469, le naturel est plus grave, les Acteurs sont plus modestes, on n’y connoît point les farces, & le Magistrat a tellement l’œil à ces débats, que ceux qui y disent ou font des choses contraires à la pudeur, sont séverement châtiés. […] L’adultere n’est-il pas lui-même, un vol, une injustice, aussi contraire à la probité que le vol de 50000 écus ? […] Elle a joint, dit-il, une modeste gravité à une douceur majestueuse, qui donne à même temps du respect & du désir, dont l’un attire & l’autre retire, d’un côté fait souhaiter, de l’autre désespérer (Ce style galant, très-fréquent dans les livres innombrables de cet Evêque, fort pieux, mais singulier, a paru prouver qu’il étoit un des délibérans du projet de Bourgfontaine, & un des exécuteurs : preuve légère d’un fait aussi grave & aussi contraire à la vie, aux sentimens, aux écrits de M. le Camus).
Que dans une occasion involontaire & inévitable on compte sur la grace de Dieu, & on espère la victoire ; mais que sans nécessité, volontairement, pour son plaisir, contre les défenses de l’Eglise, l’autorité de tous les Pères, l’expérience de tout le monde, on se jette dans le péril le plus grand & le plus certain, on se croie en sûreté, on se dise innocent, on se flatte qu’il n’échappe ni désir, ni regard, ni parole, ni pensée contraire à la vertu, que la chair & les sens, le démon & le monde seront toujours vaincus, est-ce connoître le cœur humain, & se connoître soi-même ? […] Thomas, contre les fausses interprétations que le relâchement lui a données, & après avoir démontré combien les spectacles sont contraires aux divines Ecritures, combien ils sont dangereux en effet, & dans le sujet des pieces, & dans la maniere de les représenter, dans les Actrices, les danses, les masques, vices communs à tous les théatres, qui rendent même la scène moderne plus obscène que les scènes Grecque & Romaine, malgré le voile de l’équivoque dont on la couvre, & le mariage qui est le dénouement de l’intrigue, il conclud que les Acteurs & les Actrices sont dans un état de péché mortel & de damnation. […] S’ils n’ont rien éprouvé de criminel au spectacle, c’est une ignorance, un aveuglement volontaire & inexcusable, contraire au sentiment de tout le monde & à leur propre conscience, une punition redoutable ; que la tolérance des Princes n’excuse pas devant Dieu ceux qui y vont ; que le projet de réformer le théatre, proposé par Muratori & par Riccoboni, est une chimère ; que le théatre ne sert de rien pour corriger les mœurs ni des Princes ni des particuliers, & ne travaille point en effet à les réformer ; qu’il ne produit d’ailleurs aucun bien, qu’il n’attire point les étrangers, n’enrichit point l’Etat, n’empêche aucun autre crime, n’est point nécessaire au divertissement du public, nuit au contraire à tout ; & fait les plus grands maux ; que si quelques Casuistes ont été plus indulgens, ils sont très-répréhensibles ; que leur opinion même, bien appréciée, n’est pas si favorable qu’on pense, & réduit presque à rien la liberté qu’on prétend se donner ; qu’ils ont contr’eux les plus grands hommes, dont le suffrage est bien préférable, le Pape Benoît XIV, le Cardinal Bellarmin, Bossuet, Jacques Pignatelli, Mariana, &c.
Si la Pièce est sage, instructive, comme le Misanthrope, le Menteur &c. en elle-même, elle doit corriger, épurer les mœurs : Si l’Acteur, si l’Actrice ont un autre but que de seconder le but du Drame ; si l’envie de plaire, de séduire leur fait chercher à réveiller dans les sens une volupté dangereuse ; si leur conduite expose à la dérision les maximes que le Poète met dans leur bouche, c’est alors l’Histrionisme qui devient contraire aux mœurs ; c’est lui qui ne peut manquer de vicier & d’anéantir l’effet naturel qui devait suivre le Drame ; non que ce soit un inconvénient réel, que la plupart des Spectateurs se trouvent attirés aux représentations dramatiques par le plaisir que donne le jeu de tel Acteur ou de telle Actrice ; cet attrait non-seulement augmente leur nombre, mais contribue infiniment à leur faire goûter la morale & les leçons : cependant s’il est nécessaire que l’attente ne soit pas trompée, & qu’on trouve ce genre de plaisir à nos Théâtres, il est clair en même-temps qu’une Pièce est bien imparfaite, & loin du but où doit tendre la bonne Comédie, lorsque son Auteur, sacrifiant le principal à l’accessoire, n’a cherché qu’à donner le plaisir résultant de la Représentation : la Pièce est dangereuse, lorsqu’elle nous divertit par des scélératesses* dans le Drame ; elle est inadmissible, lorsqu’elle ne plaît que par la volupté qu’y réveillent à chaque mot les mines provoquantes de l’Actrice, ou le jeu libre & sémillant de l’Acteur. […] Nulle puissance humaine ne peut obliger les hommes à observer une loi, qui aura plus d’inconvéniens que d’utilité ; ou, si l’on veut, qui serait en sa majeure partie, contraire aux intérêts de ceux qu’elle doit régir. […] Mais, diront les Misomimes, prétendez-vous que des Baladins… Je ne veux rien qui soit contraire à la plus exacte décence : j’ai prévu vos objections ; elles m’ont paru si fortes, que je n’ai pas cru qu’on pût les lever autrement, qu’en traçant une route toute nouvelle.
