C’est pourquoi je ne puis supporter qu’on nous accoutume à regarder l’amour comme contraire à l’honneur, l’excuse du crime, et la source des plus noirs excès. […] Quel talent malheureux que celui de nous faire prendre intérêt aux crimes les plus atroces, et de nous faire courir à des monstres qui effrayent la nature ! […] Il me semble qu’il serait aussi naturel et plus touchant encore, que l’amour rappelât un criminel à la vertu, que d’entraîner dans le crime un cœur plein de candeur et d’innocence. […] Tout à coup l’objet change, ce n’est plus une conjuration, c’est une intrigue amoureuse ; sans à propos, sans vraisemblance, on met gratuitement sur le compte de l’amour les crimes de l’ambition ; et M. de Voltaire se résout à s’écarter d’une histoire connue en faveur d’une épisode qui détruit le fonds de son sujet. […] [NDA] Auguste veut se démettre de l’Empire ; Cinna l’en détourne ; il lui persuade de rester sur le trône, pour avoir le prétexte d’assassiner son bienfaiteur et son ami, et parvenir par l’atrocité de ce crime à plaire à sa Maîtresse.
C'est une manière d’agir dont les tartufes ne se peuvent défaire et qui passe pour un des plus grands crimes que l’on puisse commettre, puisqu’il est malaisé de rendre la réputation à ceux à qui on l’a une fois fait perdre, encore que ce soit injustement. […] Cependant, s’il faisait une peinture de leurs crimes, vous verriez que les empereurs les ont punis de même que le roi a récompensé Molière de son mérite. Il parle encore d’un philosophe qui se vantait que personne ne sortait chaste de sa leçon ; jugez de son crime par son insolence à le publier et si nous ne punirions pas plus rigoureusement que ceux qu’il nous cite un coupable qui se vanterait d’un tel crime. […] Si j’ose toutefois vous dire ma pensée, je crois que Dieu doit bien punir d’autres crimes avant que nous faire payer la peine de ceux qui se sont glissés dans les comédies, en cas qu’il y en ait. C'est une vengeance que les hypocrites et ceux qui accusent leur prochain ne verront jamais, puisque, leurs crimes étant infiniment plus grands que ceux-là, ils doivent les premiers sentir les effets de la colère d’un dieu vengeur.
Inspirer à l’Auditeur un grand éloignement pour le crime et pour toute sorte d’injustice. […] Je doute qu’ils eussent souffert à Racine d’employer tout son art à diminuer l’horreur naturelle que nous devons avoir du crime de Phèdre, je doute qu’ils lui eussent permis d’inspirer contre les bonnes mœurs au commun des spectateurs une sorte de compassion pour le sort malheureux de cette abominable créature. J’ai oui dire autrefois à feue Madame de la Fayette, que dans une conversation Racine soutint, qu’un bon Poète pouvait faire excuser les grands crimes, et même inspirer de la compassion pour les criminels, que Cicéron disait que l’on pouvait porter jusques là l’éloquence, et il ajouta qu’il ne faut que de la fécondité, de la justesse et de la délicatesse d’esprit pour diminuer tellement l’horreur des crimes ou de Médée, ou de Phèdre qu’on les rendrait aimables au spectateur au point de lui inspirer de la pitié pour leurs malheurs, tel est le pouvoir des bons Poètes et tel est la faiblesse de nos esprits qui ne sont point en garde contre les charmes de l’illusion ; or comme les assistants lui nièrent que cela fût possible et qu’on voulut même le tourner en ridicule sur sa thèse extraordinaire, le dépit qu’il en eut le fit résoudre à entreprendre Phèdre où il réussit si bien à faire plaindre ses malheurs, que le spectateur a plus de pitié de la criminelle que du vertueux Hippolyte. Or l’on m’avouera que c’est un mauvais emploi de l’art et de l’esprit par rapport à la société que de rendre les crimes et les criminels moins dignes d’horreur. […] Il est utile à la société de mettre les méchants, les injustes, les scélérats sur le théâtre, mais à condition que le Poète les peindra avec les traits et les couleurs qui peuvent exciter dans le spectateur l’horreur de l’injustice, de la méchanceté, de la scélératesse, et jamais avec des traits et des couleurs qui diminuent le crime en y déguisant le sentiment et les opinions des criminels : et serait-ce un projet digne d’un honnête homme et d’un bon citoyen d’employer beaucoup d’esprit à exciter des larmes pour le malheureux Cartouche ou pour le malheureux Nivet morts sur la roue, pour l’infâme Catilina détesté de tous les bons citoyens ?
