J’ai choisi, pour mon coup d’essai, le sujet, j’ose le dire, le plus tragique de l’Histoire moderne ; la Saint-Barthélemi. […] Il faudroit toujours, à ne considérer même que la perfection de l’art, représenter sur la Scène ces grands événemens tragiques, ces grandes époques de l’Histoire, qui intéressent tous les Citoyens ; & non plus ces intrigues amoureuses, qui n’intéressent que des femmes ; non plus ces passions si fades, éternel aliment de cent Tragédies, qui se répètent sans cesse, & qui se ressemblent toutes par la mollesse & l’absence d’idées. Poëtes tragiques François, lisez, relisez Sophocle & Tacite ; connoissez bien le siècle où le sort vous a placés ; & songez, en observant le Peuple nouveau qui vous environne, qu’il est temps d’écrire pour des hommes, & que les enfans ne sont plus. […] Falloit-il enfin perdre tes veilles à composer des Tragédies allégoriques, à retracer en vers excellens, mais peu tragiques, & encore moins philosophiques, les amours du jeune Louis XIV, & de la fille de Charles premier, ou les amours du vieux Louis XIV & de la veuve Scarron ? […] Ne soyez pas plus scrupuleux que le Pape Léon X qui n’a cessé d’encourager l’art Dramatique ; que le Cardinal de Richelieu qui l’a cultivé lui-même ; que le Cardinal Mazarin qui a présidé à la naissance de l’Opéra chez les François ; que le Cardinal Bibiéna qui a fait la première Comédie régulière écrite chez les Modernes ; que l’Archevêque Trissino à qui nous devons aussi le premier essai régulier dans l’art Tragique.
Considération de la fin des spectacles comiques et tragiques, et du plaisir qu’on y prend. […] Ils ont tonné, contre tous spectacles en général, mais spécialement contre les comiques et tragiques comme ennemis des bonnes mœurs. […] Davantage les Histoires tragiques mettent devant les yeux des parricides, et des incestes des méchants Rois, et démontrent leurs méchancetés relevées. […] Examen des palliations et prétendues justifications, de ceux qui se plaisent aux jeux comiques et tragiques de ce temps. […] Le patin tragique : le cothurne.
Cette règle, de suivre la nature, peut s’appliquer au Tragique même ; ce genre veut de la grandeur, & point d’enflure ; que l’on exprime, & non pas qu’on mugisse. […] Les discours fleuris, le langage précieux & recherché, les descriptions brillantes où l’art se montre doivent être bannies des Drames tragiques ; à plus forte raison de la Comédie. […] Telle fut la source où puisèrent les Tragiques Grecs ; & tel est aussi le moyen de rendre la Tragédie d’une utilité aussi générale pour une Nation, que la bonne Comédie. […] Pour qu’une Pièce tragique ou comique fît une impression utile, autant que profonde, il faudrait, sans doute qu’elle fût unique. […] Les Comiques dans la première Classe, auront le même honoraire que le Tragique patriotique, ainsi que la couronne & la médaille d’or, avec ces mots sur l’exergue, Pour les mœurs.
Les deux plus grands Tragiques de la France en ont usé bien différemment avec le Public, dans un cas à peu près pareil. […] Racine savait très bien ce qui convenait à la Tragédie ; et, je le répète encore, s’il n’eût pas craint de révolter le Public, en critiquant le goût général de son siècle, il aurait dit ; « que les tendresses et les jalousies des Amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi le majestueux, l’intéressant et le lugubre d’une action tragique. » Racine savait et sentait à merveille cette vérité ; mais, par malheur pour le Théâtre moderne, non seulement il n’eut pas la force de la déclarer dans la Préface de sa Thébaïde ; il n’osa pas même la pratiquer, si ce n’est dans Esther et dans Athalie : il se livra, malgré ses lumières, à la corruption générale de ses prédécesseurs et de ses contemporains : il ne se contenta pas même de mettre de l’amour dans toutes ses autres Tragédies ; il fit aussi, de cette malheureuse passion, la base de tous les sujets tragiques qu’il a traités. […] Les Grecs ne pensaient pas comme nous, en fait de Théâtre ; l’horrible d’une action tragique ne les révoltait point ; et, si la représentation ne leur procurait pas un certain plaisir, l’instruction qu’ils en tiraient les en dédommageait et leur tenait lieu de tout.
, qu’il n’y admet point la jeunesse pour y voir ni les comédies ni même les tragédies, quoiqu’elles fussent aussi sérieuses qu’on le vient de voir ; parce qu’il faut craindre, dit-il, les premières impressions d’un âge tendre que les sujets tragiques auraient trop ému.
La fiere Melpomene troublant le silence des tombeaux, évoque du sein de la poussiere, le héros qui y repose, & le fait venir sur la scéne divertir les vivans ; spectateurs tranquilles, nous sommes assis comme des immortels ; nous nous croyons généreux en donnant des larmes à leurs tragiques avantures, & déplorant leurs destinées, nous oublions la nôtre. […] Il a consacré son loisir à la traduction des Poétes tragiques Grecs, & sans doute à celle des comiques. […] Il imagina de faire ronfler les furies par fureur, ce qui est plus burlesque que tragique ; malgré tous ses défauts, on le combla d’honneur. […] Chez nous Chrétiens, nourris dans les leçons pures du Christianisme, le théâtre tragique semble n’être fait que pour émouvoir la plus dangéreuse passion. L’amour régne dans les plus sévéres ; dans Polieucte même, (il n’a pas osé dire pieuses) il se mêle aux affaites d’état, aux conspirations, aux intérêts les plus terribles, ce qui donne à la tragédie moderne un air de galanterie, une allure efféminée qu’on n’a point à reprocher aux tragiques Grecs : les mœurs de nos tragédies sont efféminées, donnant à Melpomene la ceinture de Vénus.