Il est vrai, l’Ecriture sainte ne la defend pas expressément ; & ce fût ce prétexte, dont on se servoit du tems de saint Cyprien, pour authoriser le divertissement du theatre : mais ce ne fût qu’un faux prétexte : car l’Ecriture, répond ce grand Saint, Verecundiam passa plus interdixit, qui tacuit ; veritas, si ad hæc usque descenderet, pessimè de fidelibus suis sensisset. […] Qu’on ne me dise plus, que l’application de la Comedie du tems de ces Peres à celle qui se représente aujourd’hui, ne soit pas juste : car en outre que j’en ai montré la justesse, les personnes, qui ont eu le malheur de frequenter la Comedie moderne, l’appellent aussi bien « une école de libertinage & de vanité », que ces Saints l’appellerent de leur tems. […] On agita de son tems la question, si on pouvoit manger la viande que les Idolatres avoient offertes & immolées aux fausses divinités.
Avec quel plaisir, avec quelle complaisance ne rappellent-ils pas ces temps de malheurs si agréables pour eux, qui leur rappellent que leurs devanciers faisaient trembler les rois ! […] quel malheur, si on rendait aux prêtres et aux moines, les biens corrupteurs dont ils firent si mauvais usage ; dont autrefois ils s’emparèrent si frauduleusement dans les temps de barbarie, d’ignorance et de superstition, en abusant de la crédulité des peuples, et en spoliant trop souvent l’homme sans crédit, la veuve et l’orphelin ! […] Ce gouvernement est si détestable qu’il n’a jamais pu se maintenir dans aucun temps, dans aucun pays, à cause de l’excès que signalent sa corruption et son immoralité ; et d’ailleurs la vengeance implacable et cruelle qui le caractérise a toujours provoqué sa ruine. […] [NDE] Hassan ibn la-Sabbah, appelé Vieux de la montagne, était le chef d’une bande d’assassins du temps des croisades.
Il est certain que c’est à tort qu’on prétend justifier les Comédies de ce temps par l’exemple des anciennes, rien n’étant si dissemblable qu’elles le sont. […] « Ne voyez-vous pas l’amour traité de cette manière si impie dans les plus belles Tragédies et Tragicomédies de notre temps ? […] Le récit même de la défaite des Maures y est fort ennuyeux, et peu nécessaire à l’Ouvrage, étant certain qu’il n’y avait nulle rigueur en ce temps-là contre les duels, et n’y ayant pas d’apparence que la sévérité du Roi de Castille fût si grande en cette matière contre la coutume de son siècle, qu’il n’en pût bien pardonner deux par jour, même sans le prétexte d’une victoire aussi importante que celle-là. […] Et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses Héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant pour nous délivrer de nos passions.
Voilà comme ces mauvais Philosophes argumentoient en faveur des spectacles, & comme les Chrétiens du tems raisonnent aussi en faveur de la comedie ; mais voicy comme Tertullien répond aux méchans argumens des premiers, & confond les faux raisonnemens des seconds. […] J’ay dis, M. que les loix de la Iustice nous defendent cette participation : car ce seroit vouloir participer en même tems aux mysteres de sainteté, & aux mysteres d’iniquité, ce qui est impossible. […] Or comme il y a de bons & de mauvais objets, les organes des sens restent affectez de leurs bonnes ou de leurs mauvaises qualitez par le passage de leurs especes, & répandent en même tems dans l’esprit & dans le cœur, la bonté des uns, & la malice des autres. […] Car, dites-moy je vous prie, voicy comme argumentoit autrefois Tertullien, contre quelques Chrétiens relâchez de son temps, s’il ne vous est pas permis de soüiller vôtre goût & vôtre ventre, en mangeant des viandes qui sont sacrifiées aux Idoles, si ventrem & gulam ab inquinamentis liberamus, quanto magis oculos, & aures ab idolothitis, & necrothitis voluptatibus abstinemusL. de spect. cap. 24. […] Augustin, vous jugerés qu’en nous décrivant les pieces qu’on joüoit de son tems sur le theatre, il nous a fait le portrait des comedies qui se joüent dans le nôtre ; & vous confesserés aussi que les mouvemens dereglés qu’il sentoit dans son cœur à la vuë de ces spectacles, ce sont les mêmes que vous ressentés encore dans les vôtres à la representation d’une comedie.
Celle-ci dépend des lieux, des tems, des circonstances, des mœurs, du gouvernement, de la situation, du rang, de l’éducation, des talents. […] Dans ce laps de tems les facultés sensitives réparent leurs forces, aux dépens de la prédilection paternelle.
44, une critique judicieuse des drames espagnols, qui ne tombe pas moins sur les pieces françoises ; où, selon les brochures innombrables qui tous les jours innondent les théatres de Paris, se trouvent les mêmes défauts & de plus grands qu’à celui de Madrid, l’auteur se jette sur la morale, & dit : L’aversion que j’ai pour les comédies de notre temps, n’est pas moindre que celle que j’ai toujours eu pour les livres de chevalerie. […] Dans le cours de cette longue comédie, qui mérite mieux ce nom que le poëme du Dante, on trouve répandus tous les principes qui, dans tous les temps, ont fait proscrire les spectacles par toutes les personnes sages qui ont eu quelque zele pour les bonnes mœurs.