Thomas qui rapporte ce dernier trait, entre volontiers dans l’idée de Saint Chrysostome, il juge les Spectacles3 vicieux par le scandale qu’ils donnent ; on y reçoit des leçons de cruauté & d’incontinence. […] C’est surtout à l’occasion du Théâtre que l’on voit régner aujourd’hui le désordre prédit par Saint Paul : la saine doctrine devient importune, on la rejette avec mépris, & l’on choisit en sa place des maximes agréables ; on prend pour guides des maîtres dont les idées sont plus assorties au penchant de la nature.
Les obscénités que Moliere a supprimées, n’ont point reformé le Théâtre : l’expression ne change rien au fond des choses ; elle ajoute quelquefois certaines idées qui marquent la passion, c’est-à-dire, l’affection ou le mépris ; mais ces idées accessoires ne suivent pas constamment, elles varient selon le changement des tems & des usages.
Mais le lieu & le nom ont esté bien-tost changez ; & il n’en reste d’apparence ny de vestige, qu’vn souvenir & qu’vne idée. […] ; qu’il est mesme en quelque façon contre la bien seance d’en toucher quelque chose, d’en rapeller le souvenir, & d’en salir son idée.
Quand le dessein principal serait de condamner la tyrannie, en faisant voir ses progrès toujours orageux, et sa fin ordinairement misérable, ces noires pratiques salissent toujours l’esprit des assistances ; elles y laissent les idées d’un mal, dont la passion se peut servir en mille rencontres, et qu’il était meilleur d’ignorer. […] Ce n’est pas un amour purement brutal et sensible, qui fait les grands désordres dans le monde ; c’est cet autre amour qui tient de l’esprit, qui se repaît de ses idées ; qui ne veut pour prix que des complaisances, qui se figure quelque choses de divin en son objet, et qui lui croit aussi rendre des respects fort innocents ; c’est cet amour qui met les soupirs au cœur, les larmes aux yeux, la pâleur sur le visage, qui occupe jour et nuit toutes les pensées, qui porte l’extravagance et à la fureur, et voilà l’amour que les plus chastes théâtres mettent dans les cœurs.
Rien n’est plus propre à développer dans nos ames les idées de justice, à fortifier le penchant qui nous porte à la vertu, que les honneurs qu’on lui rend sur la scene. […] L’habitude de juger les méchans sur la scene, éclaire & perfectionne nos idées de justice. […] Ces loix si vantées auroient dû inspirer à leurs observateurs les sentimens les plus nobles & les plus relevés de la véritable générosité, sans laquelle on n’a que des idées imparfaites de la justice. […] Vous avez de singulieres idées du prix attaché à la qualité d’honnête homme, pour vous croire permis d’en dépouiller aussi légerement, sur la foi d’un préjugé frivole, des gens dont la conduite avec vous paroissoit mériter un jugement plus favorable. […] L’empire de la raison & de la vertu s’accroît par l’aggrandissement du cercle de nos idées.
Par exemple, le petit peuple libertin et qui n’a aucun principe d’éducation, nulle idée de la bienséance, nul fonds pour fournir à un entretien agréable, ne connaît point d’autre ressource dans sa stérilité que de se jeter sur des ordures. […] Par exemple, quand il rapporte l’inceste d’Œdipe il enveloppe ce que cette idée a de choquant, il l’éloigne et la dépayse par des expressions métaphoriques. […] Ménélas et Hélène savent se modérer sur l’agréable surprise de se revoir après une longue absence :Helen. 277 leurs plus tendres expressions ne portent aucune mauvaise idée avec elles. […] N’est-ce pas composer des farces et non des Poèmes que de métamorphoser les caractères ou les défigurer par des couleurs étrangères à l’idée générale qu’en ont tous les hommes ? […] La poésie et la peinture ont également pour objet le mélange de l’utile avec l’agréable : mais le Poète et le Peintre doivent irrémissiblement se retrancher toute idée qui peut induire à un indigne plaisir : sans cela, ils renoncent à leur fin ; et tandis qu’ils plaisent à l’esprit, ils empoisonnent le cœur….
Ses idées furent diversement reçues du public ; on rendit justice à la sagesse de l’Auteur, mais on n’approuva pas généralement ses moyens de réformation, qui, à dire vrai, équivalent presque à une suppression entiere des spectacles.