Elle les a toujours condamnées ; encore plus, si prenant la danse pour l’art des gestes, on veut faire de nos mystères une scène de pantomimes. […] Il prétend que c’est en général l’art des gestes. […] Un Prédicateur en chaire, un Avocat au barreau, un Acteur sur la scène, dansent, parce qu’ils font des gestes. […] La plupart des mouvemens du corps, des gestes, des attitudes, sont sans doute des signes des mouvemens de notre ame, & comme des traits du tableau, signes très-naturels qui échappent souvent sans qu’on y pense, & n’en sont que plus expressifs, signes moins arbitraires que les mots, qui sont différens dans toutes les langues ; au lieu que les gestes, par-tout les mêmes, sont entendus de tous les hommes, & même des animaux, qui fuient, viennent, craignent, caressent, selon qu’on les appelle ou les menace, qui ont eux-mêmes leurs gestes très-significatifs pour se faire entendre, & entr’eux, & des hommes. […] On a pu y mêler des gestes de toute espèce, & s’en servir pour caractériser certaines personnes, un paysan, un arlequin, une furie, &c. on y a joint des habits appropriés à leur caractère.
On feint les mœurs et les humeurs de toutes sortes de personnes, de toutes conditions, âges, voix, gestes, habits ; des maquereaux, des gardes, des parasites, des jeunes et vieux, des hommes et femmes. Et de cela ne fait-on pas seulement un récit de paroles, mais par imitations de gestes et postures diverses, afin que cela pénètre d’avantage. […] En outre, quelle corruption de mœurs, quel entretien d’actions honteuses, quel aliment des vices, d’être souillée des gestes histrioniques ? […] Qu’on y joue des pièces bien faites par de beaux esprits, auxquelles la voix et les gestes donnent la vie, par laquelle souvent les auditeurs et spectateurs sont détournés du mal, et portés au bien. […] Ce qui ne se fait pas par les acteurs mercenaires, qui mettent tout dehors sans antidote, et y ajoutent les gestes, les habits, et les charmes de la voix, pour mieux empoisonner les auditeurs.
Le Jeu, le Geste, toutes les Actions que les Modelemens * suggèrent à l’Acteur, doivent être aussi naturels, agréables, expressifs, que décens & honnêtes. […] La onzième, composée des Comédies-Farces, offre quelquefois un délassement agréable ; on peut la tolérer, en châtiant les indécences d’action, de geste & de discours, s’il s’en trouvait. […] Les Actrices n’auront point un geste à ressorts, le ton des Furies, les regards effarés, la démarche forcenée : on ne les verra point quitter la Scène dix fois de suite précisément avec un modulement pareil dans le ton, & le même déploiement dans le geste ; la nature sur un fond unique diversifie toujours les formes, & se fait une loi de la variété. […] Son jeu muet, un geste expressif, des mouvemens intelligens & sentis, font éprouver au Spectateur toutes les passions qu’elle veut exciter. […] C’est-à dire, le geste, les actions qui accompagnent la déclamation ; ou, l’Actricisme.
Le plaisir & la douleur en se fesant sentir à l’âme, ont donné au corps des mouvemens qui peignaient au dehors ces différentes impressions : c’est ce qu’on a nommé geste. Le chant si naturel à l’homme, en se dévelopant, a inspiré aux autres hommes qui en ont été frappés, des gestes relatifs aux différens sons dont ce chant était composé ; le corps alors s’est agité, les bras se sont ouverts ou fermés, les pieds ont formé des pas lents ou rapides, les traits du visage ont participé à ces mouvemens divers, tout le corps a répondu par des positions, des ébranlemens, des attitudes, aux sons dont l’oreille était affectée : ainsi le chant, qui était l’expression du sentiment, a fait développer une seconde expression qui était dans l’homme, qu’on a nommée Danse. On voit par ce peu de mots, que la voix & le geste ne sont pas plus naturels à l’homme que le chant & la danse ; & que l’un & l’autre sont pour ainsi dire les instrumens de deux arts auxquels ils ont donné lieu.
Et si quelqu’un nous oppose pour éluder la force du Canon du Concile d’Agde, que le Concile ne parle que des Danses, et des jeux qui sont immodestes et déshonnêtes, et qu’ainsi ces sortes d’exercices ne sont pas illicites à l’égard des Clercs, lorsqu’il ne s’y mêle rien de contraire à l’honnêteté, et à la modestie ; cette objection se détruit aisément par la considération sérieuse et attentive du vrai sens du Canon, qui ne comprend pas seulement les déshonnêtetés qui sont évidemment mortelles ; mais toute sorte d’actions, de gestes, et de mouvements trop libres, qui ne s’accordent point avec la retenue, et avec la sainteté des enfants de Dieu. Ces actions, ces gestes, et ces mouvements sont pourtant inséparables de la Danse, principalement, en la manière qu’elle se fait aujourd’hui.
car les Mimes exposent un adultère, ou le montrent aux yeux ; et ces Histrions efféminés inspirent l'amour qu'ils représentent, et se revêtant de l'image de vos Dieux, ils font honneur au crime qu'ils leur imputent ; et vous font pleurer par des mouvements de tête, et les gestes qu'ils emploient pour exprimer une douleur imaginaire. » Où nous ne voyons pas une parole qui concerne le Poème Dramatique. […] condamnés par nos Théologiens, qui conclurent que la turpitude du discours n'était pas moins condamnable que celle des gestes du corps.
Une piece de théatre bien représentée doit plaire aux sourds & aux aveugles, aux sourds par la beauté des gestes & la vérité du pantomime, aux aveugles par la beauté des paroles & le son agréable de la voix, & à ceux qui jouissent de la vue & de l’ouïe, par le parfait accord de ces deux choses qui sont faites l’une pour l’autre. M. le Sage, Auteur de bien des ouvrages où il y a du bon & du mauvais, devine sourd dans sa vieillesse, il alloit pourtant à la comédie, & y jugeoit des paroles par les gestes. […] Il prétendoit avoir tiré plus de lumiere pour l’art Dramatique, des mou vemens & des gestes des Acteurs, que de toutes les lectures, soit en voyant leur accord avec le discours qu’il se rappelloit, comme s’il eût entendu, soit en étant dérouté par la maladresse des Comédiens. […] L’art du geste a bien de l’étendue & des difficultés ; on peut en juger par le Traité de Quintilien dans ses Institutions oratoires, & de Sanleque dans son Poëme du geste. […] On peut se faire entendre sans gestes, un Pantomime sans paroles, mais on n’excite pas si aisément les passions, ou n’imprime pas des idées aussi vives & aussi promprement que quand on réunit ces deux langages.