Il est vrai qu’il faut une grande précaution et beaucoup de discernement pour faire le choix des passions et des vices dont on peut faire usage sur le Théâtre ; mais je ne conviens pas qu’on doive en bannir sans distinction toutes ces passions et tous ces vices qui peuvent être dangereux sur la Scène. […] Je conviens qu’il y a des passions et des vices qu’il serait pernicieux d’exposer aux yeux de la jeunesse, et dont il serait à souhaiter qu’elle ignorât même le nom. […] En effet tous les hommes, dans quelqu’état qu’ils soient, à tout âge, de tout rangs et de tous caractères sont sujets à la passion d’amour : cette vérité reconnue fait que les Poètes se croient autorisés dans l’usage où ils sont de l’établir comme le fondement, et comme la seule passion qui doit régner sur la Scène ; les Spectateurs en conviennent, et voilà pourquoi elle y domine impérieusement, tant dans les intrigues que dans les caractères.
Or, il arrive quelquefois que les Auteurs au lieu de copier la nature la défigurent : et de l’autre côté que les Acteurs la font tellement grimacer que le Spectateur qui la cherche ne peut la reconnaître ; Mais lorsqu’un Auteur est parvenu à bien peindre la nature et que les Acteurs récitent la Pièce dans son véritable ton, en sorte que l’esprit séduit agréablement, prenne la fiction pour la vérité même : alors on est obligé de convenir qu’une représentation Théâtrale est un amusement supérieur à tout autre Spectacle public tel qu’il puisse être, parce qu’en satisfaisant les yeux, il intéresse le cœur et l’esprit. […] Voilà trois Spectateurs agités de trois différentes passions : et je conviens que leur agitation subsistera pendant quelque temps en se calmant successivement et peu à peu ; mais après deux ou trois heures au plus, tous ces mouvements s’apaiseront et la tranquillité reviendra aussi parfaite qu’elle était avant qu’ils allassent au Théâtre ; par malheur la même chose n’arrivera pas à ceux qui auront été vivement agités et touchés de la malheureuse catastrophe de la tendre passion que Chimène et Rodrigue ressentent l’un pour l’autre. […] Je crois donc qu’il faut convenir que si le Théâtre excite toutes les passions, jamais, ou rarement du moins, il parvient à en déraciner quelqu’une ; et comme la passion de l’amour est la plus dangereuse, parce qu’elle est la plus séduisante, je crois qu’il est absolument nécessaire de réformer le Théâtre en ce point, comme je l’ai dit tant de fois, et comme je me flatte même de l’avoir prouvé.
Le manifeste du Prince d’Orange est assez bien écrit : il y a des endroits qui sont assez spécieux, d’autres faibles, et quelques-uns qui ne conviennent pas à la personne qui parle. […] Je ne m’érige point en Juge de la querelle des deux Religieux : il ne convient point à deux personnes d’un même ordre de se quereller en public.
Or il faut avouer de bonne foi que la Comédie moderne est exempte d'idolâtrie et de superstition: mais il faut qu'on convienne aussi qu'elle n'est pas exempte d'impureté ; qu'au contraire cette honnêteté apparente, qui avait été depuis quelques années le prétexte des approbations mal fondées qu'on donnait à la Comédie, commence présentement à céder à une immodestie ouverte et sans ménagement, et qu'il n'y a rien par exemple de plus scandaleux que la cinquième Scène du second Acte de l'Ecole des Femmes, qui est une des plus nouvelles Comédies. Il faut qu'on convienne encore que, si l'idolâtrie et la superstition en sont bannies, l'impiété leur a succédé. […] en elle-même, elle ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient pas à ceux qui font profession du Christianisme.
On convient, répliquera peut-être quelqu’un, (car il faut être de bonne foi) on convient que la concupiscence est mauvaise ; que loin de l’entretenir, il en faut réprimer les faillies ; que la réprésentation des passions illégitimes ne peut que les exciter ; mais qu’est-ce que cela conclut contre le Théâtre ?
Ce principe nous conduit donc naturellement à reconnoître l’utilité de la Comédie, & à convenir que ce genre d’instruction est plus propre que tout autre à corriger les hommes. L’utilité de la Comédie étant reconnue, ce seroit ici la place d’examiner quelle est la forme qui lui convient le mieux pour parvenir au but qu’elle se propose de corriger les mœurs ; si la Comédie grecque étoit plus proche de la perfection morale que la nôtre, en nommant les personnes vicieuses qu’elle exposoit à la satire publique ; enfin si l’exclusion des Actrices sur les Théâtres Grecs & Romains, n’étoit pas plus propre à laisser dans l’ame des Spectateurs des impressions de vertu dégagées de tout mêlange de volupté qu’on remporte presque nécessairement de nos Spectacles.
Ainsi donc, quoique je convienne de la grande différence qui se trouve entre les Spectacles modernes et les anciens, surtout du côté de l’intention, je me sens forcé d’avouer qu’ils ne cessent pas de se ressembler beaucoup, tant par la qualité du jeu, que par les motifs de l’action. […] Je conviens qu’ils n’ont pas la même forme ; qu’ils sont destitués de l’appareil majestueux des Théâtres, des Cirques et des Amphithéâtres ; et c’est peut-être ce qui empêche qu’on ne les reconnaisse : mais, si ces magnifiques monuments, dont nous avons encore de si beaux restes, étaient rétablis, et si on en bâtissait d’autres sur leur modèle, on serait forcé de convenir que les Spectacles, en passant des Payens aux Chrétiens, n’ont fait que changer de nom.