classes & des couvents, apprendre à s’énoncer avec décence & avec graces, & représenter des jours mémorables choisis dans l’histoire, devant une multitude de spectateurs qui n’auroient acheté le droit d’y entrer, que pour contribuer aux sommes immenses que produiroit ce droit, seroit peut-être le projet le plus beau que l’on pourroit exécuter, pour la renaissance des lettres qui ont dégénéré, pour l’éducation de la jeunesse encore imparfaite, & pour le bien & l’avantage général de la Nation. […] Rien ne seroit plus beau, sans doute, que des assemblées de plusieurs familles, où la jeunesse, sous les yeux de ses parens réunis, non seulement craindroit de leur déplaire, mais où chacun chercheroit encore à mériter par ses soins l’affection & l’estime de ceux parmi lesquels il rencontreroit l’objet de son amour. […] Cet exercice, dans les instans précieux de la jeunesse, servira encore à perfectionner son éducation. […] Cyr, encore sous les yeux du Ministere chargé du soin de leur éducation, venir représenter sur ce théâtre avec toutes les graces naturelles de la jeunesse, soutenues de la noblesse de leur naissance.
S’il nous est ordonné de ne pas donner de mauvais exemples à la jeunesse, c’est parce que les enfants, n’ayant pas assez de lumière pour juger des choses par eux-mêmes, ni assez de force pour combattre leurs désirs, se laissent entrainer par les impressions de l’exemple, et ne peuvent, pour ainsi dire, éviter de se corrompre, si les exemples, qu’ils ont devant les yeux, sont mauvais : ajoutons que les Grands, les personnes élevées en dignité, les vieillards, etc. ont un grand ascendant sur l’esprit des enfants par le respect qu’on leur inspire pour eux, et que leur faiblesse leur fait naturellement concevoir : ainsi, lorsqu’ils voient assister au Théâtre toutes ces personnes respectables, ils ne peuvent s’empêcher de prendre, pour les Spectacles, un goût et un attachement proportionnés à l’idée avantageuse qu’ils se sont formés des Spectateurs. Il me paraît donc qu’il faut convenir que, si la réformation n’était pas indispensable par tant d’autres motifs, celui de l’éducation des enfants serait seul assez puissant, pour en faire sentir la nécessité ; et pour en déterminer l’exécution : mais tout conspire également à démontrer cette nécessisité : car, s’il est essentiel de garantir la jeunesse du risque, il ne l’est pas moins de mettre en sûreté la modestie du sexe, et de contenter la délicatesse des honnêtes gens.
Je tiens de personnes-sûres, que depuis dix ans, sur-tout, le Spectacle arrache la jeunesse des Tavernes & des Académies de jeu. […] Ce que vous dites encore ici sur les Exercices propres à former la jeunesse, est très-bien vu. […] Ils répètent dans un âge plus avancé, cet amusement de leur première jeunesse, mais d’une manière plus majestueuse, qui approche de la vérité. […] Cependant, ainsi qu’en Grèce, & qu’à Sparte1 en particulier, Rome n’avait d’Acteurs que sa propre Jeunesse. […] Que le Théâtre soit l’exercice de la Jeunesse, & ne soit le métier de personne.
Le Parlement connoissant le danger que fait courir aux bonnes mœurs le goût pour le théatre, si répandu dans notre siécle, pour former une postérité moins passionnée, ordonne (art. 49) que dans les Colleges il ne sera représenté en aucun cas aucune tragédie ou comédie ; il rappelle les statuts de l’Université de Paris, qui les proscrit absolument comme contraires aux bonnes mœurs ; c’étoit un abus dont Rolin & plusieurs instituteurs de la jeunesse ont toujours desiré la réforme. […] Platon dans sa jeunesse composa des pieces de théatre, il donna aux comédiens une Tetralogie, c’étoit un spectacle composé de trois tragédies & une comédie, sur lequel on donnoit des prix. […] Sa belle ame qui étoit faite pour la pratiquer, fut si frappée de ces discours, qu’il retira ses pieces, & renonça au théatre, que l’étourderie & les passions de la jeunesse lui avoient fait d’abord trop goûter, pour s’adonner à l’étude de la sagesse ; il ne permit, non plus qu’Aristote dans sa République, aucune représentation théatrale, parce qu’il n’en est aucune qui n’excite quelque passion, colere, vengeance, ambition, amour ; l’action suit de près les discours & la représentation, on se laisse aisément gagner lorsqu’on aime de voir & d’entendre. […] Paris ne peut long-tems s’en passer, sans éprouver les incovénients d’un vuide toujours dangereux pour le désœuvrement d’une jeunesse nombreuse, qui peut s’occuper plus mal, qu’en se portant au spectacle. […] Le Marquis d’Argens, homme d’esprit & de condition, a donné des Mémoires de sa vie ; c’est un détail du libertinage de sa jeunesse, bien différent des confessions de Saint Augustin.
Cet exercice est le plus propre à développer dans la jeunesse des talens (& des vices) qu’on ne lui eût pas soupçonnée, & des graces (une coquetterie), qui n’avoit besoin que d’une assurance honnête (de l’impudence) pour se produire dans tout leur éclat (séduire plus efficacement), & faire éclore dans les ames cette sensibilité précieuse (cette corruption funeste), germe de toutes les vertus (de tous les vices). […] Mais quelle erreur plus funeste que de regarder comme sans conséquence pour la jeunesse la familiarité avec les Acteurs & Actrices ! […] Turpin, homme sage & plein de zèle, dans la Préface de la Vie de M. de Condé : L’éducation actuelle de notre jeunesse est l’ouvrage d’un peuple de batteleurs & d’histrions aussi vils que ceux qui les payent ; une fille formée par de tels instituteurs semble être destinée à ranimer un jour les organes engourdis d’un Visir dédaigneux ou d’un Sultan stupide, pour quatre raisons ; 1.° la jeunesse va librement à la comédie, & se lie avec les Comédiens ; 2.° toute la tournure de son éducation la porte à goûter, à apprendre, à jouer la comédie ; 3.° la plûpart de ses maîtres & maîtresses sont dans leurs sentimens & leur conduite de vrais Comédiens ; 4.° tous ceux qui leur enseignent les choses d’agrément, la danse, la musique, les instrumens, la déclamation, &c. sont en effet des gens du théatre. Ajoutons que depuis la création des théatres domestiques la jeunesse apprend l’art de la comédie, & a toujours avec elle quelque Acteur ou Actrice qui le lui enseigne, qui est fêté dans la maison, qui y dirige le spectacle, & vit familierement avec elle, plus respecté, plus chéri mille fois que les gouverneurs & les parens. […] Le profane spectacle au théatre étalé, Les principes impurs qu’on ose y débiter, Les lascives chansons qui raillent la sagesse, Au tendre & fol amour instruisent la jeunesse.
Quelle dépravation jusque dans ceux qui devroient servir de guide à la jeunesse ! […] Quand je parle des vieillards, ce n’est pas pour excuser la jeunesse qui y court à sa perte ; car si cette passion est honteuse & ridicule pour les vieillards, elle est bien plus dangereuse pour la jeunesse. […] Une jeunesse mal élevée est plus furieuse qu’une bête féroce : plusieurs scélérats n’ont eu d’autre école que le théatre.
L’a-t-elle tenue nuit et jour, pour ainsi parler sous ses ailes, avec tant de soin, pour la livrer au public et en faire un écueil de la jeunesse ? […] C’est ce que sentait Saint Augustin au commencement de sa jeunesse emportée, lorsqu’il disait : « Je n’aimais pas encore ; mais j’aimais à aimer » Conf.