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15. (1758) Causes de la décadence du goût sur le théatre. Première partie « Causes de la décadence du goût sur le théâtre. — Chapitre V. De la Musique ancienne & moderne, & des chœurs. De la Musique récitative & à plusieurs parties. » pp. 80-93

Ces derniers soutenoient l’attention du spectateur en le délassant. […] D’ailleurs, est-il bien certain que nos intermedes ayent pour but le délassement du Spectateur ? […] Quand on le pourroit, on n’y mettroit jamais assez de clarté & d’ordre, pour que le Spectateur pût l’entendre. […] Le délassement du Spectateur n’est donc pas ce qu’on se propose au moins pour but de premiere nécessité, dans les intermedes. […] Aussi le mieux qui puisse arriver au spectateur, c’est que les premieres Scènes de chaque Acte, ne l’affectent que très-foiblement.

16. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VIII. Réfléxions sur le plaisir qu’on ressent à la représentation d’un Poème comique, & sur la douleur qui déchire l’ame des Spectateurs d’un Drame sérieux. » pp. 113-123

Réfléxions sur le plaisir qu’on ressent à la représentation d’un Poème comique, & sur la douleur qui déchire l’ame des Spectateurs d’un Drame sérieux. […] Il est bien certain que l’action d’une Comédie n’a rien de réel, & que ses Personnages sont tous chimériques ; le Spectateur intelligent doit donc s’étonner de s’intéresser à des fâbles. […] Il s’en suit que la Comédie ne saurait peindre trop fortement les caractères qu’elle va chercher dans le monde ; plus leurs traits seront marqués, plus ils seront chargés de ridicules, & plus ils réjouiront les Spectateurs. […] Enfin, la Comédie étant l’image simple & peu ornée de ce qui se passe dans la société, doit plaîre nécessairement aux Spectateurs, qui ne se méconnaissent pas tout-à-fait dans les avantures & dans les vices qu’elle leur trace. […] Le Spectateur contemple avec éffroi ses passions dans l’âme des Princes de la terre ; il voit en grand les malheurs qu’elles occasionnent parmi le Peuple.

17. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre V. Le but des auteurs et des acteurs dramatiques est d’exciter toutes les passions, de rendre aimables et de faire aimer les plus criminelles. » pp. 51-75

« Dans quelle disposition d’esprit le spectateur voit-il commencer la Bérénice de Racine ? […] Qu’en pense le même spectateur après la représentation ? […] Ne voilà-t-il pas une tragédie qui remplit bien son objet, et qui apprend bien aux spectateurs à surmonter les faiblesses de l’amour ! […] La reine part sans le congé du parterre : l’empereur la renvoie malgré lui et malgré elle ; on peut ajouter, malgré les spectateurs. Titus a beau rester romain, il est seul de son parti, tous les spectateurs ont épousé Bérénice.

18. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — CINQUIEME PARTIE. — Tragédies à rejeter. » pp. 235-265

Voilà ce que produit l’amour ; comme cette passion est égale dans tous les cœurs, il est bien rare que le Spectateur puisse s’en former une idée convenable à la majesté tragique. […] Je ne m’arrête pas au mérite de l’Auteur, pour avoir bien traité un sujet si épineux ; je ne regarde que le sujet en lui-même ; car, il est bien moins question au Théâtre de la Réformation de savoir si les Auteurs ont de l’esprit, que d’être assuré que leurs Pièces sont extrêmement correctes pour les mœurs, et ne peuvent causer aucune mauvaise impression dans le cœur des Spectateurs. […] Une pareille idée est bien terrible, et je m’en rapporte aux Spectateurs, de quelque nation qu’ils soient. […] En effet, je crois que si on représentait Alexandre sans amour, les Spectateurs s’en accommoderaient mieux, quoi que l’Histoire fût en droit de s’en plaindre. […] La passion de Ladislas naît du vice et non de la vertu : telle était la licence de la Scène du temps de Rotrou ; mais les Poètes tragiques depuis lui ont toujours fait ou tâché de faire croire aux Spectateurs que l’amour dans leurs Tragédies était enfanté par la vertu.

19. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [K] » pp. 421-424

Pollux distingue trois sortes de masques de Théâtre, des Comiques, des Tragiques & des Satyriques : il leur donne à tous, dans la description qu’il en fait, la difformité dont leur genre est susceptible, c’est-à-dire, des traits outrés & chargés à plaisir, un air hideux ou ridicule, & une grande bouche béante, toujours prête, pour ainsi dire, à dévorer les Spectateurs. […] Si le père, des intérêts dont il s’agit dans la Comédie, doit être quelquefois content, & quelquefois fâché, il a un des sourcils de son masque froncé, & l’autre rabatu ; & il a une grande attention à montrer aux Spectateurs, celui des côtés de son masque qui convient à sa situation présente. […] Le Spectateur, qui se trompait lui-même, en voulant discerner deux Acteurs, dont le masque était aussi ressemblant qu’on le voulait, concevait facilement que les Acteurs s’y méprissent eux-mêmes. […] Mais d’un autre côté ces masques fesaient perdre au Spectateur le plaisir de voir naître les passions, & de reconnaître leurs différens symptômes sur le visage des Acteurs. […] En effet, il était impossible que les altérations du visage fussent aperçues distinctement des Spectateurs ; dont plusieurs étaient éloignés de plus de douze ou quinze toises du Comédien qui récitair.

20. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XII. La représentation des pièces de théâtre est plus dangereuse que la lecture. » pp. 108-110

« Que tu sais bien, Racine, à l’aide d’un acteur, Emouvoir, étonner, ravir un spectateur ! […] Ce qui rend la représentation d’une pièce de théâtre beaucoup plus dangereuse que la lecture, c’est que le lecteur n’est sensible qu’aux grâces du style, qu’à la beauté des pièces : au lieu que le spectateur est exposé à tous les charmes d’une déclamation animée, de ce langage muet, si éloquent, si persuasif, si séduisant, qui, par un geste, parle aux yeux et pénètre le cœur, donne de la vivacité aux passions, de la force aux discours, qui exprime dans toute leur énergie les mouvements de l’âme que le poète n’a fait que rendre faiblement ; qui fait illusion sur la fausseté des pensées et des maximes, qui fait applaudir au mensonge avec plus de chaleur qu’on applaudirait à la vérité. […] « Ce fut encore plus par l’habileté des acteurs que par le mérite des drames que le théâtre des Romains attirait tant de spectateurs. […] Il faut qu’elle soit déclamée dans le sanhédrin, où l’on juge si elle peut être exposée au public ou non, c’est-à-dire, si on a lieu d’espérer que les spectateurs se sentiront fortement affectés des sentiments passionnés que le poète se propose d’exciter.

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