Les Spectateurs ne la demanderont jamais : ils sont persuadés, surtout à Paris, que la Scène n’a plus rien de contraire aux bonnes mœurs, ni à la saine morale, depuis qu’on en a retranché et qu’on n’y souffre plus les grossièretés ; et la plus commune opinion des hommes est que, parmi les amusements qui sont permis ou tolérés, celui du Théâtre doit être regardé comme le plus innocent.
on dirait sûrement que l’Auteur fait le contraire de ce qu’il doit faire : qu’il ne sait pas son métier, puisqu’il va contre les règles de la raison et du bon sens : qu’il blesse les bonnes mœurs, loin de les faire respecter : qu’il mérite d’être regardé comme un séducteur qui approuve le vice, en confirmant le vicieux dans le mal par le succès, enfin qu’il faut le bannir comme un ennemi de la République.
Si nous étions dans l’obscurité sur cet article, et qu’il prit envie à quelqu’un de soutenir que le Théâtre, dans ses commencements, a été tel que nous le voyons dans les deux Poètes qui viennent d’être nommés ; tout le monde se révolterait contre un sentiment si contraire à l’expérience, qui nous apprend que le pathétique et le sublime, tels qu’on les trouve dans Sophocle et dans Euripide, ne peuvent être des coups d’essai de l’esprit humain.
Comparez les temps et jugez ; vous verrez que plusieurs genres de tartufes ont disparu, à la vérité ; mais parce que les vertus qu’il affectaient ont disparu elles-mêmes, ou perdu leur considération après avoir été prostituées dans des portraits scéniques, où tous les excès monstrueux de l’hypocrisie ont frappé si fortement les esprits, ont fait tant de honte, excité tant d’horreur que pour éviter le reproche et même le soupçon d’hypocrisie, on s’en est éloigné jusqu’aux excès contraires, c’est-à-dire jusqu’à préférer l’évidence des désordres, la nudité des vices, ainsi que je l’ai déduit dans la première partie de cet ouvrage. […] Concluez donc avec moi qu’il faut que l’envie ou le besoin de rire ait bien du pouvoir sur les hommes pour les porter si obstinément, malgré l’épreuve du contraire qui les accable, à regarder comme propre à corriger les mœurs le moyen le plus puissant de tourner toutes les vertus en ridicule, de tout corrompre ! […] et l’on doit sentir parfaitement enfin que, dans tous les intérêts, il est temps de mettre quelque frein à toutes ces mascarades des vices déguisés en vertus, courant les théâtres pour se faire voir et bafouer par le peuple convoqué ad se invicem castigandum ridendo ; et ce peuple érigé en tribunal de mœurs, je développe l’observation que j’en ai faite, est rassemblé confusément et en toutes dispositions, c’est-à-dire comprenant avec leurs passions, leurs goûts, leurs vices, leurs préjugés différents, leurs opinions, leurs systèmes et préventions diverses, tous les rangs, tous les états, tous les âges, les deux sexes, les amis, les ennemis, les parents, les enfants, les régnicoles, les étrangers, les clercs et les laïcs, les disciples de toutes les religions, pour les mettre alternativement aux prises ensemble, ou pour livrer ceux-ci à la risée de ceux-là, et vice versâ, afin de les corriger tous, les uns par les autres au moyen d’impressions ou mouvements intérieurs si divers, si brouillés, et du conflit bizarre de tant d’éléments contraires ; c’est presque à dire, afin de les entre-choquer de telle manière que le monde moral sorte tout façonné de ce nouveau chaos, ainsi que Descartes fait sortir le monde physique de ses tourbillons. […] Voilà pourquoi les institutions légalement ou dûment constituées, purement et directement répressives, n’ont été occupées depuis si long-temps, sans pouvoir y suffire, qu’à arrêter les désordres produits par une école discordante, dont les maîtres marchent en sens contraire des autres.