Je pense qu'il souffrirait assez impatiemment dans les unes, ce qu'il respecte tant dans les autres, et que dès qu'il verrait cette sévérité tant vantée dans un sujet auquel il prendrait quelque intérêt, il reconnaîtrait bientôt ces fausses vertus pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire, pour des vices véritables.
Mais les cœurs des hommes sont si pervertis et si rebelles, qu'ils s'imaginent que le monde est dans une pleine félicité, lors que ceux qui l'habitent ne pensent qu'à orner et à embellir leurs maisons, et qu'ils ne prennent pas garde à la ruine de leurs âmes : qu'on bâtit des Théâtres magnifiques, et qu'on détruit les fondements des vertus : qu'on donne des louanges et des applaudissements à la fureur des Gladiateurs, et qu'on se moque des œuvres de miséricorde; lors que l'abondance des riches entretient la débauche des Comédiens, et que les pauvres manquent de ce qui leur est nécessaire pour l'entretien de leur vie ; lors que les impies décrient par leurs blasphèmes la doctrine de Dieu, qui par la voix de ses Prédicateurs crie contre cette infamie publique, pendant qu'on recherche de faux Dieux à l'honneur desquels on célèbre ces Spectacles du Théâtre, qui déshonorent et corrompent le corps et l'âme.
, « cela ne peut être vrai, qu’à l’égard de certaines qualités, qui ne sont pas tant un crime qu’un faux goût, qu’un sot entêtement, comme vous diriez, l’humeur des Prudes, des Précieuses, de ceux qui outrent les modes, qui s’érigent en Marquis, qui parlent incessamment de leur Noblesse ; car pour la galanterie criminelle, l’Envie, la Fourberie, l’Avarice, la Vanité, et choses semblables, on ne peut croire que le Comique leur ait fait beaucoup de mal.
Nous avons fait voir que cela est souvent faux, comme dans Phedre, Bajazet, Armide, Roland, &c. […] C’est d’où nous vient en sa faveur ce monstre de coquetterie, & ce métier faux & trompeur qu’on appelle galanterie.
Je réponds ; trouvez le moyen de lui faire manifester ses pensées, sans qu’il fasse une chose insolite ; le Drame doit peindre vrai, lorsqu’il est sérieux : si c’est une Pièce bouffonne, où les invraisemblances sont même une espèce de faux brillant qui peut la faire valoir, mettez-y des monologues à refrein, aussi ridicules que la scène des stances du Cid, & des A-parts de quatre vers. […] L’indécence d’expression n’est malheureusement que trop ordinaire dans nos anciennes Pièces les plus estimées : il faut absolument l’en bannir avant de les mettre dans la bouche des nouveaux Acteurs ; elle nous y révolterait : notre siècle a des yeux si perçans, qu’il faut même éviter les termes naïfs, qui peuvent avoir une double entente : il serait peut-être bien de braver une fausse délicatesse moderne, dans les Ouvrages ordinaires, destinés à n’être que lus ; mais sur le Théâtre, elle doit être respectée. […] Mais il faut ici distinguer : l’homme sans instruction ne pense que d’après les autres ; il en tire le plus de jugemens qu’il peut, pour s’éviter la peine de les former, par la comparaison & la réflexion : il est à présumer que comme les travaux corporels diminuent la faculté de combiner les idées, & que toute occupation fatiguante abrutit, l’homme de peine aime mieux avoir recours à sa mémoire, que d’exercer sa judiciaire ; il est ravi de trouver des formules toutes faites qui l’en dispensent ; ces formules, outre qu’elles sont universellement reçues, n’exposent pas son amour-propre ; vraies ou fausses, elles sont avouées, & foudroient celui contre qui on les lance. […] Que l’Opéra puise dans Homère, dans Virgile, dans Ovide, l’Arioste, le Tasse, Milton ; dans les Romans merveilleux, & jusques dans Dom Quichote ; il pourra même entreprendre avec succès, de représenter les prodiges opérés en faveur des Enfans d’Israel : mais qu’il ne touche pas à l’histoire ; qu’il ne prenne aucun sujet trop récent ; quelque prodigieux que soit un fait de la Loi nouvelle, il ne peut l’employer : il faut que le fond sur lequel il bâtit, ou soit faux, comme celui des Amadis, ou fabuleux, comme celui d’Atys, d’Isis ou de Psyché ; ou que le trait se perde dans la nuit des siècles écoulés ; tels sont les sujets de Jephté, de Samson, &c.
Voilà le mot de l’énigme, la jouissance ou l’espoir du plus grand plaisir physique ; voilà le théatre, voilà l’objet de tout l’amour qui y regne, le faux des apologies qu’on en fait.
Il ne fallut plus aux Romains, ou que des Spectacles de sang, ou que des Spectacles si licencieux, si impurs, que Julien l’Apostat défendit aux Prêtres de ses faux Dieux d’y assister.