Ce n’est pas par intérêt qu’elle a quitté, elle pense trop noblement ; mais pour illustrer sa patrie, qui lui a destiné une place dans la galerie des illustres, & c’est pour mieux répandre la gloire de sa patrie, non par intérêt, qu’elle est allée à Bordeaux, où on lui fait un meilleur parti. […] Les officiers de la grand-chambre, la plupart vieux maris, ou vieux célibataires, prennent peu d’intérêt à ces fêtes comiques, qui sont pour les jeunes Magistrats des évennemens très-importans. […] Il est d’usage parmi nous de s’accorder une indulgence réciproque, en matière de galanterie ; cette discrétion politique est absolument nécessaire à l’intérêt commun, sans cela nous serions tour-à-tour les dupes de nos vangeances, & les hommes cesseroient d’être les nôtres. […] J’obtins une place à force de crédit, je comptai dès-lors ma fortune assurée ; nous sommes sur le théatre ce que les fermiers-généraux sont dans les finances, la plupart commencent avec rien, nous commençons de même ; ils s’intéressent dans plus d’une affaire, nous n’avons jamais assez d’une intrigue ; ils doivent l’alliance des grands à leurs richesses, nous la devons à nos appas ; ils sacrifient leurs amis à l’intérêt, nous lui sacrifions nos amans ; un trait de plume leur vaut 100000 livres, une faveur accordée nous en vaut quelquefois d’avantage ; ils font des traités captieux, les notres sont équivoques ; le goût du plaisir nous mene à la prodigalité, le faste les rend dissipateurs : deux choses nous différencient, ils s’endurcissent pour thésauriser, nous nous attendrissons pour nous enrichir ; ceux qu’ils ruinent les maudissent, ceux que nous ruinons nous adorent. […] La ville de Verone dont il a écrit au long l’histoire, idolâtroit son citoyen, entr’autre hommage, elle lui dressa une statue avec cette inscription simple, mais profonde, au Marquis Maffei vivant, elle est dans le goût de celle que Montpellier dressa au feu Roi, à Louis XIV après sa mort ; l’une & l’autre idée est également vive, la flatterie ne loue guere après la mort un Prince qu’on n’a plus intérêt de ménager, l’envie ne souffre guere qu’on loue pendant la vie un grand homme qui peut effacer ses rivaux, la vérité seule dicte ces éloges, Maffei eut la modestie de faire ôter la statue de la salle de l’Académie où on l’avoit placée, & où on la remise après sa mort, ce trait lui fait honneur, on doit, dit-on, en ériger une à Voltaire dans la salle du spectacle, avec la même inscription à Voltaire vivant, je doute qu’il la refuse, il y a même bien de l’apparence qu’il a mis une bonne somme dans la souscription que ses amis ont ouverte pour fournir aux frais.
On ne peut soutenir le spectacle que par des Acteurs mercenaires, des ames vénales, vendues au vice ; on n’y rassemblera que des spectateurs oisifs, & presque tous vicieux ; on ne verra travailler des Auteurs que par vanité, par intérêt, par goût du vice, ou pour flatter le goût du public. […] Comme il n’avoit plus d’intérêt de Corps ni d’Auteur à ménager, il suit toute la vivacité de son zèle & toute l’impression de la vérité. […] Nos Poëtes, bien différens, n’ont en vue qu’un intérêt pécuniaire, ou une folle vanité ; ils veulent faire briller leurs talens & acquérir de la gloire, contens, pourvu qu’ils plaisent, même en se rendant nuisibles. […] Dangers extrêmes, dont on ne se tire que par quelque ridicule miracle ; valeur bien différente de celle des Héros Grecs & Romains, qui ne combattoient que pour la patrie, ceux-ci contre les droits de l’humanité, les lumieres de la raison, les préceptes de la religion, les intérêts de la patrie, les ordonnances du Prince, vont en insensés répandre leur sang, & faire couler celui des citoyens. […] L’ennemi est trop rusé pour proposer grossierement le mal ; son intérêt est de rassurer par un air de paix & de décence.
Il écoute avec extase ; caractères, intrigues, catastrophes, sentimens, diction, intérêt, situations, ensemble, tout enfin y est merveilleux, admirable ! […] L’une plus occupée à toucher le cœur qu’à recréer l’esprit, a sçu répandre d’un bout à l’autre de sa pièce un intérêt si vif, si bien ménagé, qu’on se plaît dans le trouble & dans les allarmes où elle jette.
