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48. (1783) La vraie philosophie « La vraie philosophie » pp. 229-251

L’exemple de tant de prétendus héros qu’il a vus représentés sur le Théatre, & s’élancer au-delà des barrieres de la vie, ne se retrace-t-elle pas dans son imagination, & ne le portera-t-elle pas à cette fatale extrêmité ? […] Le monstre qui sert de héros, acheve ses forfaits, en jouit paisiblement : on ne rougit pas de lui faire dire, & je jouis en paix du prix de mes forfaits. […] on me représente, comme un héros, le plus grand scélérat ? […] Par-tout on n’y voit que des héros qui soupirent pour une jeune beauté, comme Rodrigue pour sa Chimène, Titus pour sa Bérénice ; qu’impudicité, que fornication, qu’adultere, qu’inceste, &c. […] Je connois les héros du parti, ils sont comme les femmes irritées qui veulent toujours avoir le dernier mot, je trouve dans la vérité confirmée par l’expérience de quoi me consoler ; pour avoir raison, il n’est pas nécessaire de crier le plus haut, & de forcer les autres à se taire.

49. (1768) Des Grands dans la Capitale [Des Causes du bonheur public] « Des Grands dans la Capitale. » pp. 354-367

Ce sang de tant de héros qui devoit bientôt animer une postérité florissante & nombreuse, va se perdre dans les lieux de la corruption & s’y engloutir pour jamais. […] hommes illustres, que vous sert d’admirer sur nos Théâtres, les fameux héros de la Grece & de Rome, si l’élevation de leurs sentiments n’a aucun pouvoir sur vos ames ? […] Polieucte donneroit des héros à la Religion ; Esther inspireroit l’amour du Très-haut ; Athalie attacheroit au sang du Trône ; la mort de Pompée, de César feroit déplorer les vicissitudes du sort, & détacheroit de la fortune.

50. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre IV. Des Personnages. » pp. 239-251

Je pense que la plus-part des Pièces ne tombent que parce que le caractère du principal Héros est manqué. […] Dans Electre, Tragédie d’Euripide, l’Héroïne est peinte avec de fortes couleurs, & de plus grandes touches que le reste des personnages, quoiqu’ils soient pourtant considérables par eux-mêmes, tels que Clitemnestre, Egiste, Oreste. […] Si l’on choisit des caractères qui diffèrent peu de ceux que nous offrent déja la Sçène, il faut s’appliquer à faire éprouver aux personnages ressemblans, des situations tout-à-fait nouvelles ; il faut rendre l’action & la marche du Drame entièrement opposées au Poème dont l’on copie le Héros.

51. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Huitième Lettre. De la même. » pp. 100-232

Il faudrait aussi, que, durant les Ballets, les Divertissemens, les Héros & les Héroïnes eussent une place moins ridicule qu’un banc, & où l’on ne pût leur parler des Loges voisines ; qu’on voulût bien les débarrasser d’eux-mêmes, ils ne savent souvent qu’en faire. […] Je concluerais donc : Qu’au Théâtre, le Paysan s’étaye de Proverbes, Ésope de Fables, un Pédant de Sentences : mais que l’homme ordinaire parle par sa conduite, que le Héros soit grand, juste, pieux, inébranlable ; c’est par des actions que les Héros instruisent *. […] La fierté naturelle à notre sexe se réveilla ; la passion insensée d’une héroïne imaginaire, empêcha l’étourdie de succomber à la sienne. […] On peut reprocher au grand Corneille, d’avoir fait ses Héros trop grands. […] Les Anciens avaient des Héros, & mettaient des hommes sur le Theâtre ; nous, au contraire, nous n’y mettons que des Héros, & à peine avons-nous des hommes.

