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30. (1691) Nouveaux essais de morale « XIV. » pp. 151-158

J’admirais ce prodigieux aveuglement dans des personnes d’ailleurs si éclairées, et je le regardais comme un triste exemple de la vanité de l’homme, lequel pour se faire un nom dans le monde pour se donner la réputation d’homme d’esprit, s’applique à des choses qu’il n’est permis ni de voir, ni de lire, au moins selon les Pères auxquels je m’en rapporte, et auxquels je crois que nous sommes obligés de nous en rapporter. […] Il est donc constamment vrai que nous n’aimons les grandes pièces qui nous représentent ces vertus Romaines (c’est-à-dire l’orgueil, la vengeance, l’ambition, l’amour, jusques, où l’imagination la plus outrée et la plus forcée les peut pousser) Car on s’abuse bien si on croit que les Romains étaient tels qu’on nous les dépeint sur les theatres : c’étaient des hommes, et les hommes naturellement ne pensent point tout ce qu’on leur fait dire. […] Je ne saurais croire que les Poètes ignorent tout cela, puisque leur dessein dans la composition des Comédies est de les rendre si vives et si touchantes, que l’imagination soit trompée et qu’elle croie assister à une action véritable, non pas à une représentation : Ils ne sauraient donc ignorer le mal que fait la Comédie, puisque c’est là tout leur but. […] Je ne suis point jaloux des applaudissements qu’on donne à ces Messieurs, j’admire leurs grands talents ; mais je les plains de les employer si malheureusement, qu’il faut renoncer à la Religion que nous professons, et à l’Evangile de Jésus-Christ, pour ne pas croire qu’il est fort à craindre que ce qui leur a attiré l’applaudissement des hommes, n’attire sur eux l’indignation de Dieu.

31. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VI. Des Actes ou des divisions nécessaires au Poème dramatique. » pp. 90-106

Pour moi, je crois que les Savans ont eu tort de trouver des divisions dans les Pièces Grecques ; ils ont appellés intervalles ce qui n’en fut jamais. […] Mais je ne crois pas que cette opinion soit recevable : l’intrigue peut aussi-bien contenir deux & trois Actes qu’un seul. […] Les Anciens nous en ont donné l’éxemple, du moins si nous en croyons le grand Corneille, qui paraît lui-même la conseiller à mots couverts. […] Les heures, il est vrai, sont des minutes au Théâtre ; mais la vraisemblance est blessée, lorsqu’on veut nous faire croire que ce qui n’a pu se pâsser que dans huit ou dix heures, s’est écoulé dans un instant, loin des yeux du Spectateur. […] Je ne crois pas que l’on puisse me demander maintenant, si l’on ferait bien de donner jusqu’à cinq Actes aux Opéras-Bouffons, ou à la Comédie-mêlée-d’Ariettes.

32. (1825) Des comédiens et du clergé « Des comédiens et du clergé. —  piété et bienfaisance d’un comédien.  » pp. 365-370

Cette dame se rendit à des offres si généreuses, et crut devoir, par reconnaissance, instruire son bienfaiteur des particularités de sa famille. […] Quelle joie pour cette malheureuse de trouver dans la femme de son bienfaiteur une nièce qu’elle croyait perdue ! Beauchâteau, qui n’avait cru faire du bien qu’à une étrangère, était enchanté d’obliger la tante de sa femme, et de lui avoir sauvé la vie. […] A douze ans, il donna un recueil de ses poésies ; quelque temps après, il fut en Angleterre ; on croit que de là il fit un voyage en Perse.

33. (1665) Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre « Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre » pp. 1-48

