Vous n’éviterez pas le piége qui vous est tendu. […] Il ajoute qu’on croit faussement n’être pas amolli par les Spectacles ; que les Auteurs tendent des piéges à la candeur ; enfin que l’esprit sérieux & mortifié de la Religion n’est pas compatible avec les jeux du Théâtre ; telle est la substance de son Traité**.
Nous nous vantons d’avoir une Ame tendre & généreuse, voilà un Bien dont la Tragédie nous fait jouir, nos larmes nous font honneur, est honor & lachrymis. […] On se vante d’avoir pleuré à une belle Tragédie, parce qu’on est flatté de paroître avoir un cœur tendre : mais on ne se vante point d’avoir ri des balourdises d’Arlequin : on dit au contraire, j’ai ri comme un Enfant.
» Le temps que l’on passe au spectacle ne serait-il pas mieux employé en le destinant à la compagnie de quelques amis vertueux, avec lesquels on multiplie, pour ainsi dire, son être, en se communicant réciproquement, dans les tendres épanchements de la confiance, tout ce qui peut intéresser de louables affections ? […] Considérons le cours des années et des siècles, le temps qui s’envole : écoutons le son de la trompette qui va bientôt nous appeler, la voix de l’Ange qui se fait entendre pour nous animer au combat ; les martyrs nous tendent les mains et nous présentent leurs couronnes.
Il a assez compté sur sa piété, pour se livrer sans scrupule au milieu d’une foule de jeunes Demoiselles les plus aimables, leur apprendre ses vers, les exercer à la déclamation, leur inspirer, leur faire exprimer les mouvements les plus vifs et les plus tendres, leur donner les mêmes leçons qu’il avait données à la Chammelé sa maîtresse, sans rien craindre ni pour lui ni pour elles. […] Bientôt l’Amour fertile en tendres sentiments, S’empara du théâtre ainsi que des romans. […] On a porté la sévérité jusqu’à défendre aux Organistes de jouer pendant l’office divin des vaudevilles, des pièces profanes, des chansons tendres, des airs d’opéra, qui ne peuvent que distraire le peuple de l’attention au service, refroidir sa dévotion, par les sentiments qu’ils inspirent, et lui rappeler les mauvaises paroles composées sur ces airs : défense presque partout mal observée, soit par le goût du joueur, le plus souvent sans piété ; soit par disette et stérilité, la plupart ne sachant point d’autres airs, et n’étant pas en état d’en composer. […] Voyez cette Actrice ; elle rit, elle pleure, s’irrite, s’apaise ; tantôt les charmes de la douceur, bientôt les emportements de la colère, on la prend tour à tour pour une grande Princesse et pour une misérable soubrette ; c’est une prude qui fait des leçons de modestie, une Agnès, qu’un mot, un regard font rougir ; une coquette qui tend des pièges à tout le monde ; une effrontée qui se permet les paroles, les parures, les manières les plus licencieuses. […] On voit de même que les personnages assortis aux caractères réussissent mieux ; un homme emporté prendra mal un ton doux et tendre, un esprit doux et modéré n’est pas fait pour les fureurs d’Oreste, le masque du vice embarrasse la vertu, le masque de la vertu ne sied pas bien au vice : Rien n’est beau, j’y reviens, que par la vérité.
Celui-ci semble vouloir substituer la Morale des Païens à celle de Jésus-Christ, et nous faire passer la sagesse Stoïque pour la folie de la Croix : Celui-là fait d’un amour propre, qui ne tend qu’à la conservation du corps, le fondement de la Morale; par la soustraction de toute vérité nécessaire anéantit la Religion, et par la loi du plus fort qu’il prétend établir, ébranle les fondements de la société et de la paix. […] La politique met l’ordre qu’elle peut dans les dehors, elle s’accommode à l’homme tel qu’elle le trouve ; mais la Religion va droit à l’intérieur, et tend à rendre l’homme tel qu’il doit être ; l’une n’a pour but que la conservation d’une société extérieure ; l’autre établit entre Dieu et nous une communion parfaite de sentiments et de pensées ; l’une et l’autre sont subordonnées, mais chacune a son objet déterminé. […] Une jeune fille dont la raison est faible, et le cerveau tendre et délicat s’y trouvera sans contracter l’amour des grandeurs et des plaisirs ? […] Dieu a voulu que le septième jour nous quittassions les œuvres serviles pour nous reposer dans la contemplation de ses merveilles, et dans la méditation de son éternelle vérité ; notre nouveau Docteur ajoute à ce précepte le charitable conseil de se reposer dans les tendres sentiments que l’Opéra et la Comédie inspire après qu’on s’est bien lassé au Sermon et à l’Office divin. […] , qu’il consent qu’on modère un peu l’usage des Spectacles, parce que ce temps étant destiné aux larmes, la Musique alors ne fait pas un si bon effet, comme s’il ne savait pas que toute la vie d’un Chrétien est un temps de pénitence, et que l’institution du Carême ne tend qu’à nous en faire souvenir, et à nous ranimer dans notre pèlerinage.
C’est là qu’ils entendent parler de toutes sortes de matières qui peuvent ou exciter leur curiosité ou développer les germes de leurs passions ; c’est là que, dans un âge encore tendre et si susceptible des impressions du vice, ils commencent à le connaître et à se familiariser avec lui.