Je pourrais, Messieurs, vous faire le même compliment que vous me faites, je pourrais vous dire qu’on vous fait beaucoup d’honneur de vous répondre ; mais j’ai une plus haute idée de tout ce qui sort de Port-Royal, et je me tiens au contraire fort honoré d’entretenir quelque commerce avec ceux qui approchent de si grands hommes… Toute la grâce que je vous demande, c’est qu’il me soit permis de vous répondre en même temps à tous deux, car quoique vos Lettres soient écrites d’une manière bien différente, il suffit que vous combattiez pour la même cause, je n’ai point d’égard à l’inégalité de vos humeurs, et je ferais conscience de séparer deux Jansénistes. — Aussi bien je vois que vous me reprochez à peu près les mêmes crimes, toute la différence qu’il y a, c’est que l’un me les reproche avec chagrin, et tâche partout d’émouvoir la pitié, et l’indignation de ses Lecteurs, au lieu que l’autre s’est chargé de les réjouirb.
Je doute qu’ils eussent souffert à Racine d’employer tout son art à diminuer l’horreur naturelle que nous devons avoir du crime de Phèdre, je doute qu’ils lui eussent permis d’inspirer contre les bonnes mœurs au commun des spectateurs une sorte de compassion pour le sort malheureux de cette abominable créature.
Polieucte & le Cid, Phedre & Athalie, Mahomet & l’Enfant Prodigue, &c. ne sont-ils pas sortis de la même plume ? […] L’autre, habile professeur, voyant un jour presque déserte sa classe, toujours sort nombreuse, parce que ses écoliers étoient allés à la comédie, jetta ses livres de dépit, renonça à la chaire, & ne voulut plus enseigner une jeunesse assez corrompue pour préférer le théatre à ses leçons de jurisprudence. […] Si malheureusement sa maladie le conduit à la mort sans avoir fait pénitence, que penser de son sort éternel ?
Mais comme dans ce denouement il ne s’agiroit pas seulement de lui, mais du sort de l’Empire, après nous être mis à la place de Titus, mettons-nous un moment à la place des Romains, qui vont être privés du bonheur dont ils espéroient jouir sous son regne. […] Maîtres du sort de cette ville infortunée, dont les armes unies aux leurs, avoient tant de fois contribué à la défense commune de la liberté de la Grece ; ces Spartiates si jaloux de la liberté, qui pensoient qu’on c’essoit d’être homme en cessant d’être libre, n’eurent pas de honte d’être eux-mêmes les artisans de la servitude, & de forcer les Atheniens de recevoir chez eux la domination injurieuse de trente tyrans. […] Nos généreux guerriers couroient affronter les plus grands périls à la tranchée ou au combat, au sortir d’une représentation du Prêjugé ou d’Alzire, sans avoir besoin qu’un Tyrtée moderne leur modulât sur sa flûte les différens tons de la valeur.
Du train que les choses vont, les rôles muets seront toujours trop rares : car il vaut beaucoup mieux ne rien dire que de sortir de son caractère, quand on parle. […] sort de toute mesure dans une semblable occasion : il donne un galimatias d’obscénités et de pédanteries à l’un de ses premiers personnages. […] Voici comme il s’exprime sur le sort de ce Poème.
Que des adultes, maîtres de leur sort, fixés par goût et par l’empire d’une longue habitude dans un genre de vie analogue au théâtre, se dévouent à la frivolité publique, et traînent dans les coulisses une existence presque réduite à une simple végétation ; l’Etat ne perd rien dans ce sacrifice. […] Il cessa dès ce moment de se regarder comme chevalier, et accusoit la dureté du sort qui en peu d’heures avoit changé cet état honorable contre celui de saltimbanque : Eques Romanus lare egressus meo, Domum revertar mimus.