Celui qui veut composer une Tragédie tâche d’être souvent au milieu des Grecs & des Romains ; il lit de nombreux volumes, il s’éfforce de faire connaissance avec les Héros qu’il prétend faire revivre : Les Auteurs de notre Opéra doivent à son imitation, chercher la compagnie des personnages qu’ils font agir. […] Le Poète Dramatique doit imiter les gestes, les actions de ses Héros. […] Les Auteurs de notre Spectacle imiteraient alors bien plus au naturelles Héros de leurs Drames.
Mais ce qui est plus déplorable, c’est que les Poètes sont maîtres des passions qu’ils traitent, mais ils ne le sont pas de celles qu’ils ont ainsi émues ; ils sont assurés de faire finir celles de leur Héros, et de leur Héroïne avec le cinquième acte, et que les Comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle, parce qu’il n’y a que leur mémoire qui s’en mêle. Mais le cœur ému par cette représentation n’a pas les mêmes bornes, il n’agit pas par mesures ; dès qu’il se trouve attiré par son objet, il s’y abandonne selon toute l’étendue de son inclination, et souvent après avoir résolu de ne pousser pas les passions plus avant que les Héros de la Comédie, il s’est trouvé bien loin de son compte ; l’esprit accoutumé à se nourrir de toutes les manières de traiter la galanterie n’étant plein que d’aventures agréables et surprenantes, de vers tendres,délicats et passionnés, fait que le cœur dévoué à tous ces sentiments n’est plus capable de retenue. […] Comme ces deux passions ne passent dans l’esprit de ceux qui ne se conduisent pas par les règles de l’Evangile, que pour de nobles maladies de l’âme, surtout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes : les Poètes se rendant d’abord les esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs Héros. […] Et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses Héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant pour nous délivrer de nos passions.
Jésuite eut été prophête, eût il traité de conversion le dévouement au Jansénisme qui termina la tumultueuse carriere de cette héroïne. […] La vie de cette niece, héroïne de roman, est une continuation de la comédie de son mariage. […] Avoir été la plus aimable personne du monde, & la plus aimée, porté les lys sur la tête, (je ne sai ce que c’est) & donné à la France des héros & des héroïnes, avoir eu tous les dons de l’esprit & du corps, avoir possédé de grands biens, &c. […] Le tempérament amoureux de ce héros étoit aussi connu que ses victoires. […] La Cour qui profite des foiblesses aussi-bien que des vertus des héros, la chargea de négocier la paix.
Croyez-vous en vérité, que la subtile contagion d’un mal dangereux demande toujours un objet grossier, ou que la convoitise soit corrigée ou ralentie par l’idée du mariage que vous lui mettez devant les yeux dans vos héros & vos héroïnes passionnés ? […] Ils sont assurés de faire finir celles de leur héros & de leur héroïne avec le cinquiéme acte, & que les comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle ; mais le cœur émû par cette représentation n’a pas les mêmes bornes, il n’agit pas par mesure : dès qu’il se trouve attiré par son objet, il s’y abandonne selon toute l’étendue de son inclination ; & souvent après avoir résolu de ne pousser pas les passions plus avant que le héros de la comédie, il s’est trouvé bien loin de son compte. […] Si c’étoit dans un homme à qui la dépravation de nos mœurs permît tout : mais non, c’est dans une femme dont on affecte de vanter la modestie, qu’on présente comme un modele de vertu, c’est dans une héroïne. […] Quelle différence entre vos divertissemens, & ceux de ces premiers héros du christianisme ! […] L’auteur, d’un trait de plume, modere, arrête un Héros à son gré ; mais le cœur une fois ému, ne reconnoît pas si aisément des bornes.
Les héros qu’on introduit sur la scène tragique, les simples citoyens qui parlent & qui agissent dans la comédie, ne paroissent-ils pas également asservis à cette passion impérieuse ? […] Et pourquoi affecte-t-on de mettre de tels discours dans la bouche de ces personnages qu’on nous représente d’ailleurs comme dignes de notre estime, sinon pour nous persuader que l’amour n’est pas aussi condamnable que l’Evangile veut nous le faire croire ; qu’il est ou un penchant légitime de la nature, ou tout au plus une foiblesse pardonnable, puisqu’enfin c’est celle des héros ? […] Jésus-Christ vous ordonne d’oublier les injures, de pardonner sincèrement à vos ennemis, de les aimer ; & vous applaudissez à un héros de théâtre qui vient se vanter d’avoir lavé dans le sang une insulte faite à sa gloire, & qui fait trophée de cette vengeance barbare. […] Le suicide est aux yeux de la raison comme à ceux de la religion une foiblesse & un crime : il est sur le théâtre un acte de magnanimité ; il est presque la fin ordinaire des héros malheureux. […] S’il est dangereux de se former l’idée de la vertu sur ces héros de l’antiquité payenne qu’on introduit sur la scène tragique, est-il plus sûr, mes Frères, de prendre pour règle de sa conduite & de ses mœurs les maximes qu’on débite dans cet autre spectacle, qui est destiné à représenter les actions les plus ordinaires de la vie ; je veux dire la comédie ?
On ne peut donc nier que les Comédies et les Romans ne soient contraires aux bonnes mœurs, puisqu'ils impriment une idée aimable d'une passion vicieuse, et qu'ils en font une qualité héroïque, n'y en ayant point qui paraisse davantage dans ces héros de théâtre et de roman.
Je pense qu’il leur est permis de mettre en action toute la vie de leurs personnages, de sorte que leurs Tragédies sont l’histoire détaillée de leur Héros ; car je ne crois pas qu’ils ayent de Comédies ; parce qu’une action comique ou la peinture d’un ridicule, ne sçaurait être d’une si grande étendue qu’une action purement tragique. Tous les Drames Chinois renferment donc un détail circonstancié des avantures & tous les discours du Héros qu’ils veulent représenter. […] Si vous voulez mettre de la galanterie dans vos Pièces, rendez votre Héros amoureux ; à la bonne heure ; vous travaillerez alors selon les règles. […] Tom-Jones n’est pas aussi repréhensible ; il n’a seulement que deux personnages sur lesquels roule particuliérement le fort de l’intrigue ; le prémier est le Héros de la Pièce, comme de juste ; le second, la belle Sophie.