Mais il n’y a point là de ce genre d’intérêt, de ces situations singulières qui caractérisent les productions de notre siècle, & qui transportent de joie la plûpart des Lecteurs. […] Mais distinguons ici l’intérêt du sentiment. L’intérêt résulte, soit de la situation générale des personnages dans tout le cours de la Tragédie, soit de leur situation particulière dans de certains momens de l’action. […] Voilà d’abord un intérêt de situation, & du plus tragique. […] Que l’intérêt en est vif & soutenu !
Panulphe lui répond que, « quant à lui, il lui pardonne de bon cœur, mais que l’intérêt du Ciel ne lui permet pas d’en user autrement ». Pressé d’expliquer cet intérêt, il dit que, s’il s’accommodait avec Damis et la Dame, il donnerait sujet de croire qu’il est coupable ; que les gens comme lui doivent avoir plus de soin que cela de leur réputation ; et qu’enfin on dirait qu’« il les aurait recherchés de cette manière pour les obliger au silence ». […] Le Frère s’écrie là-dessus avec un emportement fort naturel, qu’il faut laisser au Ciel à empêcher la prospérité des méchants, et qu’il ne faut point « prendre son intérêt plus qu’il ne fait lui-même ». […] Cette scène met dans un beau jour un des plus importants et des plus naturels caractères de la bigoterie, qui est de violer les droits les plus sacrés et les plus légitimes, tels que ceux des enfants sur le bien des pères, par des exceptions, qui n’ont en effet autre fondement que l’intérêt particulier des Bigots. […] Loin donc, loin d’une âme vraiment chrétienne ces indignes ménagements et ces cruelles bienséances, qui voudraient nous empêcher de travailler à la sanctification de nos frères partout où nous le pouvons : la charité ne souffre point de bornes ; tous lieux, tous temps lui sont bons pour agir et faire du bien : elle n’a point d’égard à sa dignité quand il y va de son intérêt ; et comment pourrait-elle en avoir, puisque cet intérêt consistant, comme il fait, à convertir les méchants, il faut qu’elle les cherche pour les combattre, et qu’elle ne peut les trouver, pour l’ordinaire, que dans des lieux indignes d’elle ?
Ainsi, Monsieur, vous pouvez assurer le Père Bouhours & tous les Jésuites de votre connoissance que bien loin d’être fâché contre ce Régent, qui a tant déclamé contre mes Pièces de Théatre, peu s’en faut que je ne le remercie & d’avoir enseigné une si bonne morale dans leur Collége, & d’avoir donné lieu à sa Compagnie de marquer tant de chaleur pour mes intérêts, & qu’enfin quand l’offense qu’il m’a voulu faire seroit plus grande, je l’oublierois avec la même facilité, en considération de tant d’autres Jésuites dont j’honore le mérite, & sur-tout du révérend Père de la Chaise qui me témoigne tous les jours mille bontés, & à qui je sacrifierois bien d’autres injures.
Il a fréquenté les spectacles dans un temps où l’idolâtrie détruite par Constantin et ses enfants, ne régnait plus sur le théâtre, et où leurs lois chrétiennes en avait réformé les abus et les scandales ; dans ces temps, où les Magistrats Chrétiens qui donnaient ces jeux ou y présidaient, et par vertu, et par intérêt, pour ne pas déplaire à leur Prince, n’auraient pas souffert ces indécences prétendues, dont on veut se faire une excuse pour sauver nos comédies, et que même les Païens n’y souffraient guère ; dans ces temps en un mot, où le spectacle était tel qu’il est parmi nous. […] Que d’abondantes richesses fournissent à nos profusions, en nous mettant en état d’opprimer les pauvres et les faire servir à notre faste ; que le peuple applaudisse, non aux Magistrats qui cherchent ses intérêts, mais à ceux qui font de la dépense, et lui donnent des fêtes. […] Or tout homme qui se sert de la science et de la vérité par intérêt ou par passion, préfère le plaisir et l’argent à la vérité et à la science. […] Ce sont donc de francs ignorants qui ne connaissent pas le prix des choses : « Nemo Histrionum qui non sibi finem in pecunia constituat, necesse est ergo musicam nescire Histriones. » Cependant, comme on peut agir contre sa foi, ses lumières et sa conscience, et préférer ce qu’on sait et qu’on croit être mauvais, « video meliora proboque, deteriora sequor », il est certain qu’on peut être savant et pécheur, et par conséquent savant et Comédien, mais ce ne sera jamais de la vraie science, incapable de préférer la terre au ciel, le démon à Dieu, la volupté à la vertu, l’intérêt à la vérité ; et c’est de cette science mauvaise, et véritablement fausse, que l’Ecriture a dit que tout pécheur, fût-il le plus habile homme, et à plus forte raison que tout Comédien est un ignorant : « Omnis peccans est ignorans, impius ignorat scientiam.