L’histoire accuse une reine de France d’avoir vécu dans la plus infâme débauche ; on l’exhume, on la montre au public non seulement souillée de ses crimes ; mais usant des libertés poétiques, l’auteur la charge d’atrocités dont aucun monument historique ne fait mention. […] Je ne parlerai pas du ministre Marigny, légalement pendu au gibet de Montfaucon, c’est un accessoire qui passe inaperçu au milieu de tant de crimes. […] » Ce discours d’une atroce ironie, la victime pâle et sanglante, tout cela forme un tableau aussi horrible que repoussant, et quand un pareil spectacle n’aurait que le danger d’accoutumer le peuple au sang, et de le familiariser avec le crime, ne serait-ce pas un motif suffisant pour le condamner ? […] Si en développant aux yeux du peuple les suites funestes des passions, on ne l’en garantit pas par de saines maximes ; si en lui dévoilant le crime on ne l’exalte pas pour la vertu, la scène devient nécessairement vicieuse et corruptrice. […] Je ne puis m’empêcher de citer ici ce que le tragique le plus soumis aux sentiments de ses contemporains pensait du devoir des auteurs dramatiques envers le public ; en parlant de sa tragédie de Phèdre, Racine disait : « Les moindres fautes y sont sévèrement punies, la seule pensée du crime y est regardée avec autant d’horreur que le crime même.
C. ne veut pas dès Prédicateurs en brodequins qui ayent des mouches & du fard sur le visage ; la tragédie fait revivre les anciens crimes, on les tire de dessous le tombeau, on apprend à notre siècle des impuretés auxquelles il n’auroit peut-être jamais pensé ; l’on fait des exemples des crimes qui n’existent plus. […] Aldegonde, Jurieu, Claude n’étoient rien moins que des mysantropes ; il est vrai que les synodes des Protestans ont défendu le bal & les comédies, & ils n’avoient garde de ternir la gloire de leurs principaux chefs, en leur faisant un crime de leur indifférence pour le bal & la comédie ; mais les Dames ont droit de déraisonner, il faut tout pardonner aux grâces. […] Baile sur l’article Garasse convient de ces vérités, & c’est le crime qu’on impute aux Jésuites missionnaires à la Chine par rapport à Confucius malgré les déclarations de l’Empereur, que ce n’étoit qu’un culte civil & en usage sans conséquence. […] Ce seroit le renversement du théatre ; car le théatre doit son existence au vice, ne vit que d’impureté, enfante tous les crimes. Que deviendroit-il donc s’il n’avoit plus de Princes, des Magistrats pour le protéger & qui voudroit y aller, si le crime qui en est inséparable anéantissoit toutes les charges & toute l’autorité ?
