Le Poète est-il pardonnable de prostituer ainsi son pinceau, en exposant le vice paré des mêmes couleurs que la vertu ? […] le vice fait-il moins d’impression que la vertu ? […] Vice et vertu, tout est chez lui sur la même ligne ; tout lui est égal, pourvu qu’il s’amuse ; religion, mœurs, gouvernement, rien ne l’arrête, rien n’est sacré pour lui que son plaisir. […] A quel titre donc, par un privilège exclusif, attribuer au Corps du Clergé des vices communs à tout le monde, et qui communément ne sont dans le Clergé que parce que le monde les lui inspire ? […] Pourrait-on en effet justifier l’école du vice qu’aux dépens de la vertu ?
Quand les Pères reprennent les vices de leur temps, ils n’ont pas coutume de dire : C’est un péché mortel, c’est un péché véniel, parce que ce doit être assez à un chrétien de savoir qu’une action déplaît à Dieu pour s’en abstenir et l’avoir en horreur ; et il y a quantité de péchés qui ne semblent que véniels, et qui sont néanmoins des pentes et des degrés par lesquels les hommes descendent en enfer, ou à cause des circonstances qui les enveniment, ou parce qu’ils conduisent à d’autres plus grands péchés, ou qu’ils nous privent des secours et des grâces actuelles de Dieu, qui nous seraient très salutaires pour nous conserver en bon état, et ne pas succomber aux secousses des tentations qui nous sont quelquefois livrées.
Tout est indifférent aux artistes qui ont peu de religion ; poëtes, acteurs, musiciens, peintres, sculpteurs, graveurs, ne distinguent ni sacré, ni profâne, ni vice, ni vertu, ni nudité, ni décence. […] Il n’est point de roman, de poësie, de piece de théatre où on ne voie des objets de vice, presque à chaque page, dont cette liste, faite sans choix, présente le plus bisarre assemblage. […] Le Théatre grec & romain l’étoit beaucoup moins ; les expressions qu’on s’y permettoit quelquefois étoient plus grossierement licencieuses ; leur religion, leur langage, leurs mœurs ne connoissoient pas les bornes que la politesse françoise ne permet pas de franchir : mais ce n’étoit que des momens de brutalité ; le fonds de leurs scènes, le cours de leurs drames, leur esprit, leur langage, à travers ses saillies de vice, étoient moins pêtris de corruption que le Théatre françois, qui ne respire autre chose. […] L’amour du véritable honneur seroit long-temps à naître chez un jeune seigneur, si on l’attendoit du Théatre : aucune vertu n’en sera le fruit, mais plutôt tous les vices. […] Elles ne peuvent intéresser que le vice, & mettre à découvert la turpitude de la mere qui donne sa fille, de Moliere qui l’épouse, & de la fille qui le reçoit pour mari.
L’exercice d’un Acteur est donc celui du vice, & toute sa vie se passe en cet exercice, il n’a presque rien autre chose dans l’esprit. […] Ici, l’on s’accoutume à regarder le vice sans horreur, on le verra bientôt avec une sorte de complaisance : celle-ci dispose le cœur qui se rend à la suite, l’avant-mur de la Place étant renversé, entraîne la ruine du mur principal, & la prise entiere de la Ville & de la Citadelle. […] Vous avez dû sentir tout le vice & le danger de votre état ; c’est un scandale perpétuel que la vie d’un Comédien ; quand on supposeroit en lui la probité, la bienseance, toutes les vertus qui plaisent dans le monde, elles composent un édifice sans fondement.
» Un jour il demandait au Duc de Montpensier ce qu’il pensait de ces opérase : « Je pense, répondit-il, que Votre Majesté mérite tous les éloges qu’on lui donne, mais je ne puis comprendre comment elle peut souffrir qu’ils soient chantés par une troupe de faquins dans le temple du vice et de la débauche. » Quelle vertu, quelle vérité, quelle fermeté ! […] Grégoire, dont toute la science est la dissolution et le vice, se trouvèrent en foule à ses obsèques ; ils en formaient la bruyante et la scandaleuse pompe, et répétaient à grands cris, chemin faisant, les mêmes folies qu’ils débitaient sur la scène ; de sorte que la cérémonie de son enterrement fut une comédie ambulante, dont les rues étaient le théâtre. […] Dans la Satire 8. contre la Noblesse, que Boileau a imitée, et où il établit si bien cette grande vérité si peu connue, et qu’on a en effet si grand intérêt de ne pas connaître, que « la vertu est la seule noblesse », le caustique Juvenal, après avoir parcouru les vices, les bassesses, les folies, les ridicules des Nobles, après les avoir suivis à la guinguette, chez les Courtisanes, sur leurs cabriolets, etc.
» , parlant encore des Comédies en général, rapporte ce qui avait été dit autrefois par un Ancien, que jamais on ne les eût approuvées, ni les crimes qu’elles représentent, si les mœurs des hommes qui étaient souillées des mêmes vices ne les eussent souffertes. […] » : « Ces spectacles publics doivent être abolis, parce qu’ils irritent beaucoup les vices, et qu’ils sont très propres à corrompre les esprits ; et bien loin de contribuer à nous faire mériter la vie bienheureuse, ils y nuisent beaucoup. […] C’est ce que remarque M. le Maître dans son Plaidoyer déjà cité nomb. 6. le temps que l’on choisit pour la représenter, qui est le soir, ne contribue pas peu à favoriser le vice ; de sorte que le seul péril auquel on s’expose dans ces assemblées, est un motif suffisant pour les éviter. […] Les vices se glissent facilement dans notre âme, quand c’est à la faveur du plaisir : car il est moralement certain que l’on apprend à faire ce que l’on s’accoutume de voir, comme le remarque Saint Cyprien S. […] Ignore-t-on que nous avons un très grand penchant au vice ?