52. (1772) Sermon sur les spectacles. Pour le Jeudi de la III. Semaine de Caresme [Sermons pour le Carême] « Sermon sur les spectacles » pp. 174-217

Alors, les Magistrats de la Grece punissoient un auteur comme un empoisonneur public pour avoir seulement altéré le caractere d’un héros par une intrigue de passion ; alors on vit le plus célebre Auteur d’Athènes condamné par un jugement solemnel pour avoir mis sur la scene un personnage d’impie qui parloit avec trop peu de respect de la Religion. […] Ensuite, quand vous entendrez les saintes Loix de l’Evangile, la pureté, l’austérité de sa morale combattues par tout ce que les maximes du monde ont de plus séducteur : vous entendrez ces héros de l’Antiquité, ces héros mêmes de la Religion traiter tout penchant de nécessité, de destinée invincible ; nommer devoir, appeler vertu, le désordre des sens & l’yvresse d’une ame qui s’y livre ; ce que la morale appelle crime, l’ériger en bonheur ! […] Admonentur quid facere possint ; quand les exemples des héros, leurs sentiments, leurs discours, leurs actions, leur bonheur, jusqu’à leur infortune, tout autorise la passion : Admonentur quid facere possint, & inflammantur libidine. […] L’auteur, d’un trait de plume, modere, arrête un héros à son gré ; mais le cœur une fois ému ne reconnoît pas si aisément des bornes. […] Et tout cela sur-tout mis en usage pour intéresser le spectateur à l’intrigue d’une passion, pour faire entrer dans l’ame du spectateur la folle passion du héros prétendu que l’on feint enflammé ; & tout cela mis sous les yeux, celui de tous les sens qui fait toujours les plus fortes impressions dans l’ame.

53. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre quatriéme. — Chapitre II. L’Exposition, le Nœud & le Dénouement. » pp. 183-210

Le principal Héros est souvent tranquille, tandis que les autres Acteurs ont quelque sujet de trouble. […] Une simple opposition de la part du Héros de la Pièce au dessein de sa femme, de sa fille ou de qui que ce soit, composera toute l’intrigue. […] Je conseille aux jeunes Poètes qui voudront éviter de tomber dans de pareilles fautes, de détacher du sujet de leur Drame tout ce qui pourrait lui nuire, & faire perdre un instant de vue l’action principale ; qu’ils ayent soin que les événemens se rapportent au Héros de la Pièce. […] La Tragédie intitulée La mort de César, avertit bien par son seul titre que le principal Héros doit mourir ; & cependant on est aussi surpris, aussi affligé de sa fin tragique, que si l’on n’eut jamais sçu ce qui devait lui arriver. On voit plusieurs fois de suite la même Pièce, & l’on sent toujours pour le Héros le même intérêt que si l’on apprenait pour la prémière fois son Histoire.

54. (1667) Traité de la comédie et des spectacles « Traité de la comédie et des spectacles » pp. 1-50

Les femmes ne négligent rien pour paraître belles : elles y réussissent quelquefois, et s'il y en a quelqu'une qui ne la soit pas, il ne faut pas s'en prendre à la Comédie, rien n'est plus contre son intention, puisqu'elle lui fait tenir la place d'une personne qui a été l'objet d'une passion violente, qu'une Comédienne sans beauté ne représente pas fidèlement: mais ce qui est de plus déplorable, c'est que les poètes sont maîtres des passions qu'ils traitent, mais ils ne le sont pas de celles qu'ils ont ainsi émues ; ils sont assurés de faire finir celles de leur Héros et de leur Héroïne avec le cinquième acte, et que les Comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle, parce qu'il n'y a que leur mémoire qui s'en mêle. Mais le cœur ému par cette représentation n'a pas les mêmes bornes, il n'agit pas par mesures : dès qu'il se trouve attiré par son objet, il s'y abandonne selon toute l'étendue de son inclination ; et souvent après avoir résolu de ne pousser pas les passions plus avant que les Héros de la Comédie, il s'est trouvé bien loin de son compte, l'esprit accoutumé à se nourrir de toutes les manières de traiter la galanterie n'étant plein que d'aventures agréables et surprenantes, de vers tendres, délicats et passionnés, fait que le cœur dévoué à tous ces sentiments n'est plus capable de retenue, et quand même ces effets, que je n'ose faire entrevoir ne s'ensuivraient pas, n'est-ce pas un terrible mal que cette idolâtrie que commet le cœur humain dans une violente passion, n'est-ce pas en quelque sens le plus grand péché qu'on puisse commettre ? […] Les poètes se rendant d'abord esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs Héros. […] Voilà la Religion Chrétienne, voilà quelle doit être l'application de ceux qui la professent, voilà la doctrine de l'Apôtre saint Paul, ou plutôt celle du Saint-Esprit: et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant, pour nous délivrer de nos passions.

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