Voilà ce que comprirent en peu de tems les Grecs, & ce que les autres Nations ont eu tant de peine à comprendre.
L’Abbé de Rancé6, embarrassé de ce reproche, ne pouvait comprendre « qu’une chose si mauvaise (il parlait de l’Opéra) fût appuyée d’une si grande autorité ». […] Mais le Cid, Athalie, Esther, Polyeucte, etc. seront-ils donc compris dans cet anathème rigoureux ? Vous venez de voir que, suivant la pensée de Riccoboni, les sentiments les plus corrects changent de nature en passant par la bouche des Acteurs : bien entendu qu’il y comprend aussi les Actrices, à qui il nous apprend13 qu’Innocent XI défendit de monter jamais sur aucun Théâtre ; c’est nous dire assez qu’à Rome on est sur cet article plus sévère qu’en France. […] Bien loin de là ; un moment après cet usage barbare va devenir un pur préjugé ; non pas un de ces préjugés sans conséquence, sur lesquels il y aurait peut-être de la pédanterie de trop fortement appuyer, mais un préjugé sans doute précieux, puisque vous le comprenez parmi ceux qu’on doit respecter.
Sans doute, si le spectacle était ce que le font en chaire ces jeunes écervelés de séminaire, ces prêtres ignorants et fanatiques qui parlent de tout en maîtres, et qui ne savent rien, pas même leur langue à l’étude de laquelle ils préfèrent une théologie sophistique et barbare que ni eux, ni leurs maîtres ne comprennent ; si le spectacle, dis-je, était ce que le font ces hommes absurdes, il faudrait le défendre ; il serait alors tout aussi dangereux que lorsque le curé de Metz montait sur les tréteauxc ; que le cardinal Lemoine achetait l’hôtel de Bourgogne pour le donner aux comédiens Français ; que le cardinal de Richelieu reprochait aux bouffons de cet hôtel de n’être point assez gais dans leurs rôles ; et qu’enfin l’abbé Perrin avait la direction de l’Opérad. […] l’avez-vous bien comprise ? et si vous l’avez bien comprise, l’appliquez-vous de bonne foi ?
« Pour comprendre combien les spectacles sont opposés au christianisme dans leur nature, il faut considérer ce que c’est qu’un chrétien, et ce que c’est que le spectacle lui-même, et l’on verra facilement combien l’un est indigne de l’autre. […] « Or, pour savoir si cette idée peut s’allier avec celles des spectacles, il suffit d’examiner ce que c’est que le spectacle ; il suffit de remarquer, avec Tertullien, que c’est une assemblée d’hommes mercenaires, qui, ayant pour but de divertir les autres, abusent des dons du Seigneur, pour y réussir, excitent en eux-mêmes les passions autant qu’ils le peuvent, pour les exprimer avec plus de force : il suffit de penser, avec saint Augustin, que c’est une déclamation indécente d’une pièce profane, où le vice est toujours excusé, où le plaisir est toujours justifié, où la pudeur est toujours offensée, dont les expressions cachent le plus souvent des obscénités, dont les maximes tendent toujours au vice et à la corruption, dont les sentiments ne respirent que langueur et mollesse, et où tout cela est animé par des airs qui, étant assortis à la corruption du cœur, ne sont propres qu’à l’entretenir et à la fortifier : il suffit de comprendre que c’est un tableau vivant des crimes passés, où on en diminue l’horreur par la manière de les peindre : il suffit de considérer, avec tous les saints docteurs, que le théâtre est un amas d’objets séduisants, d’immodesties criantes, de regards indécents, de discours impies, animés toutefois par des décorations pompeuses, par des habits somptueux, par des voix insinuantes, par des sons efféminés, par des enchantements diaboliques. […] « Pour bien comprendre ce que nous venons d’avancer, il ne faut que considérer quelles impressions font sur l’âme les images les moins animées par elles-mêmes, et quel est le sentiment naturel qui accompagne la lecture d’un événement profane, la vue d’une peinture immodeste ou d’une statue indécente : si ces objets, tout inanimés qu’ils sont, se retracent naturellement à l’esprit, si on ne peut même en sentir toute la beauté et toute la force sans entrer dans la pensée de l’auteur ou dans l’idée du peintre, quelle impression ne font pas les spectacles, où ce ne sont pas des personnages morts ou des figures muettes qui agissent, mais des personnages animés, qui parlent aux oreilles, qui, trouvant dans les cœurs une sensibilité qui répond aux mouvements qu’ils ont tâché d’y produire, jettent toute une assemblée dans la langueur et la font brûler des flammes les plus impures !
[NDE] Comprendre « ormai ».
[NDE] « fia mi consume » comprendre « mi faccia consumare (bruciare) ».
Ainsi la censure de toute personne attachée au Théâtre étant bien réelle, comme je l’ai fait voir, la Comédie Francoise s’y trouve nécessairement comprise. […] Il ne comprend pas en quoi cette troupe académique a pû mériter l’indignation des Pasteurs : ceux-ci ont grand tort de défendre un amusement qui lui paroît très-honnête.