La France autant qu’aucune autre nation a produit des hommes célebres dans les sciences abstraites & épineuses, telle que les mathématiques & la métaphysique : beaucoup d’excellens ouvrages sur la morale, la politique, la juris-prudence ont été aussi applaudis que le sont quelquefois de jolis romans qui vivent quelques mois : l’obstacle à la perfection de la Comédie qui semble naître de l’inclination des François pour la frivolité, vient bien moins d’eux que de l’imprudence des Auteurs qui se sont attachés à flatter cette inclination, au-lieu qu’ils auroient dû travailler à l’affoiblir. […] On peut donc dire que la Comédie n’a eu jusqu’ici parmi nous que le droit de se saisir de quelques défauts particuliers de peu de conséquence, dont le plus grand nombre des hommes est exempt, ou auxquels il n’est que médiocrement attaché, & qu’au-contraire elle a passé sous silence ceux qu’elle devoit combattre de toute sa force, & qu’il étoit le plus important de déraciner.
Tel est le malheur attaché à la Poésie, cet Art si dangereux, dont l’Histoire est beaucoup plus la liste des fautes célèbres & des regrets tardifs, que celle des succès sans honte & de la gloire sans remords : tel est l’écueil presque inévitable, sur-tout dans les délires de la jeunesse ; on se laisse entraîner à établir des principes qu’on n’a point ; un vers brillant décide d’une maxime hardie, scandaleuse, extravagante : l’idée est téméraire, le trait est impie, n’importe, le vers est heureux, sonore, éblouissant, on ne peut le sacrifier, on ne veut que briller, on parle contre ce qu’on croit, & la vanité des mots l’emporte sur la vérité des choses. L’Impression ayant donné quelque existence à de foibles productions auxquelles j’attache fort peu de valeur, je me crois obligé d’en publier une Edition très corrigée, où je ne conserverai rien qui ne puisse être soumis à la lumière de la Religion & à la sévérité de ses regards.
Ce qui doit résulter delà, c’est qu’ils sont au moins suspects, & puisque ceux qui soûtiennent, que l’innocence y est blessée sont du reste les plus réglez dans leur conduite, & plus attachez à leurs devoirs, les plus versez dans la science des voyes de Dieu, n’est-il pas plus sûr & plus sage que je m’en raporte à eux, & que je ne risque pas si legerement mon salut ? […] Ils m’aprendroient que dans l’estime commune des fideles on ne croyoit pas pouvoir garder le serment & la promesse de son Baptême, tandis qu’on demeuroit attaché à ces frivoles passe-temps du siecle.
Ne sont-ils pas trop intéressés à se prêter au goût des spectateurs pour qu’ils ne travaillent pas de la manière la plus propre à se concilier leurs suffrages, pour qu’ils n’emploient pas toute leur imagination à séduire l’imagination des autres hommes, au lieu de s’attacher à éclairer leur raison, pour que leur goût le plus ordinaire ne soit pas le goût du vice bien plus que celui de la vertuai ? […] Cette intention ne garantit pas des mauvais effets des passions qui triomphent sur le théâtre ; c’est toujours le cœur qui prend le plus de part aux spectacles ; il en est même pour cette raison le premier juge, puisque ce n’est que relativement à l’émotion qu’on y éprouve, qu’on applaudit plus ou moins à la représentation, si on se sent plus fortement ému par le vif intérêt que l’on prend à l’action ; si on se sent transporté sur le lieu de la scène, et comme dans la situation du personnage qui nous attache le plus ; si on l’entend parler, et si on le voit agir comme on parlerait et comme on agirait soi-même, étant animé de la même passion : alors le cœur prononce que le poète et les acteurs ont bien réussi à intéresser les spectateurs.
La fin du Poème dramatique est de porter à la vertu et d’éloigner du vice ; c’est de montrer l’inconstance des grandeurs humaines, les revers imprévus de la fortune, les suites malheureuses de la violence et de l’injustice ; c’est de mettre en jour les chimères de l’orgueil et les boutades du caprice, de répandre du mépris sur l’extravagance, et du ridicule sur l’imposture ; c’est en un mot d’attacher à tout ce qui est mal, une idée de honte et d’horreur.
Afin de pouvoir plus aisément mépriser la vie, ils rompent insensiblement les liens, qui nous attachent le plus. […] On a vu en effet, que ceux d’entre les chrétiens, qui se sont longtemps attachés à ces divertissements, ont témoigné une peine extrême à mourir pour Jésus-Christ. […] Le Préteur tarde trop à venir… chacun a les yeux continuellement attachés à l’urne : on dirait que les spectateurs s’y remuent avec les sorts…. […] Est-il facile d’apprendre les règles de la pudeur, pendant qu’on tient les yeux attachés aux infâmes postures d’un comédien ? […] Ayez moins d’égard au plaisir de la bouche, qu’au danger, qui est infailliblement attaché à ce plaisir.
Je me suis attaché particulièrement aux Pièces qu’ils nous ont donné, parce que la réputation dont elles jouissent, les beautés qu’on y admirait, en rendaient les défauts plus dangereux, & mettaient ces mêmes défauts dans le cas de trop séduire les jeunes Poètes.