Cette farce eut un dénouement tragique : plusieurs de ses nobles acteurs furent appellés en duel par des nobles spectateurs du parti contraire. […] Vous avez levé la canne sur moi, parlant ainsi aux spectateurs : Laissez-moi fondre sur lui, il connoîtra la force de mon bras, ou le diable l’emportera ; &c. […] Il contenoit sept cens spectateurs, & il étoit placé au milieu de quatre théatres qui offroient quatre spectacles différens. […] Ici les quatre théatres sont fixes, & ce sont les spectateurs qui tournent. […] Mais aussi quelle machine mobile est capable de supporter & d’emporter le poids énorme de plus de mille spectateurs ?
appelle-t-il vivre honnêtement employer son esprit et mettre tout son temps et sa peine aux jours mêmes qui sont consacrés au service divin, à apprendre son rôlet, à compasser ses pas, et à étudier ses gestes, ses postures et son ton de voix, pour s’imprimer dans le cœur les passions qu’ils veulent faire ressentir à leurs spectateurs ? […] Mais si c’est une femme mariée, ne blesse-t-elle pas encore davantage l’honneur dû à ce Sacrement, en employant ses soins, ses frisures, et son fard, pour se faire un visage de Comédienne ; afin de paraître belle aux yeux impudiques de tant de spectateurs qui la doivent regarder ? […] La fin de la Comédie et des Comédiens est toujours mauvaise ; et celle des spectateurs l’est aussi pour l’ordinaire. […] Celles des Spectateurs ne valent guère mieux. […] Car, lorsque les spectateurs prennent plaisir à regarder ce qui se passe sur le théâtre lorsqu’ils l’approuvent et y applaudissent ; c’est comme s’ils la représentaient eux-mêmes.
Peut-être avez-vous oublié en écrivant votre lettre que la Comédie n’a point d’autre fin que d’inspirer des passions aux spectateurs, et que les passions dans le sentiment même des Philosophes Païens, sont les maladies, et les poisons des âmes. […] Ne voit-on pas que leurs ouvrages sont composés d’un mélange agréable d’intrigues, d’intérêts, de passions et de personnes, où ils ne considèrent point ce qui est véritable, mais seulement ce qui est propre pour toucher les spectateurs, et pour faire couler dans leurs cœurs des passions qui les empoisonnent de telle sorte, qu’ils s’oublient eux-mêmes, et qu’ils prennent un intérêt sensible dans des aventures imaginaires ? […] Quelquefois ses vers peuvent être assez innocents, mais la volonté du Poète est toujours criminelle, les vers n’ont pas toujours assez de charmes pour empoisonner, mais le Poète veut toujours qu’ils empoisonnent ; il veut toujours que l’action soit passionnée et qu’elle excite du trouble dans le cœur des spectateurs. […] Que si depuis quelque temps les écrits ne s’adressent pas directement aux Jésuites, et s’ils ne sont plus comme vous dites que les Spectateurs du combat, c’est parce qu’on les a mis hors d’Etat de combattre. […] Le silence, la patience, la modération, la sagesse, la pauvreté, la pénitence ne sont pas des vertus dont la représentation puisse divertir des spectateurs, et surtout on n’y entend jamais parler de l’humilité ni de la souffrance des injures.
Le spectateur est peu touché des sauts, des entre-chats ; il n’est nullement charmé des mouvemens variés d’une foule de Danseurs, si tout cela n’a un but, & ne satisfait notre âme en peignant des passions. […] A peine le Spectateur a-t-il le tems de respirer ; ses yeux sont à chaque instant frappés, éblouis, par de nouveaux objets ; son âme nage dans l’ivresse ; des Danseuses charmantes viennent enchanter ses regards, incertains des grâces qu’ils doivent fixer. […] Une musique délicieuse, les accords les plus parfaits, & des voix qui ne savent que trop émouvoir notre âme, achèvent de charmer le Spectateur. […] Elle ôterait aux Spectateurs le plaisir de la surprise ; elle rendrait l’action trop monotone & trop froide ; elle ferait disparaître enfin ces décorations superbes, qui sont souvent le principal mérite des Drames chantans. […] Aucun mot, aucun signe, n’avertissent les Spectateurs que les vingt-quatre heures sont èxpirées.
Les Atellanes avoient pour objet, comme les Piéces Satyriques chez les Grecs, de réjouir le Spectateur, que la Tragédie avoit attristé ; mais la sévérité Romaine qui étoit encore dans sa vigueur, n’y permit qu’un élégant badinage, venustam elegantiam, dit Donat sur Térence : & Valere Maxime dit de même, Hoc genus delectationis Italicâ severitate temperatum. […] On fut même longtems sans accorder aux Spectateurs la liberté de s’asseoir : on ne croyoit pas qu’il fût de la dignité de la République de permettre à des Romains de rester longtems occupés d’amusemens qui ne convenoient qu’à des Grecs, & on craignit que la liberté de s’asseoir ne leur fît passer des journées entiéres dans l’oisiveté. […] Dans le Prologue d’une de Comédies de Plaute, l’Acteur félicite les Spectateurs de leur goût pour l’Antiquité : les gens sensés, leur dit-il, sont ceux qui ne boivent que du vin vieux, & qui n’estiment que nos vieilles Comédies. […] D’ailleurs il y a apparence que les grands Poëtes n’étoient pas tentés d’exposer leur gloire sur le Théâtre, parce qu’ils connoissoient le mauvais goût des Spectateurs, qui étoient capables d’interrompre une Piéce pour demander à voir des Ours, des Eléphans, des Danseurs de Corde. […] On voit par la maniere dont il a parlé de la Tragédie & de la Comédie, qu’il a senti toute la difficulté d’exceller dans la Poësie Dramatique : & comme il connoissoit les caprices du Peuple, il prioit Auguste, qui aimoit les Spectacles, & protégeoit les Poëtes Dramatiques, de conserver aussi quelque bienveillance pour ceux qui aimoient mieux, comme lui, se borner à plaire à des Lecteurs, que de s’exposer aux dédains d’un Spectateur difficile, Quàm spectatoris fastidia ferre superbi.
Les Modernes nous ont présenté sur la Scène les Acteurs, tels que la nature les a faits, et non défigurés par les cothurnes, par les masques et même par la voix, dont le son n’était jamais naturel sur les Théâtres d’Athènes et de Rome ; car il fallait la proportionner à la figure agrandie des personnages, et à la distance des Spectateurs. Ajoutons que le Théâtre moderne mérite toute préférence, par la commodité qu’il procure aux Acteurs, aussi bien qu’aux Spectateurs : les premiers peuvent exprimer les sentiments et les passions dans les tons convenables et naturels : les seconds sont à portée de concevoir toute la force et toute la finesse de l’expression ; puisque les Théâtres modernes ne sont pas, à beaucoup près, si vastes que les Théâtres des Anciens, ni exposés au grand air, comme ils l’étaient.