Nous imiterons sa naïveté, Messieurs, non pas sa cruauté ; repaissant vos oreilles de la plus douce harmonie qui puisse sortir du sacré concert des plus excellents Poètes, et vos yeux des plus agréables feintes que l’invention Comique ou Tragique puisse trouver pour vous complaire, et vous témoigner que notre plus ardent désir est de vous contenter, et laisser une opinion dedans vos cœurs que nous ayons essayé tous les moyens de nous déclarer vos très humbles serviteurs.
Notre goût déterminé pour le léger, le vif, le badin, & nos mœurs mêmes, nous empêcheront toujours d’estimer fortement la Pastorale : des peintures si douces, si tranquilles, nous causent bientôt un ennui mortel, ou nous font rire à force d’être naturelles, comme il arriva dans la Bergère des Alpes du Théâtre Italien,(12) lorsque l’on vit deux Bergers boire du laid, ou manger de la bouillie. […] Leur vie est ordinairement douce & tranquille.
A ces périls muets et tranquilles, ajoutez le poison doux et insinuant des entretiens trop libres. […] De jeunes personnes qui se font un point d’honneur de plaire, et qui sont gagéesb pour exprimer de la manière la plus vive une passion ; des gens qui n’ont d’autre gloire que de se distinguer sur un théâtre, en inspirant la passion qu’ils expriment ; des voix douces et insinuantes, accompagnées de mille manières séduisantes, mêlées de paroles tendres, et de vers composés avec art, pour inspirer l’amour ; tout cet assemblage prodigieux de dispositions, et de choses, dont la moindre, prise séparément, est une tentation, ne sera tout au plus, au sentiment des mondains, qu’un amusement indifférent, un divertissement licite et innocent des gens du monde.
Après le plaisir d’apprendre & d’amuser la curiosité & l’inquiétude de notre esprit, sans allarmer sa paresse naturelle, se présente celui de sentir, ou pour parler avec plus de précision, celui d’éprouver une émotion douce & agréable. […] Il finit d’ailleurs ce trouble, cette agitation, cette anxiété, qui cause une douce torture à notre imagination par le nœud & l’intrigue de la piece ; c’est une espece de délivrance qui succéde heureusement aux douleurs de ce travail, &, si je l’ose dire, de cet enfantement d’esprit. […] Je n’ai pas besoin d’en expliquer ici la raison ; je l’ai marquée par avance, lorsque j’ai parlé en général du plaisir que notre imagination trouve à être remuée & à éprouver une agitation douce & agréable. […] J’ai déja assez développé l’effet de la premiere impression : je dirai donc seulement que si le plaisir de la seconde s’y joint, notre cœur agité de ces passions douces, que l’objet réveille par lui-même, & notre esprit frappé de la justesse de l’Imitation, applaudissent également à l’Art du Poëte, & goûtent ainsi deux plaisirs au lieu d’un. […] Ce sera à l’Auteur de les méditer, de les digérer, de les perfectionner ; & s’il veut en prendre la peine, ce qu’il y mettra du sien vaudra beaucoup mieux sans doute que tout ce que ma plume a tracé à la hâte & presque au hasard sur le papier, pendant que je maudissois mille fois cette douce mais dangereuse rêverie, qui a tant abusé de mon oisiveté, que je rougis presque d’être devenu prodigue pour le Théâtre, d’un temps que je n’y avois jamais perdu.
Gardez-vous, dit-il, de fixer vos regards sur la beauté, sur la parure des femmes ; le désir suivrait de près, et le crime serait commis dans le cœur : « Jam mœchatus est in corde. » Gardez-vous d’écouter les douces paroles ni de souffrir les caresses empoisonnées d’un femme de mauvaise vie ; elle porterait le poison et la mort dans votre cœur, bouchez vos oreilles avec des épines, pour échapper à ses pièges : « Aures spinis sapiendæ, ut illecebras sermonis excludas. » Ce détail suffirait pour anéantir les spectacles, où sont réunis tous les dangers du vice. […] J’ai couvert mon lit de fleurs, partout s’exhalent les plus douces odeurs, « domum meam cinnamomo » ; les ruisseaux d’essence coulent sur le pavé, « flagrat unguento humus ».
Qui peut enfin compter le nombre des victimes qu’elle condamne à périr dans les horreurs d’une captivité d’autant plus dure, et d’autant plus étrange, que partout on affiche avec plus d’ostentation les douces vertus de la philanthropie. […] En voyant refleurir ces tendres arbrisseaux dont elle attend un si doux ombrage, elle n’aura plus à redouter la sécheresse et l’aridité qui désolent aujourd’hui tant de portions de son champ, restées incultes ou désertes. […] C’est une consolation bien douce à son âme sensible de rappeler à la sainteté de ses engagements, un époux chagrin ou bizarre, que n’avaient pu désarmer les grâces d’un sexe dont la douceur et la beauté sont si souvent le moindre apanage. […] Le génie restaurateur qui plane maintenant sur toutes les parties de la France régénérée, nous en offrait depuis longtemps le doux espoir. […] Tant il est vrai que rien n’est plus calme et plus doux qu’un guerrier français après la victoire : soit pendant, soit après le combat, il est toujours au champ de l’honneur.
On n’en a apperçu que le germe ; c’est ce qui fait dire à Saint Evremont : « chez nous ce qui doit être tendre, n’est souvent que doux ; ce qui doit former la pitié, fait à peine la tendresse.