L’utilité de la Comédie étant reconnue, ce seroit ici la place d’examiner quelle est la forme qui lui convient le mieux pour parvenir au but qu’elle se propose de corriger les mœurs ; si la Comédie grecque étoit plus proche de la perfection morale que la nôtre, en nommant les personnes vicieuses qu’elle exposoit à la satire publique ; enfin si l’exclusion des Actrices sur les Théâtres Grecs & Romains, n’étoit pas plus propre à laisser dans l’ame des Spectateurs des impressions de vertu dégagées de tout mêlange de volupté qu’on remporte presque nécessairement de nos Spectacles.
En quoi consiste le Plaisir de la Tragédie, & de la grande émotion que causoient les Tragédies Grecques. […] Et que ne doivent point perdre après tant de siecles, & devant nous les Tragédies Grecques, qui dépouillées de la magnificence de ces Représentations dont j’ai parlé, le sont encore de l’Harmonie d’une Déclamation, qui par la variété de la versification, devoit être une espece de Musique, & de leur véritable Musique, qui étoit celle de leurs Chœurs ? […] Les Poëtes ajustoient au Théâtre les Sujets pour les rendre plus terribles ; & la Religion contribuoit à les rendre vraisemblables : cette remarque est nécessaire pour bien entendre les Tragédies Grecques. […] Les meurtres, les incestes, les parricides étoient aux yeux des Grecs des évenemens ordonnés par les Dieux.
Des Spectacles des Grecs. O n peut reduire ce grand & presque infiny nombre de jeux ou de spectacles des Grecs, à deux especes principales.
Les Romains qui n’eurent jamais pour la Musique la même Passion que les Grecs, eurent enfin comme eux, une grande attention à l’harmonie de leur Langue. […] Il envioit aux Grecs ces mots qui paroissent inutiles, & qui servoient à rendre le nombre parfait, ces mots que dans Homere nos ignorans appellent des chevilles, & que Cicéron appelloit complementa numerorum. […] Nous ne comprenons pas non plus la prononciation des Anciens, lorsque nous entendons Quintilien se plaindre de ce que celle de sa Langue n’avoit pas la douceur de celle des Grecs, parce qu’elle avoit des lettres rudes. […] Il se plaint du B, du D, enfin des accens qui n’ont pas la même douceur que ceux des Grecs. Il envie aux Grecs deux lettres, qui répandent, dit-il, l’amenité dans un discours, hilarior renidet oratio, parce que rien n’est plus doux, nullæ dulcius spirant.
175 Le Préambule expose 1. la manière dont les Comédiens étaient regardés chez les Grecs & chez les Romains. […] Le néologisme consiste 1. dans quelques termes de l’Art théâtral très-nécessaires, qu’elle explique par les circonlocutions synonymiques, la première fois qu’ils sont employés ; 2. dans quelques verbes substitués à des auxiliaires, trop multipliés dans notre langue ; 3. dans les mots formés soit du Grec, soit du Latin. L’Auteur, qui ne fait pas assez de ces deux langues pour être une Savante, mais suffisamment pour entendre parfaitement la sienne, a puisé sans scrupule dans le langage de l’ancienne Rome ; au lieu que c’est malgré elle, qu’elle s’est vue obligée de recourir au Grec ; & je sais qu’elle regarde comme autant de barbarismes, tous les termes que nous en avons empruntés. […] Si l’on voulait donner au Théâtre plus de magnificence, au-lieu des trottoirs élevés, il conviendrait mieux, que l’on construisît autour de la Place, des portiques colonadés, dans le goût de ceux des Théâtres Grecs & Romains, qui prendraient tout l’emplacement qu’occupent aujourd’hui les maisons : l’on découvrirait le fleuve des deux côtés ; l’air serait en été plus frais & plus pur : l’isolement de l’Edifice donnerait la facilité d’y pratiquer des ventouses, des ventilateurs, & tous les moyens de purifier l’air & de rafraîchir usités en Italie.
Les Poètes Grecs qui se livraient à la Tragédie, n’avaient guères de sujets propres pour ce genre de Drame. […] Les Grecs croyaient sans doute, que les divers malheurs qu’éprouvèrent Œdipe & la maison d’Agamemnon, inspiraient plus de terreur & de surprise, qu’aucun trait d’Histoire qu’on aurait pu mettre au Théâtre. […] Si on ne sçaurait faire un pareil reproche aux Français, on a lieu de s’étonner qu’ils ayent été plus d’un siecle à ne représenter sur la Scène tragique que des Héros Grecs & Romains, sans considérer que leur propre Histoire offrait des sujets aussi frappans & plus dans leurs mœurs. L’éxemple des Grecs devait plutôt nous faire ouvrir les yeux : c’était toujours parmi eux qu’ils prenaient les actions de leurs Drames. […] Nous serions plus séduits, plus frappés du tableau des malheurs de nos Pères, que de la peinture d’un Grec ou d’un Romain, qui vivait deux mille ans avant nous, ou qui n’éxista peut-être jamais.
Si nos Acteurs & nos Actrices faisoient faire leurs habillemens sur le modele de ceux que nous ont conservé les antiques Statues, nous les trouverions aussi ridicules, que s’ils nous parloient entierement à la maniere des Grecs. […] On accuse Racine d’avoir passé les bornes de la vraisemblance dans ses peintures des Heros de l’Antiquité ; mais ce Poëte si sage a mieux aimé rendre ses Personnages un peu trop François, que de les laisser trop Grecs. […] Quand on s’apperçut que ces Piéces étoient monstrueuses, on en voulut faire de plus regulieres, & on y mit des Chœurs, pour pouvoir dire qu’elles étoient à la maniere des Grecs : mais cette maniere etoit bien ignorée des Poëtes qui travailloient alors. […] Si l’on en croit Gravina & Crescembeni, les Italiens ne connoissent dans ce Genre de rivaux que les Grecs : & pour confondre la jalousie des autres Nations, il leur suffit des Tragédies du Cardinal Delfino. […] Sont-elles capables de faire marcher leurs Auteurs de pair avec les Grecs ?