Il nous est défendu d'être spectateurs des duels, de peur que nous ne devenions complices des meurtres qui s'y font: Nous n'osons pas assister aux autres Spectacles, de peur que nos yeux n'en soient souillés, et que nos oreilles ne soient remplies de vers profanes qu'on y récite; comme lors qu'on décrit les crimes, et les actions tragiques de Thyeste, et qu'on représente Terrée mangeant ses propres enfants; et il ne nous est pas permis d'entendre raconter les adultères des Dieux, et des hommes, que les Comédiens attirés par l'espoir du gain, célèbrent avec le plus d'agrément qu'il leur est possible: Mais Dieu nous garde, nous qui sommes Chrétiens, dans qui la modestie, la tempérance, et la continence doivent reluire, qui regardons comme seul légitime le Mariage avec une seule femme, nous chez qui la chasteté est honorée, qui fuyons l'injustice, qui bannissons le péché, qui exerçons la justice, dans qui la Loi de Dieu règne, qui pratiquons la véritable Religion, que la vérité gouverne, que la grâce garde, que la paix protégé, que la parole divine conduit, que la sagesse enseigne, que Jésus-Christ qui est la véritable vie régit, et que Dieu seul règle par l'empire qu'il a sur nous: Dieu nous garde, dis-je, de penser à de tels crimes, bien loin de les commettre. […] Outre cela les Comédies, et les Tragédies expriment tout ce qu'il y a de honteux dans l'histoire de vos Dieux: vous regardez avec plaisir le Soleil plaindre le malheur de son fils qui est tombé du Ciel; vous voyez sans rougir que Cybèle soupire pour un berger qui la méprise; vous souffrez que l'on représente tous les crimes de Jupiter, et que Paris juge le différent de Junon, de Minerve, et de Venus. […] Quelque bon et modéré que soit l'usage que les hommes peuvent faire des Spectacles, selon leur dignité, selon leur âge, ou même selon la condition de leur nature, néanmoins leur esprit n'est point si insensible qu'il ne soit agité de quelque passion secrète: nul ne reçoit de plaisir sans affection; et il n'y a point d'affection qui ne soit accompagnée de ces circonstances, qui l'excitent: Que si quelqu'un assiste à la Comédie sans affection et sans plaisir, il ne laisse pas d'être coupable du péché de vanité, allant en un lieu où il ne profite de rien; Or j'estime que la vanité ou l'occupation en des choses inutiles est un péché dont nous devons nous éloigner: Mais d'ailleurs celui qui assiste à la Comédie, ne se condamne-t-il pas lui-même, puis qu'en ce qu'il ne voudrait pas être semblable à ces Acteurs, il confesse qu'il les déteste: Quant à nous, il ne nous suffit pas de ne commettre rien de semblable; mais nous sommes encore obligés de ne point favoriser de notre consentement, et de notre approbation ceux qui commettent ces crimes: si vous voyez un larron, dit le Roi Prophète, Ps. 49. v. 18. […] Si les Tragédies et les Comédies sont des représentations de crimes et de passions déréglées, elles sont sanglantes, lascives, impies, et d'une dépense désordonnée, car la représentation d'un crime énorme, ou d'une chose honteuse n'est point meilleure que ce qu'elle représente: Comme il n'est point permis d'approuver un crime dans l'action qui le commet, il n'est pas aussi permis de l'approuver dans les paroles qui nous le font connaître. […] C'est une étrange ingratitude de n'estimer pas autant qu'il le faut, de ne vouloir pas même, connaître les abondantes et précieuses délices que Dieu vous a préparées : Qu'y a-t-il de plus aimable, et de plus propre à nous donner une extrême joie; que d'être réconciliés avec Dieu ; que d'être éclairés de sa vérité ; que de connaître les erreurs qui lui sont opposées ; que d'être assurés du pardon de tant de crimes que l'on a commis ?
Mais y a-t-il de crime plus énorme que le leur ? Ils se sont souillés du crime d'adultère, et après cela ils se jettent impudemment comme des chiens enragés sur la sainte Table. […] Et s'ils ne la peuvent pas surmonter, comment pourront-ils être exempts du crime d'adultère ? Et étant souillés de ce crime, comment pourront-ils entrer dans l'Eglise, et être reçus dans la Communion de cette sainte assemblée sans en avoir fait pénitence ? […] Comment donc êtes-vous innocent, puis que vous êtes coupable du crime des autres ?