Et voyant qu’il choquait toute la Religion, et que tous les gens de bien lui seraient contraires, il a composé son Tartuffe, et a voulu rendre les dévots des ridicules ou des hypocrites : il a cru qu’il ne pouvait défendre ses maximes, qu’en faisant la Satire de ceux qui les pouvaient condamner. […]  : un Libertin qui séduit autant de filles qu’il en rencontre : un Enfant qui se moque de son Père, et qui souhaite sa mort : un Impie qui raille le Ciel, et qui se rit de ses foudres : un Athée qui réduit toute la Foi à deux et deux sont quatre, et quatre et quatre sont huit : un Extravagant qui raisonne grotesquement de Dieu, et qui par une chute affectée « casse le nez à ses argumentsj » : un Valet infâme fait au badinage de son Maître, dont toute la créance aboutit au Moine Bouru : « car pourvu que l’on croie le Moine Bouru, tout va bien, le reste n’est que Bagatellek » ; un Démon qui se mêle dans toutes les Scènes, et qui répand sur le Théâtre les plus noires fumées de l’Enfer : et enfin un Molière pire que tout cela, habillé en Sganarelle, qui se moque de Dieu et du Diable ; qui joue le Ciel et l’Enfer, qui souffle le chaud et le froid, qui confond la vertu et le vice : qui croit et ne croit pas, qui pleure et qui rit, qui reprend et qui approuve, qui est Censeur et Athée, qui est hypocrite et libertin, qui est homme et démon tout ensemble : « un Diable incarné Dans sa Requête. […] L’Athée se met au-dessus de toutes choses, et ne croit point de Dieu : l’Hypocrite garde les apparences, et au fond il ne croit rien : le Libertin a quelque sentiment de Dieu, mais il n’a point de respect pour ses ordres, ni de crainte pour ses foudres : et le malicieux raisonne faiblement, et traite avec bassesse et en ridicule les choses saintes : voilà ce qui compose la Pièce de Molière. Le Maître et le Valet jouent la Divinité différemment : le Maître attaque avec audace, et le Valet défend avec faiblesse : le Maître se moque du Ciel, et le Valet se rit du foudre qui le rend redoutable : le Maître porte son insolence jusqu’au Trône de Dieu, et le Valet donne du nez en terre, et devient camus avec son raisonnement : le Maître ne croit rien, et le Valet ne croit que le Moine Bouru : et Molière ne peut parer au juste reproche qu’on lui peut faire d’avoir mis la défense de la Religion dans la bouche d’un Valet impudent, d’avoir exposé la Foi à la risée publique, et donné à tous ses Auditeurs des Idées du Libertinage et de l’Athéisme, sans avoir eu soin d’en effacer les impressions. […] Mais le Foudre est un Foudre en peinture, qui n’offense point le Maître, et qui fait rire le Valet ; et je ne crois pas qu’il fût à propos, pour l’édification de l’Auditeur, de se gausser du châtiment de tant de crimes, ni qu’il y eût sujet à Sganarelle de railler en voyant son Maître foudroyé ; puisqu’il était complice de ses crimes, et le ministre de ses infâmes plaisirs.

34. (1666) Réponse à l'auteur de la lettre « letter » pp. 1-12

Croyez-vous que ce soit la même chose, et prenez-vous ainsi l’espèce pour le genre ? […] N’ont-ils pas toujours nommé la Comédie l’Art de charmer, et n’ont-ils pas cru, en lui donnant cette qualité, la mettre au-dessus de tous les Arts ? […] Est-ce que vous croyez que l’Auteur des lettres ne puisse prouver ce qu’il avance ? […] Vous croyez qu’il est invincible, et parce que vous n’en voyez point la réponse, vous ne pouvez concevoir qu’il y en ait. […] Je ne pense pas aussi que vous l’ayez dite pour la faire croire, mais seulement pour faire rire, et vous n’avez été trompé qu’en ce que vous croyiez qu’on rirait de l’histoire et qu’on ne rit que de celui qui l’a inventée.

35. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre IV. Si la Musique Française est plus agréable que la Musique Italienne. » pp. 287-291

La musique Française vaut beaucoup mieux que l’Italienne, parce qu’elle est plus simple & plus chantante, ainsi que je crois l’avoir démontré. […] Il est vrai que la plus-part des Musiciens font particulièrement l’éloge de la musique d’Italie ; je crois trouver dans leur conduite une nouvelle raison de soutenir mon sentiment. […] Au reste, la musique du Théâtre moderne est plus certaine de plaire que celle de l’Opéra-Sérieux ; ainsi que je crois l’avoir déjà remarqué. […] Je crois découvrir une nouvelle raison des succès actuels de la musique du nouveau genre, & de ceux que lui promet un heureux avenir.

36. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Quatrième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 28-32

En ouvrant ta Lettre, j’ai cru que ton mari, affichant le desordre, profitait de notre absence ; pour avouer publiquement une de ces Créatures dont le crime est l’état, que l’impudence annoblit, & dont les hommes mesurent la gloire, par l’atrocité du scandale qu’elles ont donné. Imagine avec quelle surprise, mêlée de joie, j’ai vu, en achevant de lire, que monsieur D’Alzan est un honnête-homme, qu’un goût passager a surpris ; qui se l’avoue, reconnaît ses torts, & cherche à intéresser à son retour vers toi jusqu’à la vanité de celle qui lui a trop plu… Elle veut s’immoler… Elle n’est donc pas… Tu as oublié de me la nommer : mais je la crois une Actrice. […] Il faut bien que sa vie honnête lui procure la plus précieuse des prérogatives, d’être le conservateur & le dieu tutelaire de sa famille ; avantage si grand aux yeux des hommes sensés, que monsieur Des Tianges ne croit faire son bonheur & le mien qu’autant qu’il en jouit. […] Oui, ma chère, dissimule : puisque tu connais ta Rivale, étudie-la, pénètre-la, copie-la, surpasse-la ; & crois que pour regagner entièrement un cœur sur le point de t’échapper, le moyen le plus sûr est de prendre les grâces de ton ennemie, de paraître plus aimable qu’elle : s’il est d’autres routes non moins sûres, il t’est permis de les suivre.

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